Le vase de Soissons: c’est peut-être un détail pour vous, mais pour la France, ça veut dire beaucoup!
Dans la deuxième moitié du Vè siècle, le territoire qui deviendra un jour la « France » est loin d’être homogène. Les vestiges des tribus gauloises et les invasions successives des peuples outre-Rhin n’ont pas encore permis de créer une véritable nation. En cette période trouble où une multitude de royaumes barbares (Burgondes, Wisigoths, Ostrogoths, Francs,…) se font constamment la guerre, il ne reste plus grand chose de la grandeur de l’Empire romain.
Un peuple commence à tirer son épingle du jeu dans ces luttes incessantes: ce sont les Francs menés par Clovis, le petit-fils du légendaire Mérovée. Le peuple des Francs n’est pas un peuple à proprement parler. En réalité, il s’agit plutôt d’une ligue composée de différents peuples germaniques composée de Chamaves, de Tenctères et autres Usipètes qui se sont regroupés pour faire face à la pression des invasions des Huns d’Attila quelques décennies plus tôt. Eh oui, cher lecteur, que vous le vouliez ou non, du sang usipète coule peut-être dans vos veines!
Eh oui, cher lecteur, que vous le vouliez ou non, du sang usipète coule peut-être dans vos veines!
À peine est-il proclamé roi de son peuple que Clovis s’attaque aux vestiges de l’Empire romain sur un territoire correspondant grosso modo au Nord-Ouest de la France actuelle. Son principal adversaire est le général romain Syagrius qu’il parvient à défaire à Soissons au terme d’un combat épique. Soissons, Soissons… Si ce nom vous dit quelque chose, c’est normal, c’est justement là qu’aura lieu un des épisodes les plus célèbres de l’Histoire de France, dont les principaux protagonistes sont Clovis, un vase, et le crâne d’un soldat…
L’Europe en 481 après Jésus-Christ
Une fois en possession de la ville de Soissons, les Francs procèdent au partage des richesses conquises. Comme le veut leur coutume, celles-ci doivent être réparties équitablement entre les combattants: du simple troufion au plus prestigieux chef militaire, tous ont droit à la même part du butin et PERSONNE, pas même Clovis, ne peut s’arroger un quelconque trésor de façon autoritaire. C’est ça, la démocratie made in les Francs. Clovis a justement des vues sur un magnifique vase qu’il aimerait beaucoup offrir à l’évêque de Reims (le futur Saint-Rémi) pour nouer une sérieuse relation diplomatique avec lui. Petit problème, un de ses soldats refuse tout simplement qu’il s’en empare! On croit rêver! Le voyez-vous, ce simple soldat qui ose défier le roi pour un simple vase? Simple inconscience? Volonté délibérée de nuire à son souverain? Je ne saurais vous le dire… Mais en tout cas, Clovis, qui pense qu’il y a de grands coups d’épée dans la gueule qui se perdent, ne souhaite pas s’opposer à la tradition franque. Pour le moment, il ronge son frein et fait une croix sur le magnifique vase. Vous la sentez, sa grosse frustration qui monte, qui monte?
– Alors toi, tu perds rien pour attendre, mon gars! marmonne-t-il entre ses dents avant de tourner le dos à l’insolent.
Le hasard va justement lui donner l’occasion de prendre sa revanche. Un an après les événements de Soissons, le 1er mars 487, durant une banale revue de troupes, Clovis tombe de nouveau sur le fameux soldat. J’en connais un qui va passer un sale quart d’heure!
– Tes lacets sont défaits, soldat!
– Euh… J’ai pas de lacets. C’est des sandales.
– Tais-toi, soldat. Baisse-toi!
Ni une, ni deux, Clovis lui brise le crâne d’un coup d’épée devant les yeux médusés de ses camarades. Se faisant, il aurait proféré cette célèbre phrase: « Souviens-toi du vase de Soissons! » (enfin quelque chose du genre, il ne parlait même pas français de toute façon…). Car le roi des Francs n’a peut-être pas le droit de s’approprier les richesses qu’il désire après le pillage d’une ville conquise, mais il conserve le droit de vie et de mort sur chacun de ses hommes! C’est aussi ça, la démocratie made in les Francs!
Plus qu’une simple anecdote, l’épisode du vase de Soissons montre déjà le fort attachement de Clovis au clergé. C’est d’ailleurs l’évêque Rémi qui le sacrera roi de France dix ans plus tard. La christianisation de la France est sur les rails!
Neuf ans après l’épisode du vase de Soissons, en 496, a lieu la bataille de Tolbiac durant laquelle Clovis combat face aux Alamans. Et le combat est plutôt mal engagé! Acculé, sur le point d’être vaincu, Clovis prononce quelques mots qui vont faire basculer l’avenir de l’Europe et de la France pour les siècles et les siècles à venir. Une simple phrase. Non, plus qu’une phrase, un serment: « Dieu de Clotilde, si tu me donnes la victoire, je me ferai chrétien! ». Clotilde, c’est une princesse burgonde et chrétienne qu’il a épousée non par amour – une notion pas vraiment à la mode à l’époque – mais pour forger une alliance stratégique avec son peuple.
Plus qu’une simple anecdote, l’épisode du vase de Soissons montre déjà le fort attachement de Clovis au clergé.
