Eugène Delacroix, La Liberté guidant le Peuple… Oui, mais où?
Ce que vous apprendrez…
– Que la Révolution française de 1789 ne fut pas la dernière révolution en France, loin de là!
– Que la Liberté guidant le Peuple de Delacroix, un des tableaux les plus célèbres de tous les temps, retrace une scène historique se déroulant en 1830
Préliminaires
Un drapeau bleu, blanc, rouge brandi fièrement par une Marianne guerrière à la tête d’un groupe d’hommes en armes, des corps jonchant le pavé, un ciel apocalyptique lourd de menaces… Pas de doute, La Liberté guidant le peuple d’Eugène Delacroix décrit une scène de la Révolution française!
Jusque-là, tout va bien.
Mais de quelle révolution s’agit-il?
Celle de 1789?
Non! Il s’agit bel et bien de la révolution de 1830!
Eh oui, on a souvent trop tendance à penser que Louis XVI fut le dernier Roi de France. Grossière erreur! À peine 20 ans après la décapitation du pauvre roi, ses frères Louis XVIII puis Charles X s’assoient à leur tour sur le trône. Pour le meilleur… mais surtout pur le pire
Le contexte historique
Un topo rapide sur le contexte de l’époque s’impose. Napoléon, à son retour de l’île d’Elbe, voit son rêve de créer un Empire français dominant toute l’Europe s’effondrer à l’issue de la bataille de Waterloo. Il est exilé sur l’île de Sainte-Hélène, un caillou perdu au milieu de l’Atlantique, et on n’entendra plus jamais parler de lui.
(bon d’accord, son pénis fera parler de lui… mais c’est une autre histoire)
En France, les choses s’agitent, et la royauté est restaurée dès 1814. Diantre! Qui l’eut cru? Louis XVIII, le propre frère de Louis XVI, prend le pouvoir. De peur de finir la tête dans un panier comme son illustre frangin, le nouveau roi s’applique à régner de façon mesurée, tâchant de ne pas trahir l’ « esprit » de la Révolution. Ainsi, les acquis de la Révolution ne sont pas fondamentalement remis en cause, donc tout va bien dans le meilleur des mondes.
(pour le moment)
À la mort de Louis XVIII, en 1824, son frère Charles X lui succède. Son règne à lui est plus passionné (façon polie de dire que les Français le détestent).
1789, c’est loin, le peuple a déjà oublié, pense-t-il.
(à tort)
(les Français n’oublient JA-MAIS)
Et il se permet donc, aidé par son impopulaire ministre le comte de Polignac, de restaurer des prérogatives royales, ce qui n’est pas au goût de tout le monde… L’opposition républicaine libérale s’organise et n’attend qu’un prétexte pour mettre le feu aux poudres. Cette situation irrite Charles X qui tente le tout pour le tout pour se débarrasser de ces empêcheurs de régner en rond.
Le 25 juillet 1830, il tente d’écraser définitivement ses opposants en publiant quatre ordonnances. Parmi celles-ci, l’interdiction ultime. Le truc auquel il ne faut jamais toucher. JA-MAIS! Eh oui, Charles X commet la grave erreur de supprimer la liberté de la Presse, pourtant inscrite noire sur blanc dans la Constitution.
Fatale erreur! Il n’en faut pas plus pour qu’un vent de révolte souffle sur la France…
Les Trois Glorieuses: comme en 1789, mais en plus court
Les 27, 28 et 29 Juillet 1830, le peuple répond à l’appel des Républicains et descend armes à la main dans les rues de la capitale. À l’issue de ces trois journées – dont l’Histoire se souviendra comme des « Trois Glorieuses » – Charles X, le dernier Bourbon, est contraint d’abdiquer… Qu’il se rassure, lui, au moins, n’aura pas la tête tranchée!
Louis-Philippe Ier (un descendant direct de Louis XIII) s’installe sur le trône, trône qui a perdu, il est vrai, un peu de sa superbe… D’ailleurs, Louis-Philippe n’a même pas le titre de « roi de France », mais celui de « roi des Français ». Une nuance de taille! Il jure fidélité à la Charte du 9 août 1830, et la « monarchie de juillet », comme l’appelle les historiens, peut commencer…
Les intentions de Louis-Philippe sont pleines de promesses:
Nous chercherons à nous tenir dans un juste-milieu, également éloigné des excès du pouvoir populaire et des abus du pouvoir royal.
Vaste programme…
Le tableau, le tableau!
27 juillet 1830. Une révolution, une vraie, qui se déroule là, juste devant ses yeux! Quelle chance inespérée pour Eugène Delacroix en quête d’inspiration pour son prochain tableau!
Il faut dire que les événements historiques, le p’tit Gégène n’est pas à son coup d’essai. Douze ans plus tôt, il avait déjà contribué à médiatiser le scandale du radeau de la Méduse…
En seulement quelques mois (le tableau sera achevé en décembre 1830), Eugène Delacroix parvient à coucher sur sa toile la quintessence même de l’esprit des Trois Glorieuses: la violence des combats, bien sûr, mais aussi la colère d’un peuple trahi par les abus d’un système monarchique en lequel il avait pourtant encore (un peu) confiance.
La Liberté est représentée par une jeune femme coiffée du bonnet phrygien. Sur sa gauche, un petit garçon, un Gavroche, pistolets en main, appelle les révolutionnaires au combat. Le personnage central coiffé d’un chapeau haut-de-forme est assez surprenant et ne colle pas vraiment dans la scène… Certains pensent qu’il s’agirait de Delacroix lui-même, peint ici comme un symbole de son approbation de la Révolution.
