[Philo] Les paradoxes de la logique, la découverte de l’atome et les âneries de sophistes
Dans le dernier épisode de notre petite histoire de la philosophie (ici), nous avions fait la découverte de Parménide. Rappelez-vous, c’est lui qui pense que seul le raisonnement nous permet d’atteindre la Vérité. Une pensée pleine de bon sens? Oui…et non! Car, fort de ce postulat, Parménide est prêt à accepter n’importe quelle affirmation, même si elle paraît complètement folle, du moment qu’elle est la conclusion d’un cheminement de pensée logique. Ce philosophe a donc une confiance absolue en la raison de l’Homme, on dit que c’est un rationaliste.
(et si tu veux en savoir plus sur le sujet, va donc lire l’article en entier!)
Le raisonnement et ses paradoxes
De raisonnement logique et de déductions étranges, il en est également question chez Zénon d’Élée (490 – 430). Le philosophe aime bien se triturer le cerveau avec des petits problèmes d’apparence tout simple, mais débouchant sur des paradoxes concernant l’espace et le temps. En cela, il se pose en digne héritier de la pensée de Parménide… Un exemple? Le tir à l’arc!
Avant d’atteindre sa cible, une flèche tirée par un archer doit d’abord parcourir la moitié de la distance entre son point de départ et son point d’arrivée. Logique. Une fois arrivée à mi-chemin, elle doit de nouveau parcourir la moitié du restant du parcours, etc., etc… En considérant le mouvement de la flèche comme une succession infinie de demi-distance à parcourir, on arrive à l’étrange conclusion que la flèche n’atteindra jamais sa cible!
Je vous laisse cogiter là-dessus un petit moment et on en reparle dans les commentaires…
Laissons Zénon se triturer les méninges sur ses paradoxes et ses problèmes de continuum espace-temps et allons voir ce qui se passe du côté d’Empédocle (490 – 435). Considérons-le comme le grand arbitre du match d’idées en train d’avoir lieu entre tous les philosophes.
L’eau, la terre, l’air et le feu : les 4 éléments primordiaux
Entre Thalès qui pensait que tout était fait d’eau et Anaximène qui pense que tout est constitué d’air (cf. Les Mythes et les philosophes de la nature), Empédocle met tout le monde d’accord: la matière est selon lui constituée de 4 éléments primordiaux que sont l’eau, la terre, l’air et le feu. Ce sont uniquement leurs proportions changeantes qui font que l’on a affaire à une table, un écureuil, un bouclier, ou un être humain bien sûr…
Pour s’en convaincre, il suffit de faire brûler un bout de bois. Une fumée commence par se dégager: c’est l’air. Puis, le bois se met à émettre des craquements: c’est l’eau qui s’extrait douloureusement. Les premières flammes apparaissent, c’est le feu bien sûr, que l’on a sous les yeux. Puis ne reste du morceau de bois qu’un tas de cendres: c’est la terre. CQFD!
Mais une grande question taraude Empédocle: quels mécanismes permettent aux éléments primordiaux de s’assembler? Il trouve une réponse qui semble lumineuse: ce sont la Haine, en tant que force de répulsion et l’Amour, en tant que force d’attraction qui sont à l’œuvre dans la nature.
L’idée est belle, non? On se croirait presque au cœur du scénario d’un bon RPG… Cerise sur le gâteau, Empédocle met sa théorie sous la forme d’un long et magnifique poème…
Au fond, Empédocle n’avait pas si tort que ça. On sait maintenant que la matière est constituée d’éléments primordiaux (cf. Mendeleiev et sa classification périodique des éléments) unis et désunis par des forces élémentaires: champs électriques, magnétiques, etc. Il ne lui manquait qu’un seul élément pour que sa théorie soit parfaite: la compréhension de l’atome… Mais, rassurez-vous, cette lacune va bientôt être comblée par un de ses contemporains!
La découverte de l’atome (et sans microscope, siouplé!)
Nous voilà enfin à mon philosophe préféré de tous les temps, j’ai nommé Démocrite (460 – 370). Ce gars est un génie, croyez-moi! Plus de 2000 ans avant la création du microscope, il comprend que la matière est constituée d’atomes! Un atome, au sens étymologique du terme, est une « particule insécable de matière ». D’après Démocrite, ce sont des petites pièces constitutives de la matière, qu’il est impossible de séparer. A l’origine, selon lui, cette infinité d’atomes se mélangent dans un tourbillon confus, puis s’assemblent les uns aux autres sous l’effet du hasard.
