Quand Henri II se prend une lance dans la tronche…
An de grâce 1559.
« Oyé, oyé, peuple de Paris! Pour fêter comme il se doit le double mariage princier à venir, notre bon roi Henri a décidé d’organiser un tournoi exceptionnel! Vous êtes tous conviés pour cinq journées de folie durant lesquelles vous verrez s’affronter les plus grands chevaliers du Royaume! »
Les entendez-vous, ces messagers envoyés aux quatre coins de la capitale s’égosillant devant les foules? Mais à quels mariages font-ils allusion? Les heureuses élues sont Élisabeth et Marguerite, respectivement fille et sœur de notre bon roi Henri deuxième du nom qui s’unissent l’une avec Philippe II d’Espagne (épouser un roi, c’est quand même la classe) et l’autre avec Philippe-Emmanuel, duc de Savoie.
À quelques jours de la date d’ouverture des festivités, les ouvriers s’affairent encore rue Saint-Antoine pour monter les infrastructures du tournoi. Henri II, de son côté, commence sa préparation physique. Oui, le roi de France en personne veut participer à ce tournoi, et il compte bien le remporter! Cette nouvelle lubie ne plaît pas à son épouse Catherine de Médicis. Combien de fois lui a-t-elle rappelé qu’il devait se préserver, surtout en cette année 1559 durant laquelle le roi est dans sa quarante-et-unième année… Luca Gaurico, un astrologue en qui elle accorde toute sa confiance, ne lui a-t-il pas affirmé quelques années plus tôt que le roi devrait « éviter tout combat singulier en champ clos, notamment aux environs de la quarante et unième année »?
Mais Henri II est têtu comme une bourrique et ne veut rien savoir. Au diable toutes ces superstitions farfelues! Lui, c’est un mec, un vrai, et il veut remporter ce putain de tournoi. Fin de la discussion, merci d’être passée, au revoir Catherine.
– Tou réglettéra tlès foltement ton compoltément, mi amor, lui assure-t-elle quelques heures avant le début du tournoi avec son accent florentin à couper au couteau. Yé né plaisante yamais avec les plédictions dé mes astlologues!
Le roi Henri II blessé au tournoi des Tournelles le 30 juin 1588, par Édouard Detraille, 1906, musée de l’armée, Paris
La mort dans l’âme, elle voit son cher et tendre lui tourner le dos sans même daigner lui répondre. Catherine de Médicis va s’installer dans la tribune royale (ou échafaud – voir anecdote en bas de page). Tandis qu’elle se triture les mains et qu’elle prie tous les Saints qu’elle connaît de préserver la vie de son mari, Diane de Poitiers, la maîtresse officielle du roi depuis de nombreuses années, vient s’installer à côté d’elle.
Pour bien comprendre la haine qui oppose les deux femmes, je ne peux m’empêcher d’interrompre ici le récit pour partager avec vous une anecdote particulièrement savoureuse. Un soir, alors que Catherine lit un livre à la lueur d’une bougie, Diane lui demande ce qu’elle lit. La réponse de sa rivale ne se fait pas attendre: « Je lis les histoires de ce royaume, et j’y trouve que de tous temps, les putains ont dirigé les affaires des rois!« . Ambiance, ambiance, à la cour du roi de France…
Diane, donc, vient s’asseoir à côté de la reine. Les deux femmes se dévisagent et entament un combat du regard. « Non, yé né cédérais pas », pense l’épouse légitime. « Tu peux toujours crever pour que je détourne mon regard la première, grosse bique italienne », pense la seconde. Mais la trompette déclarant le début des combats se met à retentir et détourne simultanément leur attention, les metttant toutes les deux d’accord. Match nul, 1 partout, la balle au centre.
Cinq jours à être assises côte à côte, ça va chauffer!
