Un « choix de Sophie », ou quand l’homo politicus dérape complètement
D’habitude, je ne parle pas politique. C’est une ligne de conduite que je me suis fixée, en préférant toujours les sujets culturels intemporels aux miasmes éphémères de l’actualité.
Mais je vais faire une petite exception à cette règle rien que pour cette fois.
Il y a quelques jours (samedi 28 novembre 2015), une femme politique s’est exprimée publiquement devant des militants de la Manif pour tous.
Déjà, j’ai été surpris d’apprendre que ce mouvement existait encore. Moi, je le pensais enterré depuis le 17 mai 2013, jour où la loi sur le « mariage pour tous » fut promulguée. Alors, j’ai voulu en savoir un peu plus sur le sujet. J’ai tapé « la manif pour tous » sur Google et j’ai découvert qu’ils avaient un site internet à leur nom. Génial, j’allais enfin en savoir plus.
J’ai cliqué sur le lien et là, patatras:
Du coup, je n’ai pas cherché à aller plus loin, des fois que mon ordinateur chope une MST.
Mais bon, réflexion faite, que de braves gens se réunissent sous la forme d’une association pour débattre de sujets d’actualité, je trouve ça plutôt sain.
(en mode « je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai pour que vous ayez le droit de le dire. »)
(la citation, attribuée à Voltaire, est apocryphe mais je la trouve plutôt jolie)
Samedi dernier, donc, une femme politique s’est exprimée publiquement devant des militants de la Manif pour tous. Cette femme fut Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche de 2007 à 2011, ministre du budget de 2011 à 2012 et est actuellement tête de liste LR – UDI – Modem – Parti chrétien-démocrate pour les élections régionales 2015 en Île-de-France. Les esprits les plus acérés auront bien sûr reconnu Valérie Pécresse.
Actuellement en campagne, Mme Pécresse, donc, a glissé l’air de rien dans un de ses meetings que les parents d’élèves, faute de subventions de la région, n’avaient plus les moyens de mettre tous leurs enfants dans le privé, devenu bien trop cher.
Et d’ajouter fièrement: « [Les parents d’élèves] seront obligés de faire des choix de Sophie, vous savez, ces choix cornéliens, pour choisir l’enfant que vous allez mettre dans le privé. »
Bien sûr, j’aurais préféré un angle d’attaque du problème plus « républicain », pour reprendre le nom du Parti auquel Mme Pécresse appartient. Trouver des solutions pour que l’école publique soit de meilleure qualité, par exemple.
Mais c’est surtout l’expression employée qui m’intrigua. Faire des choix de Sophie? Je l’avoue à ma grande honte, je n’avais jamais entendu cette expression. Immédiatement, et allez savoir pourquoi, j’ai pensé aux Malheurs de Sophie, ce roman de la Comtesse de Ségur que je lisais quand j’étais gamin. Mais je ne me rappelais pas que cette petite fille ait dû faire le moindre choix. Étrange…
Alors, j’ai tapé « choix de Sophie » sur Google et j’ai eu ma réponse.
(et une petite nausée par la même occasion)
En réalité, Le Choix de Sophie est un roman de William Styron publié en 1979 dans lequel l’héroïne nous fait une révélation sur sa vie passée. Durant la seconde Guerre Mondiale, elle fut emmenée à Auschwitz avec ses deux enfants. Le jour de son arrivée au camp, un responsable nazi la plaça face à un dilemme d’une perversité monstrueuse: elle devait choisir lequel de ses deux enfants serait tué immédiatement par gazage, et lequel pourrait continuer à vivre. Si elle refusait de faire un choix, alors ses deux enfants seraient immédiatement tués.
Elle choisit de sacrifier sa fille Eva, âgée de 7 ans.
Sophie, assaillie par la culpabilité, ne réussit plus jamais à se délivrer de son sentiment de culpabilité et dut vivre avec ce poids durant le restant de sa vie.
Je me sens tellement coupable de toutes les choses que j’ai faites là-bas. Et même d’être encore en vie. Cette culpabilité est quelque chose dont je ne peux pas et je pense que je pourrais jamais me délivrer … Je sais que je ne m’en délivrerai jamais. Jamais. Et parce que je ne pourrais jamais m’en délivrer, c’est peut-être la pire chose que les Allemands m’aient laissée.
Elle se suicidera quelques années plus tard.
Voilà. Vous savez maintenant ce qu’est un choix de Sophie.
Et je trouve ignoble de se servir d’une telle tragédie à des fins politiciennes.
La prochaine fois, Valérie, tu parleras d’un choix cornélien, comme tout le monde. Et tu éviteras ainsi de donner la nausée à des millions de Français.
(mais ce n’est que mon avis)
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Hey ! Je suis toujours là ! é_è
Merci pour ce petit moment de bonheur à la suite d’un article un peu triste !
😀
Encore une démonstration de la crapulerie assumée et du cynisme total de cette classe dirigeante vendue et ne représentant que ses propres intérêts, appliquant leur feuille de route néolibérale en avalisant un état de fait inacceptable. Le choix de la formule n’est pas nécessairement une maladresse mais une volonté…
« voilà, c’est ainsi, deal with it, lol ».