Et il pense qu’il existe une multitude de variétés d’atomes. Sinon, comment expliquer la variété des choses qui nous entourent? Quand un être vivant meurt, ou qu’un rocher s’érode, les atomes qui le constituent se délient les uns aux autres et sont disponibles pour s’assembler de nouveau. Un peu comme des pièces de Lego© que l’on peut assembler et désassembler à l’infini…
Et l’âme, dans tout ça? Elle aussi, elle est constituée d’atomes, plus fins, plus ronds, que ceux qui constituent la matière! Ainsi, Démocrite en déduit le caractère non immortel de l’âme, puisque les atomes qui la constituent peuvent se désintégrer, tout comme toutes les autres choses… Par certains aspects, la théorie échafaudée par Démocrite rejoint la pensée d’Héraclite. Comme ce dernier, il pense que nos sens nous renvoient une image tronquée de la réalité, qu’il nomme simulacre, c’est-à-dire apparence de réalité.
Tous aux abris, voilà les Sophistes !
Les Sophistes sont à la philosophie ce que les Ch’tis à Ibiza sont à la télévision: le niveau 0. Cette bande de charlatans font s’arracher les cheveux aux vrais philosophes. En réalité, leur réflexion part d’un bon sentiment. Certains hommes, comme le célèbre historien Hérodote (480 – 420), ont voyagé dans d’autres pays et ont rapporté les mœurs, les croyances, les religions, les modes de vies différents des autres cultures. Du coup, on commence à s’interroger. Mais alors, si d’autres cultures existent, comment être sûr que les Grecs aient raison?
C’est dans cet esprit qu’il faut comprendre la maxime d’un certain Protagoras, le premier des sophistes: « l’homme est la mesure de tout ». Il n’y a pas de vérité absolue, seulement des croyances qui varient d’un homme à l’autre, d’un peuple à l’autre. C’est ce qu’on appelle le scepticisme antique.
Et hop, ni vu, ni connu, j’t’embrouille, Protagoras tire de ce constat une conclusion étonnante: l’homme n’est rien, n’a rien à attendre de la nature, et peut par conséquent se permettre un peu tout et n’importe quoi. Il n’y a de vrai que ce dont on est persuadés… Et voilà les sophistes qui peaufinent leur façon de parler et invente la rhétorique (art de la persuasion) et l’éristique (art de la controverse, de la joute verbale). Les sophistes passent pour maître pour défendre une idée corps et âme puis, le lendemain, à défendre l’idée totalement inverse, avec la même force de conviction.
Le comble, c’est que ces « philosophes » se font payer très cher pour dispenser leur leçon et partager leurs techniques oratoires… Devant la popularité grandissante des sophistes, un homme fulmine dans son coin… Son nom? Socrate.
Et voilà le grand, l’unique, l’incomparable Socrate !
Paradoxalement, nous savons très peu de choses sur Socrate (470 – 399), celui-ci n’ayant pas daigné laisser la moindre trace écrite de sa pensée.
Socrate vivait à Athènes, cinq siècles avant notre ère. Athènes était alors une cité-Etat qui rayonnait sur toute la Méditerranée. La plupart des Athéniens avaient des esclaves pour accomplir les tâches ingrates. Du coup, comme il fallait bien s’occuper, on inventa le théâtre, les mathématiques, l’astronomie et… la philosophie.
Socrate était petit et laid. À vrai dire, de son apparence physique, il n’en avait pas grand-chose à faire. Sa femme Xanthippe, une marchande de légumes, en avait un peu ras le bol de son mari. Il faut bien dire que le voir partir tous les matins pieds nus et habillé comme un clochard pour aller discuter avec d’illustres inconnus sur la place publique, est un spectacle que bien des femmes n’auraient pas supporté! La pauvre, son manque de patience envers son ingrat de mari en fait l’incarnation-même de la mégère dans la littérature européenne: une Xanthippe, c’est une femme grincheuse en conflit permanent avec son mari!
Dans le Banquet, écrit par Xénophon, un des disciples de Socrate, l’auteur n’est pas tendre avec elle:
Comment arrives-tu à vivre avec une femme qui, je le pense vraiment, est la plus insupportable de toutes celles qui ont vécu, qui vivent et qui vivront?
