Le test de Rorschach : du rififi au pays des psys
Cet article-là, il m’aura fait suer à grosses gouttes! Car sous son apparente simplicité, le test de Rorschach dissimule une richesse insoupçonnée. Et, comme tous les trésors, son chemin d’accès est long et compliqué… L’article sort donc avec un peu de retard, mais j’espère que vous y apprendrez plein de choses et que, dorénavant, vous ne regarderez plus jamais une tâche d’encre de la même façon…
Bonne lecture !
Le test de Rorschach et vous
Le test de Rorschach, vous connaissez ? Un peu d’encre sur une feuille blanche qu’on plie en deux, une magnifique forme géométrique propice à faire marcher l’imagination… Et à la question « que voyez-vous ? » posée à son patient, le psychologue peut tenter de dresser un profil psychologique.
Bon, on va pas se mentir, dans la tête des gens, un test de Rorschach, c’est ça :
(t’as vu, je suis devenu sage et je n’écris même plus de gros mots en toutes lettres)
(je crois bien que c’est mon article « de la maturité »)
Sauf que… vous imaginez bien que la réalité est (un peu) plus complexe…
Grâce à vous, j’ai mené une petite expérience sur la page Facebook d’EtaleTaCulture. Il y a quelques jours, je vous ai présenté la planche n°IV du test de Rorschach en vous demandant ce que vous y voyiez.
Personnellement, j’y vois une tête de diable (avec ses cornes et ses yeux maléfiques).
Quant aux près de 400 personnes qui ont répondu à ce petit test, elles y voient pleeeeeiiiin de choses différentes :
Les réponses dominantes sont : un biker sur sa moto vu en contre-plongée, une tête de dragon, un homme avec un énorme phallus, une peau de bête ou encore une tête de sanglier. Parce qu’elles reviennent assez souvent, ces réponses sont considérées comme des « banalités ». En fait, ce sont les réponses qui sortent de l’ordinaire qui pourront aider un psychologue à y voir plus clair sur l’état mental de son patient…
Passons aux choses sérieuses… la psychologie projective
Le test de Rorschach relève de la psychologie dite « projective », c’est-à-dire qu’il vise à faire parler l’inconscient en soumettant le patient à des stimuli ambigus. Ce dernier est ainsi amené à « projeter » son inconscient sur les images qu’on lui présente.
Un autre test projectif très connu (notamment dans les entretiens de recrutement) est le test de l’arbre, développé par Charles Koch en 1952, dans lequel on demande à un patient (ou à un candidat à l’embauche) de dessiner un arbre, tout simplement.
(que Koch ait honteusement copié sur Le Petit Prince (1943) ne fait aucun doute pour moi… De « Dessine-moi un mouton » à « Dessine-moi un arbre », le plagiat est flagrant !)
(bref.)
Plus de 46 caractéristiques sont analysées (présence de racines, nombre de branches, largeur du tronc, forme du feuillage,…) et, selon les choix « artistiques » retenus, on peut déterminer les grands traits de la personnalité de la personne testée. (Le lecteur intéressé pourra trouver une analyse très détaillée de ce test ici : Test de L’arbre)
Quand un psy demande à un enfant de dessiner sa famille, sa maison, ou toute autre scène de la vie quotidienne, c’est aussi un test projectif. L’œil exercé d’un professionnel permettra d’y détecter, par exemple, des manifestations oedipiennes ou des tendances dépressives.
Il faut bien comprendre qu’un test projectif n’est pas très intéressant pris isolément. Ce qui est riche d’enseignements, c’est de faire passer le même test à un grand nombre de patients (de quelques dizaines à plusieurs centaines de milliers, selon la complexité et la popularité du test au sein des instances médicales) et de faire une analyse statistique des réponses données.
Avec le Rorschach, on est servis : la popularité du test depuis un siècle nous permet de disposer d’une base de données gigantesque de dizaine de milliers de réponses permettant de diagnostiquer avec acuité certains troubles de la personnalité…
Le test de Rorschach : nous y voilà
Dix planches, en noir et blanc et en couleur. Toujours les mêmes depuis 1921.
Près d’un siècle d’expérience.
Un test controversé.
Des centaines de livres qui lui sont consacrés.