Prochaine étape, même raisonnement : « vous n’avez plus de quoi nourrir plus d’un enfant sans aides de l’état. il va falloir choisir lequel euthanasier ou abandonner. Et n’oubliez pas de voter pour moi. »
Mais… En fait le « choix de Sophie » est une expression relativement connue. Les anglo-saxons l’utilisent régulièrement (à défaut de dire « cornélien », trop difficile). Et même en France, certains l’utilisent.
Autant l’explication de l’expression est intéressante, autant parler de maladresse est – selon moi – un peu abusif. C’est une expression comme une autre à mon goût, même si politiquement incorrect.
A cela j’ajouterai que madame Pecresse dit suffisamment de conneries pour qu’on puisse la laisser utiliser une expression « intelligente » 🙂
En anglais, c’est plutôt : Cornelian (dilemma) ou no-win (situation), mais c’est vrai qu’elle est plus employée dans les pays anglophones que chez nous où elle est complétement inconnue du grand public, et je trouve ça très bien comme ça.
Il y a aussi des sites américains qui sont contre l’utilisation de cette expression à tout bout de champ:
http://forward.com/sisterhood/310505/really-mindy-kaling-your-recent-instagram-photo-is-not-sophies-choice/
(Djinnzz a déjà répondu à un commentaire du même genre sur la page Facebook, je ne fais que copier le lien)
Et le fait que les « Américains » utilisent cette expression immonde ne justifie pas le fait qu’on doive faire pareille…
Je suis d’accord sur le fait que c’est sûrement une maladresse et que Pécresse ne voulait pas réellement créer un bad buzz en comparant l’Education Nationale aux Nazis.
Mais, bon, c’est un point Godwin bien mérité, et les hommes et femmes politiques feraient mieux de surveiller leur langage, à mon avis…
Ce que Pécresse a dit, c’est quand même le fait que mettre un gamin dans une école publique équivaut à le tuer en le mettant dans une chambre à gaz.
Pour moi, ce n’est pas une expression « intelligente »…
J’approuve votre critique.
Les mots sont importants, surtout dans la bouche d’un personnage public.
Alors là, je ne comprends vraiment pas pourquoi cette indignation…
Si l’histoire du « Choix de Sophie » était vraie, à la limite -limite (et encore..), mais là, c’est un roman. Bon, j’entends déjà les « oui, mais à Auschwitz, c’est sur c’est arrivé, des trucs comme ça…. » Oui, bon, ok, mais même comme ça, je ne comprends toujours pas pourquoi blâmer Valérie.
Il faut arrêter, avec toutes ces pincettes et cette gêne qu’il y a quand l’on parle des évènements de la 2GM. Oui, c’est horrible, oui, nous avons un devoir de respect et de mémoire, mais je ne perçois vraiment pas où est le manque de respect dans l’utilisation de cette expression.
Surtout que je trouve que la raison de cet emploi, et non pas celui du choix cornélien, est évidente. Lorsqu’un parent doit prendre une décision qui favorise l’un de ses enfants au détriment des autres, c’est de l’ordre de la torture psychologique, peut-importe le contexte. Choisir à qui on va payer des vacances, choisir à qui on va offrir l’iphone, choisir à qui…C’est pas juste pour celui (ou ceux) qui est/sont lésé(s) et, même si les conséquences s’évaluent à des degrés différents, ça créera quoi qu’il en soit tristesse/sentiment d’injustice/jalousie…
La seule chose avec laquelle je suis en désaccord, c’est que certes, il vaudrait mieux se préoccuper de l’enseignement publique que de l’enseignement privé, mais ça, c’est un autre débat.
Il ne reste pas moins incontestable que les enfants issus d’écoles privées possèdent un « bagage » plus consistant qu’un enfant issu du public. Aussi, l’expression « Le choix de Sophie » est parfaitement bien adaptée: comment un parent peut-il décider lequel de ses enfants mérite de bénéficier de ce bagage? On parle d’éducation, là. On parle de tout ce que fréquenter le privé apporte à un enfant: les fréquentations, l’instruction, le sentiment d’appartenir à « une élite » (oui c’est cliché, peut-être, mais c’est vrai). Dès qu’un parent doit choisir entre ses enfants, je le répète, c’est bien plus que Cornélien. Ces décision, peut importe l’issue, seront mères de culpabilité pour les parents.
Il est vrai qu’une personne publique doit faire attention à ce qu’elle dit, mais là, et pourtant je pense être assez « dans l’opposition », je ne suis absolument pas choquée, et je trouve, qu’a l’image de ce qu’il s’est passé avec Morano et son « la France est un pays de race blanche », il y a acharnement et gros problème de sentiment de persécution. Ca va, faut arrêter de se sentir martyriser pour tout et pour rien (Non, venez pas me dire je sais pas trop quoi, je suis fille d’immigrés, je suis ouverte au Melting pot français et j’adore les cultures étrangères, mais, il est indéniable qu’a l’origine, et j’insiste sur A L ‘ORIGINE, la France est un pays de « race » (bon j’avoue, ce mot, c’est BOF) blanche, les français pure souche sont blancs, la culture originale française est une culture de blancs , comme l’Afrique est un continent de race noire etc etc..)
