La véritable histoire d’Œdipe… et les bêtises de Freud à son sujet
Une inquiétante prophétie
Le roi de Thèbes, Laïos, a tout pour être heureux. Les caisses de son royaume sont pleines, son peuple l’apprécie, et il file le parfait amour avec son épouse Jocaste. Seule ombre au tableau: malgré tous les efforts du couple, il n’arrive pas à avoir la moindre descendance. Et cette situation qui dure depuis quelques années commence sérieusement à l’inquiéter.
Comme tous les rois grecs dans ce genre de situations, Laïos décide d’aller voir l’oracle de Delphes. L’oracle de Delphes, c’est un peu la madame Irma de l’Antiquité, le Paco Rabanne du Péloponnèse que l’on craint autant que l’on respecte. Et cet oracle lui conseille de ne pas insister, car s’il donne naissance à un héritier, celui-ci finirait par le tuer, épouser sa mère, et causer à la ville de Thèbes d’innombrables malheurs. Rien que ça!
Sous le choc, épouvanté à l’idée qu’une telle prophétie se réalise, Laïos décide de ne plus toucher sa femme. Mais cette abstinence forcée n’est pas du goût de Jocaste. Un soir d’ennui, elle enivre son mari, l’emmène dans son lit et partage avec lui un peu d’intimité… Neuf mois plus tard naît un petit garçon tout mignon.
Enfer et damnation! Laïos est fou d’inquiétude! Impossible de garder cet enfant qui causera la ruine de sa famille et de sa patrie. La mort dans l’âme, mais sachant qu’il n’existe pas d’autres solutions, il part sur le mont Cithéron et abandonne le nouveau-né. Pour des raisons obscures, il transperce les pieds de l’enfant avec un clou et l’accroche à un arbre. C’est d’ailleurs de là que vient le nom d’Œdipe à l’enfant, littéralement « celui qui a les pieds enflés ».
L’histoire aurait pu s’arrêter là mais, bien sûr, les dieux en voulurent autrement… Le berger Phorbas entend les cris de l’enfant et le sauve d’une mort certaine. Après l’avoir nourri et réchauffé, il fait part de cette découverte au roi Polybos de Corinthe dont il est le sujet. Ce dernier voit en l’enfant un cadeau des dieux. Lui qui, justement, n’arrive pas à avoir d’héritiers, il accueille le nouveau-né avec joie et l’élève comme s’il était son fils.
Prophétie tragique, acte I
Œdipe grandit donc avec bonheur dans le palais de Polybos, en ignorant sa réelle identité. Mais des rumeurs colportant le fait qu’il est un enfant trouvé se font de plus en plus pressantes dans le royaume… Le jeune homme n’y prête tout d’abord pas attention mais, tout de même intrigué, il questionne ses parents sur la question. Le malaise qui s’installe alors lui fait comprendre qu’il y a anguille sous roche… Alors, à son tour, il décide d’aller voir l’oracle de Delphes pour l’interroger sur ses origines. Fidèle à ses déclarations sibyllines, l’oracle ne lui donne pas de vraies réponses, ou du moins lui cache-t-il une partie de la vérité… Œdipe apprend ainsi qu’une malédiction pèse sur lui, et qu’il est destiné à tuer son père et à épouser sa mère.
Le jeune garçon est sous le choc. Lui qui aime tant ses parents, il ne comprend pas comment de telles abominations pourraient arriver. Mais, sachant que les paroles du messager des dieux ne sont pas à prendre à la légère, et ne voulant pas prendre le risque de faire du mal à Polybos malgré lui, il prend la décision de partir loin de sa famille. Il s’exile de Corinthe et commence une vie d’errance, de villes en villes, de royaumes en royaumes.
