Quand une histoire d’érection fait tomber la France dans le chaos…
Philippe Auguste est un des personnages les plus connus de l’Histoire de France. Pour avoir botté les fesses des Anglais à Bouvines en 1214 à l’issue d’une bataille éclatante, il mérite en effet de figurer au Panthéon des grands chefs d’État.
Mais saviez-vous que son impuissance sexuelle a bien failli mener la France au bord du gouffre?
L’histoire démarre en 1193 comme un conte de fée: toute la Cour du roi est rassemblée pour accueillir une magnifique jeune femme de 18 ans au visage angélique. Sœur du roi Knud, cette princesse danoise fait instantanément chavirer le cœur du roi de France. Ses yeux bleus profonds, sa chevelure blonde abondante, sa peau blanche comme le marbre… comment ne pas succomber à ses charmes? Instantanément subjugué par sa beauté, le brave Philippe en perdrait presque ses moyens. Le rouge commence à lui monter aux joues. Sera-t-il à la hauteur, lui qui, à seulement 28 ans, est devenu laid comme un poux, le visage marqué par les maladies contractées lors de sa Croisade à Saint-Jean-d’Acre quelques années plus tôt? Mais Philippe chasse ces mauvaises pensées: l’heure n’est pas au doute et il n’est pas question de perdre les pédales devant toute sa Cour rassemblée pour l’occasion. Il dévisage sa future épouse.
Ingeburge, c’est son nom, lui offre en retour un large sourire.
– Hej, hur mår du?
Philippe a un instant d’hésitation. Se pourrait-il que la future reine de France ne parle QUE le danois? C’est ce que lui confirme l’évêque de Noyon en tout cas… Tout juste maîtrise-t-elle quelques mots de latin! Qu’à cela ne tienne, après tout… Le roi ne souhaite pas l’épouser pour disserter avec elle sur le sens de la vie et de l’Univers… Sentant monter en lui le désir de posséder la jeune femme, il ordonne aussitôt au cortège de se diriger vers la cathédrale pour célébrer son mariage sans perdre une seconde.
L’intérieur de la cathédrale d’Amiens où furent mariés Philippe Auguste et Ingeburge
Puis vient l’instant tant attendu de la nuit de noces. Allongée sur le lit, le cœur battant la chamade, Ingeburge attend patiemment que son mari vienne la rejoindre. Celui-ci, depuis quelques minutes, a un comportement étrange… Nerveux, il se met à marcher de long en large dans la chambre nuptiale, regardant fixement le sol. À peine ose-t-il parfois jeter un regard rapide sur les formes généreuses de son épouse…
– Hej, hur mår du?
Certes, la jeune fille n’a aucune idée de la chose… Mais elle se rend bien compte que quelque chose cloche! Désespérant de ne pouvoir communiquer avec Philippe, Ingeburge vit probablement les instants les plus embarrassants de son existence…
Finalement, Philippe vient se coucher à côté d’elle mais lui tourne le dos. Au bout de quelques minutes, elle prend son courage à deux mains et tente de caresser maladroitement les cuisses de son conjoint… avant de se faire remettre en place rapidement! Se pourrait-il que ce soit cela, ce que l’on appelle « faire l’amour »? La princesse danoise n’a pas vraiment l’expérience de la chose… Complètement perdue, elle sombre dans un sommeil tourmenté.
Le lendemain matin, l’humeur massacrante de son mari n’a guère évolué… Les époux s’en retournent à la cathédrale d’Amiens pour la cérémonie du sacre de la reine. Tous les chroniqueurs de l’époque en témoignent: Philippe n’est décidément pas dans son assiette. Le regard fuyant, quelque chose le tracasse visiblement au plus haut point! Au cours de la cérémonie, il déraille même complètement! Tout son corps se met à trembler, de grosses gouttes de sueur perlent sur son visage. Pire, il semble être terrorisé par le simple fait de devoir toucher Ingeburge! Mais que se passe-t-il donc? Consciencieusement, l’archevêque parvient malgré tout à terminer la cérémonie du sacre malgré l’étrange comportement du roi.