Plus d’un million de patients testés…
Des bases de données riches de plusieurs dizaine de milliers de réponses…
C’est ça, le Rorschach.
Il faut plusieurs années d’apprentissage pour pouvoir faire passer un test de Rorschach avec efficacité. Cette longue période d’apprentissage s’explique par la multiplicité des réponses pouvant être données et par le nombre de critères analysés. Car tout est analysé dans le Rorchach, absolument tout. Votre temps de réponse, vos hésitations, vos différentes réponses, si vous tournez la feuille, si vous analysez des détails ou la forme dans son ensemble…
Pour faciliter le travail des psys et permettre d’établir une grille de lecture, on a établi un système de cotations. Retenons qu’il existe différentes écoles, chacune employant des critères d’analyse différents et se vouant une guerre féroce entre elles: l’école française, l’école de Bohm ou celle d’Exner, pour ne citer que les plus connues. Mais bon, à notre niveau, on s’en fiche un peu de cette guéguerre de spécialistes.
Le bilan d’un test de Rorschach, ça ressemble plus ou moins à ça :
L’intérêt de cette notation c’est que d’un simple coup d’œil, on peut repérer les éléments marquants de la personnalité. Par exemple, un kob élevé (kob pour « kinesthésie d’objet » – lorsque le sujet mentionne qu’un objet est en mouvement sur la planche) montre une tendance à l’impulsivité quand un kp élevé sera plutôt synonyme d’un sentiment de persécution…
Et des cotations, il en existe des dizaines…
Par exemple, si le patient annonce qu’il voit un homme en érection en train de marcher sur la queue d’un dragon, le psy cotera ça en G, H, Sx, K, (Ad), F-.
… vous comprenez mieux les années d’études nécessaires pour comprendre et analyser tout ce bazar ?
Les planches du Rorschach
Les dix planches que vous vous apprêtez à voir ont été pendant longtemps classées secret défense (ou presque). De nombreux praticiens considèrent que dévoiler publiquement les planches revient à sonner le glas du test de Rorschach. En soi, leur argument tient debout : s’il connait le test avant de le passer devant son psy, le patient faussera complètement les résultats… Les conséquences pourraient être terribles… imaginez un peu un criminel dangereux et psychotique qui parviendrait à tromper tout un collège d’experts et ainsi être remis en liberté ! Voulez-vous vraiment être complice de ÇA ?
(c’est une question rhétorique, vous n’êtes pas obligés de répondre)
Alors, faut-il ou non publier les planches publiquement sur le net ? Dès janvier 2007, des débats interminables eurent lieu dont Liberation se fit l’écho.
Mon avis sur la question, et c’est finalement la décision prise par Wikipedia, c’est qu’aucune raison n’est valable pour justifier la censure.
Surtout, j’imagine qu’un bon psychologue saura détecter une supercherie (qu’elle soit consciente ou inconsciente) et, le cas échéant, sera capable de trouver d’autres méthodes pour accompagner son patient…
Alors, prêts à découvrir les planches de la discorde ?
3
2
1
…
TADAAAAA !!!!
– Eh, mais, y’a que les planches, t’as même pas mis le moindre commentaire ! Escroc !!
(un lecteur énervé)
C’est vrai, je n’y ai mis aucun commentaire… et c’est tout à fait voulu. Pour chaque planche, des dizaines, voire des centaines de réponses-types existent. Quel intérêt y aurait-il à toutes les lister ? Pour la planche I, une liste relativement complète donnerait ça :
(en vérité, c’est surtout que je n’ai pas envie de me taper dix fois le boulot !!)
(je compte sur vous pour ne pas me dénoncer)
– J’en étais sûr, que t’étais une feignasse ! Mais t’aurais quand même pu mettre la signification de chaque planche !
(le même lecteur énervé, qui prouve qu’il s’y connaît et qu’on la lui fait pas, à lui)
C’est vrai, cher lecteur énervé, chaque planche possède un « caractère évocateur ». Levons tout de suite le suspense et dévoilons-les :
Planche I : prise de contact avec le psychologue
Planche II : scène primitive archaïque
Planche III : accès à l’œdipe, orientation sexuelle
Planche IV: représentation du père et de l’autorité
Planche V : idéal du Moi
Planche VI: symbolisme sexuel ou mieux « la bisexualité »
Planche VII: image maternelle
Planche VIII: les étrangers à la famille, représentation de la sociabilité
Planche IX: angoisse devant la mort
Planche X : angoisse de la séparation et du morcellement
Voilà… Passionnant, pas vrai ?