Un jour, Œdipe croise un homme, sans doute un notable à en croire ses vêtements luxueux. À côté de lui, une personne qui semble être à son service. L’homme prend le vagabond de haut, et lui ordonne de s’écarter de son chemin. Devant le refus d’Œdipe, il s’approche, l’air menaçant, et lui porte un coup de bâton. Grossière erreur! Pris de colère, Œdipe tue les deux hommes et continue son chemin, laissant deux cadavres fumants le long du chemin… Il ne le sait pas encore, mais il vient bien malgré lui d’accomplir la première partie de la prophétie. Car l’homme qu’il vient de tuer n’est autre que Laïos, le roi de Thèbes, son père biologique!
Et Œdipe continue son chemin vers Thèbes…
Une histoire de Sphinx
À Thèbes, justement, on est très inquiets. Un monstre mystérieux vient de s’installer dans la région. Il se fait appeler le Sphinx, ressemble à un genre de lion avec des ailes et une tête de femme, et sème la terreur auprès des habitants. Sa façon d’agir n’est pas commune: il pose des énigmes complexes à ses victimes et, si celles-ci ne savent pas y répondre (c’est-à-dire tout le temps), il les dévore sans autre forme de procès…
Ne sachant comment se débarrasser de ce terrible monstre, le nouveau roi de Thèbes, Créon, fait une annonce retentissante: il cédera son trône ainsi que la main de la reine Jocaste à quiconque réussira à débarrasser la région de ce maudit Sphinx!
Œdipe, n’ayant pas grand chose d’autre à faire, décide de tenter le coup. Il va à la rencontre du monstre et attend que celui-lui lui soumette son énigme. Celui-ci ne se fait pas prier et lui pose la question suivante:
Quelle créature marche sur quatre pattes le matin, sur deux à midi et sur trois le soir?
Vous avez trouvé? Si oui, alors vous êtes aussi fort qu’Œdipe… Car il ne lui faut que quelques secondes de réflexion pour que tout s’éclaire: « C’est l’homme! » s’écrie-t-il avant de poursuivre: « Le matin, c’est-à dire quand il est bébé, l’homme marche à quatre pattes. Quand il est adulte, il marche sur ses deux jambes. Et quand il se fait vieux, sa canne fait office de troisième jambe! »
#Fierté
C’est la première fois que le Sphinx perd à ce petit jeu! Humilié, il se jette du haut d’une falaise et se tue.
Créon est un homme de parole et il tient donc sa promesse: il cède son trône et son épouse au nouveau héros de la région.
De vagabond, Œdipe se retrouve donc roi de Thèbes, et mari de Jocaste. Eh oui, Jocaste, sa propre mère biologique! La deuxième partie de la prophétie vient donc bel et bien de se réaliser, sans que personne ne se doute encore de la terrible vérité… Pour le moment, Œdipe coule des jours heureux dans sa nouvelle vie. De son union avec Jocaste naissent quatre enfants: Etéocle, Polynice, Ismène et Antigone.
Quand éclate l’effroyable vérité
Thèbes va bientôt subir une nouvelle épreuve: cette fois, c’est une terrible épidémie de peste qui s’abat sur la ville. Alors que les cadavres s’accumulent, on va de nouveau interroger l’oracle de Delphes pour trouver une solution. Celui-ci est formel: l’épidémie ne s’arrêtera que lorsque le meurtrier du roi Laïos sera démasqué.
Mais comment mener l’enquête? Le cadavre du roi Laïos a été découvert le long d’un chemin, gisant dans son sang, plusieurs années auparavant. Même Œdipe ignore qu’il est lui-même le meurtrier du roi!
Pour son plus grand malheur, Œdipe fait venir à la cour le devin Tirésias. Et la vérité éclate enfin au grand jour: usant de son don de divination, ce dernier lui révèle que c’est lui-même qui a tué Laïos! Œdipe est abasourdi. Il ne veut d’abord pas y croire, mais les souvenirs du double meurtre qu’il a commis lui reviennent et il doit se rendre à l’évidence et accepter cette terrible vérité…
Mais le pauvre n’est pas encore au bout de ses peines!