Plus tard dans la journée, c’est un Philippe fébrile et et une Ingeburge en larmes qui prennent le chemin du retour vers leur château sans échanger le moindre mot, le moindre regard. À peine arrivé, le roi fait mander son Conseil sur le champ. Va-t-on enfin connaître le fin mot de l’histoire?
Devant son Conseil réuni à la hâte, Philippe fait une déclaration fracassante: il veut renvoyer du pays sur le champ la princesse danoise!
– Mais enfin, Philippe, quand nous direz-vous enfin ce qui se passe?
– Elle m’a noué l’aiguillette! s’exclame alors le roi, au bord des larmes.
La stupéfaction tombe sur l’assemblée.
– Vous…vous en êtes bien sûr?
– Mais puisque je vous le dis! Hier soir, elle était allongée nue sur le lit… Je me suis approché d’elle et… rien! Absolument rien! Elle m’a noué l’aiguillette, j’vous dis!
Avoir l’aiguillette nouée, en cette fin du XIIe siècle, est une expression très répandue synonyme d’impuissance sexuelle… Philippe a une simple « panne », et voilà la pauvre Ingeburge accusée à mots à peine voilée de sorcellerie!
– Mais, Philippe, dans ce cas, pourquoi ne pas avoir annulé la cérémonie d’intronisation de la reine?
– Je… Je… Je pensais que les sacrements de l’archevêque lèveraient le maléfice qu’elle m’a lancé… avoue-t-il, tout penaud.
En attendant, tous les membres du Conseil sont unanimes, il faut renvoyer la princesse danoise chez elle. L’annulation du mariage ne posera pas de problème: la non-consommation durant la nuit de noces est un motif largement suffisant… Mais c’est sans compter la réaction violente d’Ingeburge… Hors de question pour elle de se laisser évincer du trône sans se battre! Elle vient d’être sacré reine de France et compte bien le rester!
Réussira-t-elle à obtenir gain de cause? Sera-t-elle brûlée sur un bûcher pour avoir ensorcelé son royal mari? Le suspense est à son comble!
Dans l’attente de se mettre d’accord sur le sort qu’on lui réserve, la pauvre Ingeburge est conduite manu militari à l’abbaye de Saint-Maur-des-Fossés. Au milieu des nonnes, au moins ne pourra-t-elle plus nouer l’aiguillette à qui que ce soit!
Ruines de l’abbaye de Saint-Maur-des-Fossés dans laquelle Ingeburge est enfermée. Brrrr… Pas très accueillant, tout ça…
Avant de prendre la moindre décision définitive, Philippe se laisse convaincre par ses conseillers de donner une nouvelle chance à Ingeburge.
– Sire, passez donc une nouvelle nuit avec elle. Si votre aiguillette est toujours nouée, nous aviserons.
– Hors de question! Cette sorcière danoise ne mettra plus jamais les pieds dans mon palais, vous m’entendez?
– Mais vous rendez-vous compte que le roi Knud ne pourra jamais accepter une telle décision?! Nous sommes à deux doigts d’une guerre avec le Danemark!
Après des heures de discussion sur la quéquette de Philippe, les conseillers et le roi parviennent finalement à trouver un compromis: il accepte de passer une deuxième et dernière nuit avec son épouse, mais c’est lui qui se rendra au couvent où elle est recluse.
Lorsqu’elle le voit pénétrer dans sa cellule, Ingeburge est à la fois terrorisée et pleine d’espoir.
– Hej, hur mår du? lui demande-t-elle poliment.
– Hejurmardu toi même, sorcière! lui répond-il alors, énervé.
Bon gré, mal gré, le roi se déshabille et s’allonge sur la paillasse… Mais une cellule monacale crasseuse n’est pas forcément l’endroit idéal pour retrouver la vigueur de ses 20 ans… Pire, le Christ qui trône fièrement sur sa croix au-dessus du lit semble dévisager avec insistance le monarque… Dans ces conditions, comment espérer que la bêbête royale parvienne à s’élever vers les cieux?
Le lendemain matin, c’est avec une humeur massacrante qu’il annonce la mauvaise nouvelle à ses conseillers: son aiguillette ne s’est pas dénouée. Plus le choix, une décision radicale s’impose!