Oui, je suis d’accord avec vous.
Choisir à quel enfant on va faire le plus beau cadeau à Noël est au moins aussi difficile que choisir quel enfant doit mourir et l’autre vivre.
Regardez, moi, l’autre jour, j’ai du choisir entre une glace à la vanille et une glace au chocolat. Et bin je peux vous dire que c’est pas si facile que ça.
A côté, Dachau c’est de la gnognotte.
Chienne de vie.
C’est vrai quoi, y’en a marre de ce politiquement correct !
Valoche, on t’a reconnu !
Pas besoin de t’inventer un pseudo à la con pour prendre ta défense !
:p
Je vous invite à étudier l’Histoire et aussi l’anthropologie: la notion de races n’existe pas pour l’Homo Sapiens. Tous les Homo Sapiens Sapiens ont la même identité génétique générale. Le reste sont des caractéristiques mais n’ont rien à voir avec une notion de race. Donc déjà les gens qui parlent de race ne savent pas de quoi ils parlent (apparemment même s’ils ont étudié dans le « privé » !). Ensuite, de quelle « origine parlez vous ? A quel moment de l’histoire posez-vous cette origine ? Au moment du premier royaume des Francs ? de la Gaule peuplée de Belges jusqu’à Dijon et d’Etrusques jusqu’à Toulon ? Aucun peuple n’est une race ! A partir de quelle couleur quelqu’un est-il de « race » noire ou blanche? Où mettez vous la frontière ? Au « café au lait » ? Je vous invite à réfléchir à cela ?
Dans un site comme ETC, toutes ces discussions ne sont pas de mise bien que j’admette toutes les opinions personnelles de chacun.
Je n’ai qu’une interrogaton à adresser à tous les comme,tateurs qui m’ont précédé : irez vous voter ? L’abstention est un mal pour notre république.
Toutes les discussions ne sont pas de mises mais vous lancez un brûlot vous-même ? 😉
« irez vous voter ? L’abstention est un mal pour notre république. »
Troll ? Ignorance ? Dissonance cognitive ?
Si aujourd’hui vous n’avez pas encore compris que cette mascarade électorale de « démocratie représentative », oxymore s’il en est, ne sert qu’à donner aux sans-dents l’illusion du choix par la fausse alternance, ainsi qu’à légitimer des élites corrompues et vendues à des intérêts étrangers appliquent leur propre agenda, je ne peux que prier pour votre éveil politique. Si cela ne se fait pas de gré, ce sera de force quand la réalité vous rattrapera. Allez, bonne soirée devant les médias mainstream.
Oh oh oh !
Faut être gentil avec Eurosix !
Il a juste dit qu’il fallait aller voter Dimanche, y’a pas de quoi en faire tout un fromage !
🙂
Pourquoi ces discussions ne seraient pas de mise? Nous sommes courtois, nous avons le droit. C’est cool de parler avec des gens qui ne pensent pas comme nous.
Et non, je ne voterai pas, tout d’abord car je n’ai pas la nationalité française (bouuuuh 🙁 ) et aussi parce que la politique ne m’intéresse pas, et que mes convictions religieuse m’obligent à être totalement neutre et insensible à toute forme de débat politique. Oui c’est mauvais tout ça, mais aucun être humain n’étant capable de gouverner, je n’irai pas à l’encontre de mes convictions. Chacun ses trucs 😉
Bon Pat, merci pour ce commentaire super ironique. Ne déformez pas mes propos, je n’ai jamais dit que c’était comparable, j’ai juste dit que le fait qu’il s’agisse d’un choix concernant le bien des enfants expliquait l’emploi de cette expression en particulier.
Sans rancunes 🙂
Merci Calin, mais la réalité m’a rattrapé depuis longtemps !
Y’a pas de quoi 🙂
J’aime bien toutes vos interventions sur ce site !
Le choix de Sophie consiste à choisir qui mourra de son fils ou de sa fille (roman ou pas ) ce n’est pas le cas quand on doit choisir lequel de ses enfants va aller dans un établissement. Utiliser cette expression dans ce contexte c’est dramatiser une situation qui ne l’est pas du tout.
Ca ne me choque pas non plus. Le choix de Sophie est un livre, un ROMAN de FICTION, qui certes, s’appuie sur un contexte historique, en l’occurence celui d’Auschwitz pendant la 2nde guerre. Une fiction qui est devenu une expression pour désigner un dilemme, ça ne me dérange pas. C’est caricatural,certes, mais nous sommes dans le cas d’une parole politique. Marquer les esprits fait partie de la stratégie médiatique.
A lire ce post je croyais que c’était une fille qui tenait la plume, tant cette prose ressemble à celle des chroniqueuses de journaux pour gonzesses.