Question à laquelle Socrate répond de la façon la plus ignoble qui soit:
C’est cette femme que j’ai prise, certain que, si je pouvais la supporter, je m’entendrais facilement avec tout le monde.
(véridique)
Preuve qu’on peut être un excellent philosophe et un parfait connard…
Mais j’en ai déjà trop dit: on se réserve Socrate pour un autre jour!
Note de fin d’article sérieuse:
Les lecteurs les plus attentifs auront remarqué que cet article a été illustré par des dessins rigolos. Ces dessins rigolos ont été réalisés avec humour amour par Uzu, un dessinateur de talent que vous pouvez retrouver sur uzunagaz ou sur Facebook ou par téléphone au 01 47 20, zéro, zéro, zéro, un.
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Un peut conne son histoire de flèche …
Le temps que la flèche met à atteindre la prochaine moitié de segment tend vers 0 tout comme la taille de ce segment . Je me demande comment Zenon (d’à lier?) a pu tirer cette conclusion .
Je pense que la seule solution à l’histoire de la flèche est que l’espace n’est pas continu, et qu’à partir d’un moment on ne peut plus diviser la distance par 2.
Non, en fait, c’est les maths qui nous donnent la solution : la somme d’une suite infinie de nombres peut converger vers un nombre fini !
Ca sera démontré des siècles plus tard par les mathématiciens.
Chapeau à Zénon pour s’être posé ce genre de questions dont la réponse était impossible à trouver étant donné l’état des connaissances de l’époque…
Eh oui !
C’est beau ! Je n’y comprends rien sauf au début : quand on coupe le gâteau en deux parts, quatre etc….
L’équation reflète bien le paradoxe de la flèche: on ajoute à chaque fois la moitié de la quantité précédente.
Bien que cette somme soit infinie, le résultat, lui est bien fini.
Plus d’explications sur les séries ici:
https://fr.wikipedia.org/wiki/S%C3%A9rie_(math%C3%A9matiques)
(mais il faut déjà un bon niveau en maths pour suivre!)
(cf. Mendelbrot et sa classification périodique des éléments)
Ne serait-ce pas Dmitri Mendeleïev plutôt ?
Effectivement !
(ça m’apprendra à avoir lu un article sur les fractales juste avant d’écrire cet article ! 😀 )
> Les Sophistes sont à la philosophie ce que les Ch’tis à Ibiza sont à la télévision: le niveau 0. Cette bande de charlatans font s’arracher les cheveux aux vrais philosophes.
Oui enfin ça c’est ce que dit la propagande de Platon, propagande facilitée par le fait que l’on n’a (quasiment ?) aucune trace écrite des enseignements des sophistes : bref, on n’a qu’un seul point de vue à peine biaisé (celui de Platon), il serait prématuré de tirer des conclusions sur cette seule base.
La lecture du « Traité du zen et de l’entretien des motocyclettes » devrait permettre de réhabiliter les sophistes…
Les paradoxes de Zénon n’auraient pas perturbé les philosophes si ils n’avaient pas eu tendance à prendre certains mots comme « être » (qui signifie « ensemble des étants ») ou « temps » (qui signifie « succession des phénomènes visibles) pour des réalités. Le mot « être » pourrait être employé en Mathématiques pour signifier « ensemble des ensembles ». Le mot « temps » pourrait être employé en mathématiques pour désigner la « succession des termes dans une série ». Or les Mathématiques ne parlent jamais des réalités physiques mais d’entités mathématiques, purement imaginaires, mais très cohérentes entre elles, car retenues si et uniquement si leur vérité est démontrée dans le cadre d’un système axiomatique donné (Zermelo Fraenkel, ZF, ou Zermelo Fraenker plus choix, ZFC). Mais « être » et « temps » n’ont pas de place en Physique comment le suggèrent Alain Connes, Carlo Rovelli ou Marc Lachièze-Rey. Il est d’ailleurs dommage qu’ils continuent à employer ce mot au lieu d’utiliser instant, durée, date, succession, déroulement… Les paradoxes de Zénon sont toujours un problème pour ceux qui croient que le temps est une réalité physique, et ils sont nombreux. Henri Bergson avait intuité qu’il pouvait s’agir d’une entité psychique mais il croyait cette entité plus réelle que les conventions de définition formelle des Mathématiques.