– Bon ben… Y’a plus qu’à dire que vous n’avez pas consommé, et le pape sera bien forcé d’annuler votre mariage…
– Vous n’y pensez pas mon ami! Et tout le Royaume saura que le roi de France est impuissant? Trouvez-moi une autre idée sur le champ!
À force de fouiller dans l’arbre généalogique d’Ingeburge, on trouve finalement un argument de poids: il s’avère que la première épouse de Philippe, Isabelle de Hainaut, a un lien de parenté – certes lointain, mais un lien de parenté quand même! – avec Ingeburge.
En toute honnêteté, c’est le contraire qui aurait été étonnant à cette époque où toutes les familles royales européennes se mariaient entre elles et où le mariage entre cousins germains étaient monnaie courante… Mais qu’importe! Le roi Philippe tient maintenant un argument pour rompre son mariage sans craindre le déshonneur. Moins de trois mois après sa première rencontre avec Ingeburge, l’annulation du mariage est prononcée à l’issue d’une parodie de procès tenu par un tribunal ecclésiastique à Compiègne.
Sans perdre une seconde, Ingeburge est de nouveau enfermée au couvent. Il ne lui reste plus que deux choses au monde: ses yeux pour pleurer et une plume pour informer le pape de sa situation.
Justement, que pense le pape de tout cela? Célestin III est bien embêté… Bien sûr, il refuse de ratifier l’annulation du mariage. Mais a-t-il réellement envie de se lancer dans un bras de fer à l’issue incertaine avec le puissant Philippe Auguste? Il est maintenant âgé de plus de 80 ans et n’a plus vraiment l’énergie pour mener un tel combat…
Pendant ce temps, Philippe Auguste retrouve avec bonheur les plaisirs que procurent une aiguillette en pleine possession de ses moyens! Il jette son dévolu sur une certaine Agnès de Méranie, tant et si bien qu’il l’épouse en mai 1196. Ironie de l’histoire, la cérémonie a lieu à Compiègne, sur les lieux mêmes où Ingeburge fut injustement bafouée.
Philippe et Agnès filent le parfait amour jusqu’à la mort de Célestin III, en janvier 1198. Son successeur, Innocent III, ne l’entend pas de cette oreille. Lui n’est pas fatigué par le poids des ans et entend bien se faire respecter auprès du pouvoir royal français!
Ni une, ni deux, il somme Philippe Auguste de répudier Agnès et de traiter son épouse légitime, Ingeburge, avec décence – ce que Philippe refuse évidemment. Innnocent III prend donc une mesure radicale: il jette l’interdit sur le Royaume de France et excommunie le roi!
– Ah ah! Alors, c’est qui le chef, hein?
Le pape Innocent III jette l’interdit sur le Royaume de France
Que le lecteur qui pense à ce moment de la lecture que l’action du pape est purement symbolique se détrompe. L’interdit sur un Royaume a des conséquences incroyablement graves: par exemple, les morts ne peuvent plus être enterrer et s’entassent sur les places publiques… Surtout, les âmes des habitants du Royaume sont promis à la damnation éternelle! C’est dire à quel point l’entêtement de Philippe Auguste est mal perçu par la population. Pour une simple histoire d’amour de leur souverain, les voilà tous condamnés à brûler en enfer!
Un vent de la révolte souffle sur la France.
Sous la pression papale et populaire, c’est la mort dans l’âme que Philippe se voit obliger de sortir Ingeburge du couvent de de la reprendre officiellement comme épouse.
« Hej, hur mår du? » furent certainement les premiers mots de la princesse danoise lorsque Philippe lui apparut sur le pas de sa cellule…
Innocent III est satisfait, il vient de faire la démonstration de la toute-puissance de l’Église devant l’Europe entière. Que tous les monarques se le tiennent pour dit!
