Richard Cœur de Lion et Philippe Auguste, deux « amis » un peu trop proches
Deux rois iconiques de leur époque
Après avoir été répudiée par son mari Louis VII, roi de France, Aliénor d’Aquitaine épouse Henri II, roi d’Angleterre, en 1152. Grâce à sa dot, elle apporte à l’Angleterre tout le Sud-Ouest de la France. Cinq ans plus tard, elle donne naissance à un petit garçon qui deviendra en 1183 Richard Cœur de Lion, roi d’Angleterre.
Depuis 1180, la France, quant à elle, est gouvernée par le roi Philippe Auguste, fils du détesté Louis VII.
Bien. Le décor étant planté, étudions en détail les relations entre ces deux monarques… Philippe Auguste craint la puissance de l’Angleterre. Fin stratège, il se rapproche de Richard et se dit son meilleur ami et devient même… son amant ! L’info peut paraître déroutante, et elle fait d’ailleurs l’objet de débats passionnés…
Une histoire d’amour entre les deux monarques ?
Ce sont les chroniqueurs de l’époque qui nous mettent la puce à l’oreille. Au XIIe siècle, Benoît de Peterborough ou Roger de Hoveden, par exemple, parlent d’amour entre les deux jeunes hommes, et écrivent même noir sur blanc qu’ils partageaient le même lit.
(…) quem ipse in tantum honoravit per longum tempus quod singulis diebus in una mensa ad unum catinum manducabant, et in noctibus non separabat eos lectus.
Richard Cœur de Lion, Michèle Brossard-Dandré et Gisèle Besson , pp. 320–321.
Cet amour est important à comprendre, car c’est ce sentiment très fort qui explique sans doute la véritable haine qu’ils se voueront par la suite et qui finira par mettre l’Europe à feu et à sang… (nous en reparlerons)
Le terme d’ « amour » entre deux hommes n’avait certes pas la même connotation à l’époque médiévale qu’aujourd’hui. Deux amis pouvaient très bien partager leur couche sans qu’il ne se passe rien de physique entre eux. C’est du moins la position de certains historiens d’aujourd’hui… Cette théorie semble tout de même tiré par les cheveux… À croire que cela dérange tant que cela que deux grands rois puissent entretenir des rapports charnels ?
Pour être complet sur le sujet (et sans y passer trois plombes non plus), à propos de la relation ambiguë entre les deux monarques, les historiens actuels se partagent entre trois courants de pensée :
– Philippe Auguste et Richard Cœur de Lion étaient amants, et puis c’est tout. Si les deux hommes partageaient le même lit, ce n’était pas pour faire de la broderie… (historien britannique John Harvey, par exemple)
– Les deux rois n’étaient PAS DU TOUT amants. Cette idée ne serait apparue qu’au XXè siècle et s’appuierait uniquement sur des interprétations anachroniques de certains faits connus (John Gillingham, biographe de Richard Cœur de Lion ou encore Jean Flori, historien médiéviste réputé sont de ceux-là).
– Le camp des p’têt bien qu’oui, p’têt bien que non. Étant donné qu’il n’y a pas de preuves formelles de leur homosexualité… on ne peut rien en conclure ! (c’est la thèse – ou plutôt la non-thèse ! – soutenue par l’historien William E. Burgwinkle)
Bref, ils avaient peut-être une liaison, peut-être pas.
Ce qui est chouette, dans cette affaire, c’est que chacun pourra donc choisir son camp en fonction de sa propre sensibilité… Quant à moi, l’idée d’avoir les deux hommes les plus puissants de la planète (ou presque) se faire des guilli-guilli sous la couette, me plaît assez… Je me range donc, de façon totalement arbitraire, du côté de John Harvey, ne vous en déplaise!
Les choses se gâtent durant la troisième Croisade
C’est donc la main dans la main (façon de parler) que Richard et Philippe partent pour la troisième Croisade en Terre sainte. Richard est plein d’entrain et veut combattre valeureusement les Infidèles. Philippe Auguste, lui, a des ambitions un peu plus politiciennes… Feignant la maladie, il rentre en Europe et plante un poignard dans le dos de Richard Cœur de Lion (façon de parler, encore). Il s’allie avec le frère et ennemi de celui-ci, le terrible Jean Sans Terre, pour tenter de l’asseoir sur le trône d’Angleterre. Cette querelle entre frères, pense-t-il, affaiblira le royaume d’Angleterre… ce qui renforcera la position de la France par ricochets.
(mais dis-moi Philippe Auguste, tu serais pas un peu pourri sur les bords? Pense à la chance qu’une si belle « amitié » (hum, hum) entre le roi de France et d’Angleterre aurait pu apporter! Et tu fous tout ça en l’air… honte sur toi!)
Richard, quand il apprend la nouvelle depuis la Terre Sainte, est fou de colère ! Être trahi à la fois par son plus fidèle ami et par son petit frère, on a vu mieux comme situation.
Il n’a plus trop la tête à la reconquête de la Terres Sainte, du coup. Cela ne l’empêche certes pas de multiplier les victoires militaires contre les troupes de Saladin. En position de force, il négocie un traité de paix avec le chef des troupes musulmanes, et peut ainsi rentrer illico presto au pays. C’est pas trop tôt !
Le retour peu glorieux de Richard Cœur de Lion de la Croisade
Mais le chemin du retour n’est pas de tout repos… et notre pauvre Richard va jouer de malchance. Sa flotte étant partie quelques jours avant lui, il la suit avec un seul vaisseau. Mais la météo s’en mêle: Richard doit affronter des vents contraires et bientôt, une tempête le jette sur les côtes italiennes, non loin de Venise. Et à qui apparient ces terres, je vous le demande ? À un de ses plus farouches ennemis, qui lui en veut d’avoir causé la mort de son oncle, le marquis de Montferrat.