Tout est fait ici pour glorifier le citoyen, fossoyeur noble et courageux de l’Ancien Régime.
Le tableau, mesurant 2,6 x 3,25 mètres est aujourd’hui visible au Musée du Louvre, où il trône fièrement depuis 1874!
Faites-moi plaisir: la prochaine fois que vous verrez ce tableau, ne vous trompez pas de Révolution!
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Djinnzz
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J’aime bien aussi la version « littéraire » : puisque l’on parle de Gavroche, on peut également identifier le fameux « homme au chapeau » à Marius, dans Les Misérables… Bon après, moi j’dis ça, j’dis rien… 😛
Excellent article, court mais sympathique.
Petit bémol cependant, n’y-aurait il pas une faute d’orthographe à « S’en est trop » ?
On démontre que cela en est trop…
Sinon très bien.
Effectivement! C’est maintenant corrigé, merci!
« aidé par son impopulaire » et non « aidé pas son impopulaire »…
Sinon, c’est bien. Peut-être préciser que Louis-Philippe était le fils de Philippe Égalité, guillotiné en novembre 1793, et l’arrière-arrière petit-fils de Philippe d’Orléans, dit Monsieur, frère de Louis XIV.
Eh ben décidément, c’est la fête à la coquille sur cet article! Je viens de corriger.
Merci également pour les précisions sur l’arbre généalogique de notre cher Louis-Philippe!
Je ne peux qu’applaudir des deux mains (j’ai déjà essayé d’applaudir à une seule, mais ce n’est pas si facile) pour ce site magnifique!
C’est le site dont j’ai toujours rêver… De la culture par paquets de douze sans se prendre au sérieux et sans langage pompeux.
BRAVOOOOOOOOOOOO!!!!!!!!!!!!!!!
MERCIIIIIIIIII!!!!!!!
🙂
L’enfant de la peinture ne peut pas être une « Gavroche », puisque le terme, inventé par Hugo dans Les Misérables, n’est passer dans le langage courant qu’en 1834!
(je vous taquine)
Le Gavroche de Hugo meurt d’ailleurs dans Les Misérables en 1832, sur une barricade durant une insurrection parisienne.
Je suis tombé par terre,
C’est la faute à Voltaire
Le nez dans le ruisseau,
C’est la faute à…
Il meurt avant d’avoir le temps de finir…
* ne peut pas être UN Gavroche
Desolé pour le double post
Merci pour ce complément d’infos ma foi fort intéressant!
Une anecdote qui reste à vérifier, mais je pense qu’elle est sérieuse:
La femme qui aurait servi de modèle à Eugène Delacroix pour son « La Liberté guidant le peuple », est certainement Théroigne de Méricourt.
C’est une femme pleine de panache pendant la révolution de 1789, qui porte toujours des pistolets et un sabre à sa ceinture (vous voyez le genre).
Le 13 mai 1793, elle prend partie pour Brissot, le chef de file des Girondins, ce qui ne plaît pas du tout aux Jacobins. En pleine assemblée nationale, des femmes du parti adverse se ruent sur elle, la déculotte, et lui inflige une fessée.
L’anecdote restera connu sous le nom de « fessée républicaine »!
C’est Marat qui mettra fin à ce lynchage en règle. On raconte que peu après Théroigne de Méricourt perdit la raison… Théroigne n’est pas très connue aujourd’hui, mais elle inspira quand même de nombreux artistes dont Baudelaire dans les Fleurs du Mal ou le compositeur August De Boeck qui écrivit un opéra éponyme.
Depuis, on prend coutume de la représenter avec un sein à l’air, comme sur le tableau de Delacroix…
Vrai u pas, l’anecdote méritait d’être signalée je pense 🙂
Elle au moins ne fut pas guillotinée comme Olympe de Gouges ou Manon Roland…
**tousse tousse **
Merci beaucoup pour cette info super intéressante!
Je n’avais jamais entendu parler de cette Théroigne de Méricourt…
Il est vrai que sur certaines gravures on la retrouve avec un sein à l’air:
Simple coïncidence ou clin d’oeil caché de Delacroix? Il faut poursuivre les investigations!
Djinnzz, ne pas connaître Théroigne de Méricourt est une faute impardonnable!
Si elle est représentée un nichon à l’air, c’est qu’il y a une raison: la belle a écrit un livre érotique!
Le titre à rallonge met tout de suite dans l’ambiance: « le Catéchisme libertin à l’usage des filles de joie et des jeunes demoiselles qui se décident à embrasser cette profession »
Elle donne donc ses conseils aux jeunes prostituées: toujours se faire rémunérer comme il se doit, toujours avoir un petit martinet dans le tiroir de sa table de nuit pour satisfaire les clients exigents, savoir s’arrêter à temps (avant d’être vieille et laide)
et caetera, et caetera…
Un lien vers le texte intégral, assorti de belles illustrations d’époque (PEGI 18 !!)
http://www.gutenberg.org/files/26607/26607-h/26607-h.htm
Vous me décevez beaucoup de ne point connaître, maître Djinnzz!
Je savais bien que j’avais déjà vu ce tableau quelque part (l’auto-portrait de Delacroix)
C’est sur les anciens billets de 100 Francs!
Bien vu!
Insolemment intelligent. Merci.
Attention! « Le radeau de la méduse » n’est pas une oeuvre de Delacroix mais de Théodore Géricault.