Hélas pour la pauvre danoise, sa triste vie ne se transforme pas en conte de fée pour autant… À peine l’interdit sur la France levé que Philippe la renvoie en prison à la forteresse d’Étampes où elle passera encore douze ans – oui, DOUZE ans! – enfermée et privée de tout. Y’a des gens qu’ont vraiment pas de bol dans la vie…
Pour une raison étrange, en 1213, Philippe rappelle Ingeburge auprès de lui et lui donne enfin les honneurs auxquels elle a droit. Le conflit avec l’Angleterre de Jean Sans Terre faisant rage, peut-être veut-il par cette bonne action s’attirer les bonnes grâces divines? Cela lui réussit plutôt bien en tout cas car moins d’un an plus tard il s’illustre sur le champ de bataille durant la bataille de Bouvines…
La France sous Philippe Auguste
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Je suppose qu’on ne saura jamais ce que signifie « Hej, hur mår du? » 😛
Très bonne histoire, bien racontée.
Bonjour à vous de Liège – Belgique:
Votre histoire m’a bien fait sourire et parfois rire, moi qui suis assez féru d’Histoire et qui ai écrit un essai historique sur la poursuite des sorcières en Europe et en pays de Liège.. bref, c’est un autre sujet:
Vous vous posez la question de ce que veut bien dire : Hej, hur mår du?
Tout simple: » Bonjour, comment allez-vous ? « …
Bien cordialement. 🙂
Je vais très bien, merci ! 😉
Cet essai historique que vous avez écrit, on peut le lire ?
Traduction : Salut, comment vas-tu ? Petite précision ça signifie exactement la même chose en danois et en suédois.
On voit bien plusieurs aspects de la vie du Moyen-Age qui ressortent de l’article: la croyance en la magie, la lutte entre pouvoir temporel et séculier (qu’on retrouvera dans l’épisode de Canossa par exemple), la difficulté des mariages arrangés, etc… Manque plus que la présence de l’Inquisition pour compléter le tableau.
Très bonne anecdote qui nous montre que les petites histoires sont parfois plus intéressantes que la Grande!
« Dans ces conditions, comment espérer que la bêbête royale parvienne à s’élever vers les cieux? »
C’est pour ce genre de petites phrases que j’adore ce site 😎
En jouant les petits curieux, j’ai cherché ce que signifiait le fameux leitmotiv du texte.
D’après mes recherches, « Hej, hur mår du? » c’est pas du danois mais du suédois
En danois, ça donnerais plutôt : « Hej, hvordan har du det? » (d’après Wiktionnaire)
La séparation des deux langues se serait effectuée au XIIéme siècle.
On parle de langues différentes mais il semble qu’on soit plutôt face à deux dialectes d’une même langue issue du Norrois (en quelque sorte le Latin des Scandinaves).
C’est toujours un plaisir de lire ces articles très drôles et bien écrit.
« Tack »… ou plutôt « Tak ».
Ah ah ah! Bien vu kelkundote! Je me demandais justement si quelqu’un aurait la curiosité de faire la recherche.
J’ai préféré mettre la phrase en suédois pour avoir l’ « anneau en chef » dans la phrase (nom donné au rond au dessus de la lettre sur le a). Je trouvais que ça faisait plus nordique! 😛
Merci pour vos compliments en tout cas!
Ahah ! Mais elle est géniale cette histoire ! Pauvre Ingeburge elle n’a pas dû comprendre ce qui lui arrivait…
Franchement je me régale à lire toutes ces histoires !! 😆
Merci beaucoup! 🙂
Bonjour. Comment vas-tu ?
Euh… Bien, merci! 😀
Juste une petite note orthographique: « laid comme un poux » doit s’écrire en fait « laid comme un POU ». Poux, c’est le pluriel 🙂
Un vrai régal que la lecture de ces articles. Merci pour ce site que je viens de découvrir en parcourant les méandres de la toile. J’y suis…j’y reste comme dirait loutre !
Deformation professionnelle : cherchez l’intrus
C’est la mort dans l’âme que Philippe se voit obliger de sortir Ingeburge du couvent de de la reprendre officiellement comme épouse.
Je ne vous remercie pas. Ma petite fille qui regardait l’ordinateur avec moi me demande ce que c’est qu’une érection.
Je dis quoi, moi, maintenant?
Comme tout le monde :
« Tu demanderas à maman (ou à papa)… » 😉
Bonne réponse! 😆
Bonjour, une petite précision concernant le lieu du mariage qui n’a pas eu lieu dans l’édifice actuel (représenté par votre photo) qui n’ a été construit qu’à partir de 1220 ! ce mariage ayant eut lieu en 1193 ……