Quand Cyrano de Bergerac se bat en duel avec… un singe!
Le Pont Neuf de Paris, qui est en fait le plus vieux, a laissé passer sur son dos des personnages illustres et porté des événements historiques. Le brigand Cartouche y a sauvé la vie d’un pauvre bougre; Napoléon s’y promenait adolescent et l’a traversé plus tard en carrosse le jour de son sacre; les Révolutionnaires y ont recruté des soldats devant la statue d’Henri IV qu’ils ont ensuite détruite et jetée dans la seine; le Grand Thomas y avait installé un char, et a fait rire les Parisiens pendant 50 ans; Robespierre l’a traversé, porté sur un fauteuil et à moitié inconscient à cause de sa mâchoire décrochée par une balle de pistolet; René Duvernay, le gouverneur de la célèbre Pompe de la Samaritaine, y avait caché un trésor dans l’arche qui soutenait la pompe…
Aujourd’hui, nous sommes vers 1650 un après-midi d’été. Il est 16h. Le pont est animé et bruyant comme tous les jours depuis sa création. Saltimbanques, commerçants, aboyeurs, camelots, arracheurs de dents, détrousseurs, vendeurs de livres, promeneurs, tous profitent de l’ambiance et de la vue imprenable sur le Louvre… au milieu du pont, on passe devant la statue équestre d’Henri IV (qui à l’intérieur contient quelques objets cachés), puis l’on marche vers le quai de Conti. Là, des éclats de rires attirent notre attention. On tourne à droite à l’angle du pont, et sur la grève, on remarque un marionnettiste italien, du nom de Brioché (1), qui a installé son théâtre ambulant et fait se tordre de rire la foule grâce à son singe savant qu’il a harnaché d’un chapeau à plume, d’un pourpoint, d’un col en fraise, et d’un baudrier contenant une épée sans pointe.
Le singe Fagotin dressé pour tourner Cyrano de Bergerac en dérision! (par Taxistoria)
Le singe, qui porte le surnom de Fagotin, est d’un grand gabarit. Il gesticule, grimace, hoche la tête, sort son épée et montre quelques bottes au public qui s’esclaffe de plus belle:
– Hahaha, mais c’est tout à fait lui!!
– Mouahaha ! On croirait voir le vrai! Ha ha ha!
– Bravo, tu te bats mieux que ce pitre!! hohoho!
Mais de qui parle la foule? Qui le singe est-il en train d’imiter sous les ordres de son maitre? Et bien, il caricature l’homme qui est justement en train de traverser le pont et qui se dirige vers le petit théâtre de rue pour y faire arrêter cette mascarade! Les points fermés il progresse à travers la foule, et il est bien décidé à en découdre pour sauver son honneur! Autour du singe, les badauds continuent de se tordre de rire, jusqu’à ce qu’apparaisse derrière eux l’homme victime des singeries.
Cet homme, c’est … Cyrano de Bergerac!
Savinien Cyrano de Bergera près du pont Neuf (par Taxistoria)
Savinien Cyrano de Bergerac. Contemporain de Molière, il naquit à Paris en 1619. Il possédait une terre en banlieue Parisienne qui s’appelait « Bergerac », d’où son surnom. Nous connaissons tous le personnage de fiction du même nom. Il fut inspiré de ce « vrai » Cyrano trois siècles plus tard. Savinien Cyrano était un poète et un écrivain au caractère bouillant, aussi doué avec son épée qu’avec son esprit. Il savait ridiculiser ses ennemis grâce à sa plume imagée et satirique. Il en profita un jour pour humilier un de ses pires adversaires, Charles Coypeau Dassoucy, un musicien du roi. Au début très proches, une violente dispute en fit les plus grands ennemis du monde. Cyrano souhaitait même sa mort. Il lui écrivit ceci:
« Hé! Par la mort, monsieur le coquin, je trouve que vous êtes bien impudent de demeurer en vie après m’avoir offensé! Vous qui ne tenez lieu de rien au monde, vous qui n’êtes plus qu’un clou aux fesses de la Nature; vous qui tomberez si bas, si je cesse de vous soutenir, qu’une puce, en léchant la terre, ne vous distinguera du pavé! »
Et en parlant de « clou », il l’enfonça le jour où il compara Dassoucy à un singe:
« Ô plaisant petit singe! Ô marionnette incarnée! Demandez ce que vous êtes à tout le monde, et vous verrez si tout le monde ne dit pas que vous n’avez rien d’homme que la ressemblance d’un magot? Ce n’est pas pourtant, quoique je vous compare à ce petit homme à quatre pattes, que je pense que vous raisonniez aussi bien qu’un singe.«
Là, c’est trop! Dassoucy veut sa vengeance. Il va trouver notre marionnettiste italien du Pont Neuf et le mandate pour mettre sur pied un numéro avec son singe. Il devra apprendre au primate à gesticuler comme Cyrano pour en faire la risée de Paris. Le bateleur trouve l’idée superbe et se met à préparer son singe Fagotin. Il lui apprend alors la démarche, bien connue en ville, de Cyrano, ses gestes, ses airs de tête, et l’habille pour la ressemblance.
Le petit spectacle a le succès escompté! Les promeneurs reconnaissent tout de suite Cyrano à travers les postures du singe et éclatent de rire! Cette petite représentation burlesque dure plusieurs jours, et Dassoucy est fier de sa revanche. Cyrano est ridiculisé à son tour. Puis… il l’apprend…
Voilà pourquoi on le retrouve cet après-midi là, sur le Pont Neuf, venant régler ses comptes avec le marionnettiste. Lorsqu’il surgit devant le petit théâtre, le singe continue sa représentation et la foule, voyant sous leurs yeux la caricature et l’original réunis, explose de rire. Des laquais sont présent, et l’un deux s’approche de Cyrano le provoquant:
– Est-ce là votre nez de tous les jours? Quel diable de nez! Prenez la peine de reculer, il m’empêche de voir!