N’imaginez pas Diane de Poitiers comme une jeune et fringante demoiselle dont la beauté époustouflante fit chavirer le cœur du roi… En réalité, Diane a la soixantaine bien tassée, c’est à dire vingt ans de plus que son royal amant! Les voies de l’amour sont impénétrables… Amoureux, justement, Henri II l’est éperdument. Au grand désarroi de Catherine de Médicis, il porte depuis de longues années les couleurs de sa bien-aimée – le noir avec quelques touches de blanc. Même le jour de son mariage avec Catherine, Henri II portait une plume noire et une plume blanche sur son chapeau en hommage à sa maîtresse! Il y a bien des femmes qui s’emporteraient pour moins que ça, c’est sûr
C’est l’heure des combats. Après avoir fait mordre la poussière au duc de Savoie (le futur mari de sa sœur), après avoir fait jeu égal – aucun des deux hommes n’est tombé de sa monture – avec le colossal duc de guise, le roi s’apprête maintenant à s’élancer pour son troisième combat contre Gabriel de Lorges, le commandant de la garde écossaise. Lorsque retentissent les clairons, les deux cavaliers brandissent leur lance et s’élancent l’un vers l’autre. L’assistance assiste, médusée, à un choc assourdissant. Les deux lances sont brisées mais le roi et Gabriel de Lorges sont encore en selle. Match nul!
Contre toute attente, Henri II ne veut pas se contenter d’une égalité. Alors que le règlement du tournoi ne l’y oblige en rien, il somme son adversaire de remonter en selle. Alors qu’ils s’apprêtent à s’élancer de nouveau l’un vers l’autre, les spectateurs retiennent leur souffle. Le choc est encore plus violent que lors de la première joute. Comble de malchance, la lance de son adversaire soulève la visière et rentre dans le casque du roi. À peine a-t-il le temps de comprendre ce qui lui arrive qu’Henri II se retrouve avec la moitié du visage arraché, la lance lui ayant percé l’œil droit avant de glisser et de ressortir par l’extérieur du visage. Plusieurs éclats de bois de plusieurs centimètres de long restent plantés dans l’orbite…
– Ma! Tou vois mon chéli, yé té l’avais bien dit qué tou aurais dou m’écouter! s’exclame Catherine de Médicis, accourant vers son cher et tendre.
Le tournoi fatal à Henri II, peinture allemande du XVIe siècle
Le roi ne perd pas connaissance tout de suite et est rapidement pris en charge par le célèbre médecin Ambroise Paré, le père de la chirurgie moderne.
Pour se faire la main et mettre toutes les chances de son côté pour réussir à guérir le roi, on fait décapiter des condamnés à mort et on amène leur tête encore sanguinolente au médecin. Ce dernier enfonce des morceaux de bois dans les yeux des malheureux, histoire d’essayer de comprendre comment marche cette partie du corps. Je vous épargne les détails à base de plaies purulentes, de saignées et de globe oculaire éclaté… Mais tous les efforts d’Ambroise Paré sont vains, et Henri II s’éteint une dizaine de jours après son accident.
Le petit plus pour briller en société
Un des plus célèbres quatrains de Nostradamus écrit plusieurs années avant la mort du souverain décrit avec des détails troublants l’accident d’Henri II:
Le lion jeune le vieux surmontera,
En champ bellique par singulier duel,
Dans cage d’or les yeux lui crèvera,
Deux classes une, puis mourir, mort cruelle.
Bon, d’accord, ç’aurait été plus clair si le devin avait clairement écrit « Henri II crèvera d’une lance dans l’oeil lors d’un combat singulier ». Après tout, ce « lion jeune » pourrait désigner n’importe qui! Sauf que les deux jouteurs – Henri II et Gabriel de Lorges, comte de Montgomery – portaient tous les deux un lion comme insigne lors de leur duel, que le casque d’Henri II était doré et que l’adversaire du roi était bien plus jeune que lui… Voilà de quoi faire parler dans les chaumières!