En fait, non, pas du tout. La façon d’obtenir ces « significations » fut purement empirique : des chercheurs ont tout simplement demandé à plusieurs centaines de sujets de désigner la planche parmi les dix proposées qui, selon eux, évoquait le plus la figure paternelle, la figure maternelle, la sexualité, l’autorité, etc… Par recoupements et analyses statistiques, on en vint à établir cette classification.
(je simplifie à peine)
Parce qu’il ne s’agit que d’une simple approche statistique et parce que les critères proposés sont purement subjectifs, c’est l’aspect du test de Rorschach qui me convainc le moins…
Bilan
Alors, qu’en ressort-il, de tout ça ? Moi et mon esprit cartésien, on a du mal à trouver une vraie cohérence au test de Rorschach. Son réel intérêt est l’analyse statistique sur laquelle il est bâti. En sachant ce que répondent « la plupart des gens », un psy arrive aisément à faire ressortir les réponses discordantes, et à en tirer des conclusions sur l’inconscient du patient. Et la méthode marche, c’est indéniable.
(au moins pour certains types de troubles)
Une grave erreur serait néanmoins de penser qu’un tel test peut se suffire à lui-même… Le Rorschach n’est qu’un outil parmi tant d’autres… À lui seul, il ne vaut rien (et que dire des sites peu scrupuleux du genre « passez le test du Rorschach en ligne et découvrez votre vraie personnalité ! » qui fleurissent sur le net !)
Par contre, combiné à un vrai échange avec un thérapeute, il permet de confirmer, voire de déceler, certaines pathologies mentales ou les raisons profondes d’un mal-être.
Bien sûr, mon avis est totalement illégitime : c’est celui d’un simple quidam bien éloigné des études de psychologie qui s’est simplement renseigné (un peu) sur la question. Alors si vous voulez avoir l’avis d’une psy, d’une vraie (quoi qu’un peu déjantée…), allez donc lire l’avis de Vergibération sur la question !
C’est un blog très intéressant et très drôle où il est principalement question, bien sûr, de psychologie !
Quant à nous, on se retrouve bientôt pour parler de Marco Polo et du Devisement du Monde !
Escapades sur le web
Un article très intéressant sur le test de l’arbre
(quand votre façon de dessiner un arbre révèle plein de choses sur vous)
(très utilisé dans les entretiens d’embauche, vous feriez bien de vous y préparer)
En voilà le blog d’une psy qu’il est intéressant : Vergiberation
(elle parle souvent de sexe et, en plus, elle est très drôle)
(ben voilà, j’étais sûr que vous alliez cliquer)
Geopsy.com, Psychologie interculturelle et Psychothérapie
(le meilleur document sur le net que j’ai trouvé pour comprendre le système de cotations du test Rorschach)
____________________________________
Vous avez aimé cet article ? Alors j'ai besoin de vous ! Vous pouvez soutenir le blog sur Tipeee. Un beau geste, facile à faire, et qui permettra à EtaleTaCulture de garder son indépendance et d'assurer sa survie...
Objectif: 50 donateurs
Récompense: du contenu exclusif et/ou en avant-première
Je vous remercie pour tout le soutien que vous m'apportez depuis maintenant 5 ans, amis lecteurs!
Djinnzz
PS: ça marche aussi en cliquant sur l'image juste en dessous ↓↓↓↓
Le fait que ce test soit ancien permet effectivement d’avoir une grande quantité de données, mais cela doit aussi générer des biais, non? J’ai du mal à croire qu’en 1921 une majorité de gens voit un biker en regardant la planche IV…
Merci pour vos articles !
Oui, les réponses évoluent au fil des générations !
Les réponses ne sont pas les mêmes non plus entre un Américain, un Français ou un Japonais… ou entre un homme et une femme…
Elles dépendent également du niveau d’étude, du milieu social, etc.
C’est aussi pour cela que les livres de cotations sont si épais, et le test si compliqué à analyser 🙂
Le clip de Crazy utilisant le principe de Rorschach pour un visuel très réussi :
Ce boulot de dingue pour les montages photos… Notamment pour les captures écran Facebook…
Vous êtes un grand malade !!!