Plus d’autre choix pour Richard et ses compagnons que de passer en mode furtif: ils enfilent des costumes de pélerin et s’apprêtent à traverser l’Europe incognito… Mais le subterfuge ne tient pas: le 11 décembre 1192, Richard est arrêté dans le village d’Erperg, aux environs de Vienne. C’est un autre ennemi qui le tient cette fois prisonnier: Léopold, duc d’Autriche, vexé que le monarque anglais l’ait insulté pendant la Croisade… Le destin d’un homme tient à peu de choses…
Léopold monnaye son illustre prisonnier à un autre de ses ennemis (décidément) : il le livre à Henri VI, empereur du Saint Empire, pour la somme de 60.000 livres. L’empereur compte bien faire fructifier cet investissement! Richard Cœur de Lion est retenu captif pendant plus d’un an… il sera finalement libéré contre une rançon de 100.000 marks d’argent (grosso modo l’équivalent d’un an de recettes fiscales de l’Angleterre!) que sa mère Aliénor d’Aquitaine viendra porter en personne à l’empereur…
Et Philippe Auguste, dans tout ça ? Il jubile ! Mais il est un peu inquiet tout de même de la réaction de son ancien amant quand il sera libéré, comme en atteste le message qu’il transmet à Jean Sans Terre :
Tenez-vous sur vos gardes ; le diable est déchaîné.
Jean Sans Terre et lui tentent même de prolonger sa captivité en proposant à Henri VI la somme de 150.000 marks d’argent… Une offre que l’empereur décline avec mépris.
La libération de Richard Cœur de Lion
Heureusement, Aliénor d’Aquitaine, sa vieille mère, dépense une énergie incroyable pour négocier sa libération. Et voilà, en ce beau jour du 4 février 1194, Richard est enfin libre moyennant le paiement d’une rançon de 100 mille marks d’argent, une fortune !
En mars, il arrive en Angleterre, plus de quatre ans après son départ. Côté famille, l’histoire se termine bien : son petit frère Jean sans Terre fait son mea culpa et Richard lui pardonne finalement sa tentative de prise de pouvoir.
En mai, deux mois à peine après son retour en Angleterre, Richard repart pour la France, bien décidé à laver l’affront de Philippe Auguste dans le sang… Son destin sera tout autre : il meurt bêtement tout près de Limoges, en 1199, lors du siège d’un château de moindre importance…
Ainsi s’achève l’histoire de Richard Cœur de Lion, le roi au nom de camembert.
Richard Cœur de Lion mort, c’est le petit frère hargneux qui prend le relais
Et ensuite ? Comme prévu, Jean Sans Terre monte sur le trône d’Angleterre. Les anciens alliés deviennent ennemis : Philippe Auguste tente de l’affaiblir à son tour. La rivalité entre les deux nations se terminera lors de la bataille de Bouvines, en 1214 durant laquelle interviendront toutes les grandes puissances européennes.
Philippe Auguste est aujourd’hui considéré, sûrement à raison, comme l’un des plus grands Rois de l’Histoire de France. C’est vrai que, d’un point de vue purement historique, son action pour le royaume fut excellent. Mais, à mes yeux, il représentera toujours l’image du traître, du félon, qui sacrifia une belle histoire d’amour – ou a minima d’amitié – à des fins purement politiques.
C’est triste.
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Château de moindre importance, château de moindre importance, les De Châlus étaient quand même ducs, même s’ils ne sont pas passés à la postérité 😉
Toute a fait, cependant c’est aussi une marque de camembert qui a du caractère
Ce n’est pas tout à fait complet votre analyse, notamment concernant la position de Jean Flori : sur la base des récits des pénitences de Richard Coeur de Lion en 1191 et 1195, le médiéviste conclut à la probabilité d’une bisexualité.
Pas si fermé d’esprit, voyez-vous…
De plus, il était usuel dans la société chevaleresque que les hommes entretiennent ce genre de relation. C’est aussi pour ça que les chroniqueurs de l’époque le mentionnent avec autant de facilité, même de légéreté : ça ne chquait personne, puisque c’était dans l’air du temps.
Pour se faire une petite idée, qu’on imagine le scandale si, par exemple, une relation entre Toni Blair et François Hollande était découverte…
Au Moyen-Age, ils n’étaient pas aussi fermés d’esprit que nous…
Vu que Richard Cœur de Lion n’a pas eu descendance et délaissait le lit de son épouse, qu’il avait fait moultes fois publiquement pénitence pour ses péchés de « bougrerie » et de « sodomie », et que Philippe Auguste aimait les femmes et a eu des enfants, il est certain que si relation charnelle il y a eu, c’est assurément notre roi qui a pété la rondelle de l’anglais. L’honneur est sauf.
Effectivement Philippe AUGUSTE fut un des plus grands roi de France n’en déplaise à certains anglo-saxons qui ont tendance à tomber dans la caricature quand il le présente comme un affairiste, dénoué de toutes morale… face à un Richard Coeur de Lion rayonnant, Il n’y-a qu’à regarder ROBIN DES BOIS. C’est consternant!
Erratum : Il s’agit de dénué et non dénoué!
Je corrige à nouveau car c’est rempli de fautes :
Effectivement Philippe AUGUSTE fut un des plus grands rois de France n’en déplaise à certains anglo-saxons qui ont tendance à tomber dans la caricature quand ils le présentent comme un affairiste, dénué de toute morale… face à un Richard Coeur de Lion rayonnant, Il n’y-a qu’à regarder ROBIN DES BOIS. C’est consternant!