Cyrano, fier de son nez, tire son épée et la tend devant celui du laquais. Une vingtaine d’autre sortent de la foule et se rassemble pour affronter Cyrano, mais a la première botte de sa part, tous s’enfuient (2)! Il y a pourtant une lame qui continue de fendre l’air derrière lui! Cyrano se retourne avec dextérité et enfonce son épée dans… le singe! Fagotin tombe au sol. Son maitre se jette sur lui, pleure, le prend dans ses bras, et l’emporte. Il portera plainte contre Cyrano, mais Cyrano se défendant de sa plume éloquente, Brioché perdra le procès.
Quant à Dassoucy, craignant pour sa vie, il s’enfuit bien vite de Paris. Mais en 1655 Cyrano meurt, à 36 ans, après avoir reçu sur la tête la poutre d’une toiture.
Dassoucy revient alors à la capitale et en profite pour décrire, dans une dernière attaque posthume, ce qui s’est passé cet après-midi là, sur le pont, dans une satire nommée Combat de Cyrano avec le singe de Brioché au bout du Pont Neuf.
(1) Jean brioché (Giovanni Briocci) fut le premier à importer les marionnettes (son célèbre Polichinelle) et les pantins de bois en France. A Paris, en 1649, il eu un succès énorme. Brioché partit alors pour une tournée en Suisse, mais l’accueil là-bas fut totalement différent. Il faillit être brûlé vif car on prit ses marionnettes pour des petits diables et lui-même pour un sorcier, tellement ses pantins de bois paraissaient vivants!
(2) François-Xavier de Feller, ami d’enfance de Cyrano, écrit après la mort de ce dernier une Dictionnaire historique des hommes qui se sont fait un nom par leur génie, leurs talents, leurs erreurs ou leurs crimes. Il y raconte au sujet de son bretteur de camarade, qu’un jour, non loin de la tour de Nesle, Cyrano aurait battu cent hommes à lui seul!
Voir l’article original (et bien d’autres!) sur l’excellent site de Diodore: http://taxistoria.canalblog.com/
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Le dessin du petit singe est super sympa! Très beau travail!
Edmond Rostand s’est donc inspiré de ce vrai personnage pour écrire sa pièce? J’ignorais…Tuer un pauvre petit singe n’est en tout cas pas très glorieux, cher Monsieur de Cyrano, et Edmond Rastand aurait été bien inspiré de reprendre cette anecdote à son compte pour vous faire perdre un peu de votre « panache »…
J’ai retranscrit le Dictionnaire historique des hommes qui se sont fait un nom par leur génie, leurs talents, leurs erreurs ou leurs crimes. de Feller que vous mentionnez, Cela donne ceci:
« Jean du CYRANO Savinien de Bergerac en Périgord né l’an 1620 avec un caractère bouillant et singulier entra en qualité de cadet au régiment des gardes. Il fut bientôt connu comme la terreur des braves de son temps. Il n’y avait presque point de jour qu’il ne se battît en duel, non pas pour lui, mais pour ses amis. Cent hommes s’étant attroupés un jour sur le fossé de la porte de Nesle, pour insulter un homme de sa connaissance, il dispersa lui seul toute cette troupe, après en avoir tué deux et blessé sept. On lui donna d’une commune voix le nom d intrépide. Deux blessures qu’il reçut, l’une au siège de Mou, l’autre au siège d’Arras, et son amour pour les lettres, lui firent abandonner le métier de la guerre. Il étudia sous Gassendi, avec Chapelle, Molière et Bernier. Son imagination pleine de feu et inépuisable pour la plaisanterie lui procura quelques amis puisssants, entre autres le maréchal de Gassion qui aimait les gens d’esprit et de cœur; mais son humeur libre et indépendante lui interdit de profiter de leur protection. Il mourut en 1655, à 35 ans, d’un coup a la tête qu’il avait reçu 15 mois auparavant.
Ce poète menait depuis quelque temps une vie chrétienne et retirée. Sa jeunese avait été fort débauchée et sa débauche venait en partie de son irréligion. Il avait passé longtemps pour incrédule mais ce n’était qu’une affaire de parade, démentie dans son cœur. On a de lui l’ Histoire comique des états et empires de la lune et L’Histoire comique des empires et états du soleil.
On voit pourtant à travers ces bizarreries, qu’il savait fort bien les principes de Descartes, et que, si l’âge avait pu le mûrir, il aurait été capable de quelque chose de mieux. »
On comprend mieux le potentiel exceptionnel du personnage qui a permis à Edmond Rostand d’écrire sa pièce d’une exceptionnelle qualité.
Bon article sur un sujet dont, je l’avoue, j’ignorais l’existence…
Double surprise !!
J’ignorais, comme Histomanie, l’existence de ce petit singe et son histoire.
En outre, à ma grande honte, j’ai toujours pensé que Cyrano de Bergerac était un personnage créé par Edmond Rostand !!
Même un peu tard, je lui présente mes excuses !
On apprend tous les jours !
Excellent article qui m’a passionné.
Eurosix
tres belle histoire…dommage pour ce petit singe…et puis mourir une poutre sur la tete c’est comique…^^