Le test de l’arbre, moi je veux bien.
Mais ça aurait été plus sympa avec des bites, non ?
« Maintenant, prenez cette feuille et dessinez-moi une bite. »
J’imagine d’ici la tête du candidat…
😀
Vous écrivez :
« Par exemple, un kob élevé (kob pour « kinesthésie d’objet » – lorsque le sujet mentionne qu’un objet est en mouvement sur la planche) montre une tendance à l’impulsivité »
Comment on en arrive à une telle conclusion ?
Merci
C’est très simple, encore par analyse statistique !
Sur un grand nombre de patients, on remarque que ceux qui ont tendance à visualiser des objets en mouvement sur les planches ont une tendance à l’impulsivité.
En extrapolant, on en arrive, statistiquement, à cette conclusion…
Bien sûr, le sujet est éminemment plus complexe puisque les praticiens étudient toutes les facettes de la personnalité d’un patient, et non seulement une seule caractéristique…
Mais il faut bien comprendre que le test de Rorschach est purement empirique !
Je suis moi-même ce que vous appelez une « psy »…
L’article est bien sûr très réducteur, mais vous le dites vous-mêmes, il faut plusieurs années d’apprentissage (en fait, 1 an ou 2 suffisent en fonction des facs) et ce n’est pas un article de quelques centaines de mots qui peut à lui seul tout expliquer.
Les grandes lignes y sont, ça démystifie un peu le tout, c’est bien.
Comme tout spécialiste, certains raccourcis me font bondir, mais c’est le propre de la littérature « grand public » que de rester accessible.
Contrairement à certains de mes confrères, je trouve la démarche louable et, si cet article peut inciter certaines personnes à franchir la porte d’un cabinet, je dis pourquoi pas !
Et merci pour la découverte de Vergiberation… Comme quoi, certains de mes collègues sont un peu givrés… c’est bien (référénce aux articles de fond sur les piercings intimes, ou sur tous articles à connotation « sessouelle » à se rouler par terre ! 🙂
Merci beaucoup pour votre retour !
Traiter ce genre de sujet est toujours très compliqué car, en général, les spécialistes veillent au grain et vous tombent dessus à la première occasion !
Je ne suis pas psychologue, et je suis content de pouvoir avoir accès à ces infos sur le test du Rorschach qui était jusqu’à présent très mystérieux pour moi…
Ceci dit, je peux comprendre les réactions négatives de la profession… En diffusant ce genre d’infos, on met fin au culte du secret et c’est un peu de leur gagne-pain qui part en fumée…
Les réactions corporatistes de ce genre sont parfaitement normales, mais je reste convaincu que les arguments donnés pour ne pas diffuser les planches ne sont pas de très bonne foi…
salut à tous
toujours très intéressant
Ah Rorschach… mon personnage préféré des Watchmen… Il y fait d’ailleurs le test…
Moi j’ai toujours trouvais ce test étrange, se baser sur des statistiques pour juger une personnalité unique, je trouve cela tendancieux au possible, après tous, vous pouvez être très rêveur et voir des papillons partout mais être un assassin quand même…
Bonjour,
Je cherche un psychologue qui sait faire et interpréter le test de Roschach,
Merci de m’orienter vers un ou plusieurs psychologue expérimenté en région parisiennne,
Vous pouvez me répondre par mail,
Bien à vous,
M ELMEZ
On m’a fait passée ce test quand j’étais hospitalisée pour dépression à 17 ans…
Pour m’amuser, sur l’une des images, j’avais dit à la psy que je voyais deux homosexuels en train de faire l’amour lol
Que va-t-on en conclure ? Que je suis obsédée par le sexe ?
Et pourtant c’est tout l’inverse : je suis asexuelle… (à ne pas confondre avec « asexuée », merci).
Pour moi, ce genre de tests n’a pas de valeur…
Dire que le test de Rorschach n’a pas de valeur est un peu court. Pour appuyer votre propos, il faut des preuves. Sur internet, les preuves foisonnent pour démontrer que ce test est aussi valide que … la boule du voyant ! Voici une vidéo assez bien faite pour le démontrer :
https://youtu.be/tG9tsnLET5E