Peu de temps après arrive un messager de Corinthe qui lui annonce que son père Polybos est mort et que le peuple le réclame pour lui succéder sur le trône. Œdipe explique qu’il est déjà roi de Thèbes et que, de toute façon, il préfère se tenir éloigner de Corinthe et de sa mère, de peur que la prophétie ne se réalise. Et l’homme le rassure tout de suite: il n’a pas à s’en faire, tout simplement parce qu’il n’est pas le vrai fils de Polybos et de Mérope. C’est lui-même qui l’a récupéré des mains d’un berger nommé Phorbas, alors qu’il n’était encore qu’un nourrisson!
Œdipe fait venir le berger, qui ne tarde pas à confesser toute l’histoire. Et ainsi éclate l’effroyable vérité… Œdipe est bien le fils de Jocaste et de Laïos, il a tué son père sur le bord de la route quelques années auparavant et il partage sa couche avec sa propre mère!
La vérité est trop horrible. Jocaste s’enfuit dans ses appartements. Désespérée, elle se donne la mort en s’enfonçant un glaive dans le flanc.
Œdipe, quant à lui, ne veut plus regarder le monde: il se crève les deux yeux. Ses enfants se détournent de lui, à l’exception d’Antigone qui lui restera fidèle jusqu’à sa mort. Il quitte la ville avec elle et, tous deux, marchent jusqu’en Attique comme des vagabonds… Œdipe mourra peu de temps après, au milieu des bois, dans l’anonymat le plus complet.
Une bien triste histoire, n’est-ce pas?
Et Freud, dans tout ça ?
Bien des siècles plus tard, Sigmund Freud se sert de l’histoire d’Œdipe pour illustrer le désir inconscient d’entretenir un rapport sexuel avec le parent du sexe opposé et celui d’éliminer le parent rival du même sexe. J’ai toujours été attristé que le nom d’Œdipe soit ainsi associé à ce « complexe ». Lui n’a jamais eu le moindre désir, même inconscient, pour sa mère. Il n’a jamais non plus éprouvé l’envie de tuer son propre père! Il est seulement la victime de sa propre destinée, et s’infligera un terrible châtiment lorsqu’il découvrira la vérité.
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Je me rappelle d’un film que mon prof de latin nous avait montr au lycée. Cela racontait l’histoire d’Oedipe. Le style était très « contemplatif » (on s’était tous grave emmerdé en le regardant) mais maintenant j’aimerais bien le revoir.
Une idée de quel film il pourrait s’agir?
Peut être Edipo Re de Pierpaolo Pasolini?
Il y a eu pas mal de versions différentes d’Oedipe aussi bien au cinéma qu’au théâtre, mais je pense que vous parlez du film « Oedipe-Roi » de Pier Paolo Pasolini de 1967.
Je n’ai pas vu ce film, j’ai juste réussi à en trouver un extrait sur Youtube et je vois ce que vous voulez dire en parlant de « contemplatif » 🙂
Dites-moi si cela correspond à vos souvenirs!
J’ai finalement trouvé la version complète du film! Enjoy! 😎
PS: les sous-titres français peuvent être activés en cliquant sur le bouton adéquat en bas du lecteur Youtube
Difficile de rester accroché à cefilm. C’est long, c’est long… 😕 Mais il parait ke cest un classique. Je passe mon tour, l’article qui résume la vie d’Eudipe me suffit!
Une critique du film: http://critiquescinema.canalblog.com/archives/2007/02/28/4165186.html#comments
Toujours un vrai plaisir de vous lire !
Je connaissais la trame de l’Histoire, comme tout le monde je pense, mais ce sont les détails qui rendent le tout si intéressants.
Merci !
Une vraie cougar, cette Jocaste !
:p
Bonjour, je viens de découvrir votre site, très intéressant! Le parallèle de Freud avec cette histoire m’a souvent agacée, et a la relecture de votre article sur ce mythe, je vois d’autant plus le raccourci grossier de son complexe d’Oedipe.
