[Monuments du Monde] Le riche, le malfrat et la Justice
Qui suis-je ?
Je me présente bien volontiers… mais c’est à vous de me dire mon nom!
Conçue à la fin du XVIIe siècle par l’architecte illustre d’un roi de France non moins illustre, trois objectifs m’avaient été fixés:
– faciliter la circulation dans ce lieu,
– embellir Paris (encore !! ouïs-je déjà),
– mettre mon roi à l’honneur.
Ma « formation complète » dura 22 ans, en raison (ô ironie du sort par rapport à ce que je suis devenue) de problèmes… financiers! Mais, majesté oblige, la statue équestre de mon roi en empereur romain vint m’orner bien avant que je sois achevée.
Mes dimensions ? Typique de l’urbanisme classique français, je suis ornée de bâtiments homogènes formant un carré de 124 mètres de côté que des pans coupés à chaque angle transforment en octogone. Je m’étire de 45 m vers le nord comme vers le sud par des prolongements de 22 mètres de large. Ceux-ci me font rejoindre les bâtiments des rues qui m’enserrent et les envelopper d’un joli retour de 15 m.
Ainsi ma plus grande longueur s’élève à 214 mètres.
Mes mensurations définies, passons à mon habillage…
Pas moins de 158 arcades dont 110 pour mon octogone seul, enveloppent mes formes.
Chacune de mes deux « ailes » (droite et gauche) comporte 55 arcades pour ma partie octogonale placées de façon symétrique par rapport au bâtiment central plus imposant. En partant de mon extrémité nord et en allant vers le sud, le nombre des arcades se répartit de la façon suivante :
9 + 5 + 11 + 5 + 11 + 5 + 9.
Ajoutez à cela 24 arcades sur mes petits côtés… et vous aurez fait le demi-tour de mon intimité.
Soit un total de 79 arcades à multiplier par deux pour mon tour de taille complet (soient 158, le compte est bon)… Pas mal, non? Cette beauté des chiffres ravira, j’en suis sûre, les plus mathématiciens d’entre vous.
Mes arcades sont surmontées de deux étages de fenêtres et d’un troisième étage à mansardes percées de fenêtres et d’œils-de-bœuf.
Au-dessus de chaque arche, je me pare d’un mascaron (une figure grotesque sculptée) et, sur chaque rambarde des fenêtres du premier étage, d’un emblème doré du soleil avec une tête en son centre, ce qui rehausse mon teint.
En mon centre, ma colonne a connu beaucoup de vicissitudes que je vous narrerai un peu plus tard. Celle que l’on voit n’est pas l’originale, mais date de 1873 où fut reconstituée la colonne précédente. Elle pèse 2 000 tonnes de pierres et de cuivre et comporte un escalier à vis intérieur de 180 marches !
Mais faisons maintenant le tour de ma propriété…
Parcourez mon tour de taille: il en vaut le coup, j’allais dire son pesant d’or.
Mesdames à votre « grand » charme et Messieurs à vos bourses, ne serait-ce que pour une petite fantaisie! Depuis plus d’un siècle en effet, bijouteries, joailleries, horlogeries, parfumeries et maisons de haute couture parmi les plus célèbres du monde me servent de parures: Boucheron, Cartier, Van Cleef et Arpel, Chanel, Louis Vuitton, Rolex, Chaumet, Bulgari, Piaget, Guerlain et d’autres encore…
J’abrite également l’un des hôtels les plus luxueux de Paris: le Ritz, propriété de Mohamed Al-Fayed, milliardaire égyptien et père de Dodi Al-Fayed qui fut l’ami de la princesse Diana.
La banque JP Morgan occupe une place centrale sur ma face Est et regarde le Ministère de la Justice, sur la face ouest.
Vous l’aurez deviné, je suis très appréciée des riches étrangers, tels le Sultan du Brunei ou l’émir du Qatar qui ont acheté certains de mes hôtels particuliers…
Quelques précisions historiques
J’ai été conçue par Jules Hardouin-Mansard, architecte de Louis XIV, l’idée ayant été reprise par Louvois qui la présenta au roi. Les travaux commencèrent en 1686. Après une interruption entre 1691 et 1699, faute d’argent, Mansard me porta à terme en 1708 grâce au financement de la Ville et de spéculateurs qui se partagèrent les terrains derrière les façades pour la construction d’hôtels particuliers. Le célèbre banquier Law fut le dernier acquéreur d’un hôtel en 1718.
Je n’ai guère évolué au cours des siècles et mon histoire est surtout devenue celle de ma colonne centrale.