Coup de pot extraordinaire, prophétie auto-réalisatrice, adaptation de la réalité pour coller parfaitement à la légende? Gageons qu’il y ait certainement un peu de tout ça. Quoi qu’il en soit, ce quatrain donne à Nostradamus une notoriété sans précédent qui le fait rentrer au Panthéon des grands Hommes de notre Histoire…
La mort de Henri II, 1559, par Jacques Tortorel et Jean Perrisin
Le deuxième petit plus pour briller en société
Bien avant de désigner la sinistre estrade sur laquelle monte tout condamné à mort, l’échafaud désignait tout simplement, à partir du XIIIe siècle, une estrade pour les spectateurs, généralement réservée aux personnes de haut-rang.
Quant à la la lice, c’est l’espace entouré de palissades dans lequel se déroulaient les joutes au Moyen Âge. C’est une grande allée au milieu de laquelle est installée une barrière servant de séparation aux deux jouteurs. Si vous êtes toujours « en lice », c’est donc plutôt bon signe!
Le troisième petit plus pour briller en société
On est des fous ce soir! Ce n’est pas une, ce n’est pas deux, c’est bien trois anecdotes croustillantes qu’on se met sous la dent! Celle-ci ne manque pas de piquant, jugez plutôt: tout comme celle de son mari, la mort de Catherine de Médicis elle-même colle parfaitement avec une prophétie, cette fois écrite par un certain Ruggieri. C’est ce qu’on appelle avoir la poisse!
Note: Les plus attentifs d’entre vous me feront certainement remarquer que j’ai déjà traité (de façon bien plus succincte, certes) la mort d’Henri II dans un article rédigé le 30 juillet 2012… Mais deux fois valent toujours mieux qu’une, n’est ce pas?
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Hahaha je me disait bien que j’avais déjà lu une histoire la dessus quelque part 😀
Qu’est il arrivé par la suite a Gabriel de Lorges ? Tuer quelqu’un de sang royal lors d’un tournoi était il punissable ?
« C’est le coup de lance de Montgomery qui a créé la place des Vosges » a dit un jour Victor Hugo qui a habité la place alors qu’il était âgé de 16 ans.
Le Comte de Montgomery (qui connut une fin funeste: exilé puis devenu l’un des principaux chefs militaires du parti protestant, Catherine de Médicis le fait exécuter en place de Grève en 1574) est l’auteur de ce fameux coup de lance.
Par la suite, Catherine de Médicis fera raser la Maison Royale des Tournelles (lieu du drame) et s’acharnera contre celui qui a causé la mort de son mari (alors que le roi lui-même avant de mourir disait qu’il n’en voulait pas du tout à son adversaire et il interdit qu’on le poursuive en tant que régicide).
L’espace rasé devient un marché aux chevaux. En 1605, Henri IV décide d’y faire bâtir une place carrée. Rien n’a changé depuis les plans de l’architecte Royal, Louis Métezeau : une place de 140 mètres de côté, avec trois angles fermés aux voitures.
La construction de la place des Vosges commence en 1607, pour environ 5 années de chantier.
Pour fêter le projet de mariage de Louis XIII et d’Anne d’Autriche, une fête somptueuse est organisée sur cette place, en présence de la reine Margot.
Comme quoi, tout malheur a souvent du bon 😉
(et moi, je viens d’apporter ma pierre à l’édifice de ce site formidable)
De ce que j’en sais, le malheureux adversaire du roi s’enfuit de peur d’être accusé de régicide. Mais sur son lit de mort, Henri II s’est toujours opposé à ce qu’il soit poursuivi…
Ah, je n’avais pas vu le commentaire de Garant avant de poster le mien… Merci pour ces précisions très intéressantes!
Super histoire, une fois de plus!
Je trouve que c’est plus facile de retenir les rois de France en connaissant ce genre d’anecdotes sur leur vie. Ca « humanise » les choses, et Henri II ne devient plus qu’un simple nom dans la liste des rois de France avec dates de début et de fin de règne, c’était aussi un homme avec ses défauts, ses qualités, ses faiblesses.
Super article