Le « complexe d’œdipe » inventé par Freud en lui même m’a toujours donné envie de vomir. En réalité, il ne s’agit que d’une manière de rationaliser l’inceste en rejetant la culpabilité sur l’enfant victime. Freud lui même a admis, à la fin de sa vie, s’être planté sur toute la ligne concernant cette théorie.
Si on peut établir un parallèle entre l’histoire d’œdipe et Freud, c’est que le psychanalyste a lui aussi préféré se crever les yeux plutôt que d’affronter la réalité, à savoir, les conséquences terrifiantes de l’inceste qu’il a pu observer à de nombreuses reprises.
Remarque très juste lorsque vous relevez que dans l’analyse de Freud, le désir inconscient d’inceste vient de l’enfant. Une façon (inconsciente?) et dégoûtante de dédouaner les désirs coupables de certains adultes incestueux.
Je n’avais jamais vu les choses sous cet angle…
Maintenant que vous le dites, les choses me semblent limpides.
Je n’aimais déjà pas beaucoup ce concept de complexe d’Oedipe mais sans vraiment savoir pourquoi. Maintenant, j’ai au moins une bonne raison !
Le nom donné au fait qu’un enfant aime sa mère et veut « tuer » le père est très mal choisis par Freud.
Il n’y a dans la mythologie aucune volonté d’OEdipe dans ce sens… S’il avait su que c’était sa mère qui était dans son lit, il aurait été dégoûté par la chose. Idem s’il avait que c’était son propre père contre qui il se battait…
Peut-être qu’un enfant développe vraiment ce que Freud décrit (personnellement, je n’en ai pas le souvenir mais je n’y connais rien en psychanalyse) mais donné à cette théorie le nom du personnage dénature complètement le récit d’OEdipe, qui ne mérite vraiment pas ça.
Je suis d’accord: Odile n’a rien demandé, lui!!! Si ça se trouve Freud à juste donné le nom d’ Odile à son complexe parce qu’il ne trouvait pas d’autre nom…
Le film est certes « contemplatif » ( et aussi plutôt répétitif au niveau de la Bo) mais il en est arrivé à être un classique, qui est au programme de littérature de cette session du bac, clairement, sans analyse le film se fait bien trop long,
c bi1 mai je préfer call of duty
bon concept mai bon c chelou que odin il est pas sculteur de chant en grèce de roumanie
Quand on ne connaît rien à la psychanalyse, mieux vaut se taire !
Très bon commentaire de Duchnoc semble-t-il! Le mot à double racine d’Oedipe signifie en grec pied gonflé (ou enflé) mais la racine d’enflure ou de gonflement est à prendre au sens littéral tout autant qu’au sens figuré. Les Grecs ne manquaient pas d’humour, quand on pense à l’injure moderne explicite: « Espèce d’enflure »!.. Si cela vous rappelle quelqu’un, je décline toute responsabilité, les postulats philologiques étant des fictions, certes porteuses, mais dont il serait injustifié de condamner le messager, à plus forte raison Freud.
Vous avez tout à fait raison. Il n’y a rien à dire sur la psychanalyse. Pas plus que sur la cartomancie ou la mémoire de l’eau.
Désolée mais dans votre article quelque chose est faux: Jocaste se tue en se pendant avec son écharpe rouge et Œdipe se crève les yeux à l’aide de la broche d’or de sa mère-femme.
Et oui ! Ce serait plutôt une histoire de transmission familiale, plutôt que de détournement de libido et de castration dans le développement « normal » de l’individu.
Le nom Antigone signifie à l’encontre des ancêtres ou du père. Elle semble s’opposer au déterminisme familiale. Prendre en compte la conclusion des mythes semble important si l’on veut voir toute la teneur du message. Sinon il y a des trous. Ce qui peut paraître normal au premier abord avec les mythes.