Simple boutade lancée par le roi des Francs au plus fort d’une bataille qu’il croit perdue d’avance? C’est sûr qu’à ce moment précis, Clovis n’a pas grand chose à perdre: il est sur le point de se faire tailler en pièces par l’ennemi! Mais les voies du Seigneur sont impénétrables… Ce dernier a-t-il entendu, de tout là-haut, la promesse faite par Clovis? C’est en tout cas ce que beaucoup croiront tant le miracle qui se produit est invraisemblable…
En quelques minutes, le cours de la bataille de Tolbiac est totalement renversé et, contre toute attente, les Francs parviennent à écraser les Alamans! Après sa victoire inattendue, Clovis tient parole et se convertit au christianisme avec 3.000 de ses meilleurs soldats.
Déroute des Germains après la bataille de Tolbiac en 496, huile sur toile de Charles-Évariste-Vital Luminais, XIXe sièce
Ainsi commence une relation compliquée entre la Royauté et le Clergé qui forgera notre nation pour les siècles et les siècles à venir. Mais ça, c’est une autre histoire…
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Comme toujours, une fine rencontre entre humour et savoir, petite mention spéciale pour les « chamans et ceux qui pètent »… Toujours un régal à lire.
Juste un petit rajout, les barbares ne sont pas uniquement arrivés à force d’invasions et de gue-guerres, les incursions sont aussi ce qui a permit à une grande partie de ses barbares de constituer les peuples habitant sur le territoire que nous nommons France aujourd’hui.
Lorsque Rome s’est cassé la figure, les barbares qui étaient à sa solde ont quitté ses rangs pour s’installer un peu partout en Europe, généralement là où ils étaient déjà, ils n’allaient pas retourner sur leurs terres d’origine avec laquelle ils n’avaient plus de liens. L’arrivée des barbares n’a pas été si sanglante que ça en fait.
La version la plus répandue de l’épisode du vase de Soissons dit que, lorsque Clovis demande à ses troupes de récupérer le fameux vase, tous ses hommes lui disent oui de bon coeur. Tous? Non! Un irréductible abruti s’oppose à lui:
– Tu n’auras que a part du butin que le sort t’attribuera, comme tout le monde!
Et ce crétin donne un coup d’épée dans le vase, soit le brisant, soit le cabossant, les historiens n’ont aucune idée du matériau utilisé pour fabriquer ce vase.
Plus tard, comme vous le racontez, Clovis se vengera en brisant le crâne du soldat, tout comme celui-ci avait brisé le vase de Soissons…
Le vase de Soissons: l’exemple parfait d’un événement que tout le monde croit connaître mais, quand on demande d’expliquer, plus personne ne se rappelle!
(« Euh… Bah en fait, c’est l’histoire d’un mec, il prend un vase et il le casse. Et… voilà… »)
Merci à vous de réagiter mes neurones et de me réactiver la mémoire sur un épisode dont j’avais forcément entendu parler à l’école mais que j’avais complètement oublié!
ETC: agitateur de neurones: ça ferait un beau slogan, non? 😀
– De fait, l’article ne mentionne pas qu’en 486, le soldat a bel et bien brisé le fameux vase.
– Dans les tribus germaniques, aucun chef de guerre n’avait de « droit de vie et de mort sur chacun de ses hommes ». La tradition chez les chefs et rois germaniques était d’être élus par leur propre peuple. Hugues Capet a jeté un pavé dans la marre en établissant une royauté par filiation, donc une dynastie. En revanche, de l’autre côté du Rhin, on a continué à élire les empereurs jusqu’à la dissolution de l’empire germanique en 1806.
Par ailleurs, les tribus germaniques de cette époque étaient plus avancées sur le plan égalité homme-femme que les romains ou les grecs. Le XVIè et le XVIIè siècle ont vu naître l’absolutisme en Europe (Jacques I et Charles I Stuart, Louis XIV…). Et encore ! Louis XIV n’a jamais osé faire mettre à mort d’autorité Nicolas Fouquet : il a insisté pour qu’un jugement ait lieu.
En Europe, le « droit de vie et de mort » sur qui que ce soit a toujours été une idée honnie.
merci pour cet article très bien écrit et les commentaires utiles.
Pour ma part, plus que l’anecdote, c’est sa signification qui m’interroge. Pourquoi ce petit fait divers fait-il partie intégrante de notre imaginaire collectif que d’aucun appellent notre psyche national (pour ne pas dire nationaliste)?
On peut trouver sur ce lien quelques éléments de réponse
https://www.futura-sciences.com/sciences/questions-reponses/histoire-histoire-vase-soissons-5545/
Symbole de la centralisation de l’autorité contre le ‘démocratisme’ primaire des tribus germaniques, confirmation des rapports hiérarchiques, et bientôt de classe, le tout couvert d’un rapprochement en cours avec l’église concilaire, déjà bien rangée aux côtés des grands, comme moyen sacré de valider la prise de pouvoir d’une nouvelle classe de guerriers. Les fondements de notre société… française. Depuis!
Se souvenir, au passage, que l’acte atroce (d’aucun disent barbares ou même sauvage, mais ne tombons pas dans ce piège linguistique) de Clovis sur le crâne du pauvre petit soldat n’est qu’un acte atroce de plus dans sa longue liste d’assassinats qui lui ont permis de devenir notre roi fondateur.