Épopée de ma colonne centrale et de sa statue
Vous vous rappelez sans doute que mon premier occupant fut la statue équestre de mon roi. Sans surprise, cette statue fut renversée à la Révolution, mais son socle resta sur place.
Sur ce piédestal, fut érigée en 1806 une colonne de 44 mètres de haut et 3,60 de diamètre à la gloire des soldats vainqueurs d’Austerlitz, reprenant le modèle de celle de Trajan de la Rome antique.
Imaginez le topo: un fût en maçonnerie autour duquel furent enroulés 76 bas-reliefs façonnés sur 425 plaques en bronze représentant cette campagne de 1805. Cette « spirale » de bronze mesurait 280 mètres et faisait 22 fois le tour de la colonne… Un travail de dingue!
Le bronze provenait de la fonte de 1.250 canons pris aux Russes et aux Autrichiens: armes de guerre transformées en œuvres d’art… Pour couronner le tout, une statue de Napoléon, en empereur romain, fut placée au sommet.
Cette colonne dite « de la Grande Armée » ou « d’Austerlitz » fut inaugurée le 15 août 1810. Hélas pour l’Empereur, la statue suivit sa chute et fut fondue avec d’autres pour fabriquer la nouvelle statue d’Henri IV sur le Pont-Neuf en 1818.
Mais Napoléon, cette fois en habit de « petit caporal », remonta sur sa colonne grâce au roi Louis Philippe en 1833. Refaisant le haut, on refit également le bas et le socle fut rénové en granit… de Corse. C’était bien la moindre des choses!
Trente ans plus tard, en 1863, Napoléon III remplaça finalement cette statue par une réplique de la première de Napoléon en empereur romain. Mais l’histoire de la statue du « petit caporal » ne s’arrête pas là. Elle fut d’abord déplacée en 1863 au Rond-Point de la Défense à Courbevoie. En 1870, pour la soustraire aux Prussiens qui marchaient sur Versailles, elle fut noyée dans la Seine. Repêchée et mise en dépôt, elle fut finalement transférée dans la galerie supérieure de la cour d’honneur des Invalides le 11 mars 1911 où elle se trouve toujours!
Ainsi, trois statues de Napoléon se sont succédées en haut de ma colonne en un peu plus de cinquante ans…
Comme les symboles n’échappent (presque) jamais aux révolutions, il fallait bien que ma colonne succombe à un moment ou un autre. Ce fut la Commune qui, en mai 1871, la détruisit complètement en tant que symbole de l’absolutisme et du militarisme. La statue eut la tête coupée, la moindre des choses en ces temps troublés.
Par miracle sans doute, les plaques de bronze avaient été récupérées. Ainsi, en mai 1873, colonne et statue purent-elles être réédifiées, telles que vous pouvez les voir aujourd’hui. Le peintre Gustave Courbet, qui avait été initiateur de la demande de destruction, fut déclaré responsable de ce désastre culturel et fut condamné à en régler l’addition.
Gustave Courbet mourut (quelle chance pour lui!) avant d’avoir payé même la première traite!
Le nouvel ennemi de la colonne étant maintenant la pollution automobile, un nettoyage complet financé par l’hôtel Ritz a été effectué entre 2014 et 2015, ce qui a permis à la colonne de retrouver son éclat.
Cessons le suspense ! Quel est mon nom ?
Telle une mante religieuse, j’ai volé en 1800 mon nom à l’Hôtel particulier situé près des Tuileries qu’il avait fallu démolir pour me construire un siècle avant.
Mon premier nom a été : Place Louis le Grand, de ma construction à la Révolution, puis Place des Piques jusqu’en 1799. Je fus encore rebaptisée un court moment Place Internationale en 1871 lors de la Commune.
Je m’appelle maintenant… la Place Vendôme!
Quelques anecdotes
– La Maison Chaumet, célèbre joaillier et horloger de luxe, remonte à 1780. Elle fabriqua notamment l’épée consulaire de Bonaparte, la couronne du sacre de Napoléon, la tiare que Napoléon offrit au Pape Pie VII et la couronne de l’impératrice Marie-Louise en 1812. Trois fois rien, en somme…
– La « folle de la Place Vendôme » : c’est ainsi que fut surnommée la Comtesse de Castiglione qui habita pendant 16 ans au n° 26 jusqu’en 1893. Aristocrate piémontaise, célèbre espionne, elle fut un temps la maîtresse de Napoléon III. Qualifiée de plus belle femme de son siècle, elle fut aussi une figure de la photographie. Après l’effondrement de l’empire, souffrant de neurasthénie et misanthropie et ne supportant pas de se voir vieillir, elle vécut dans le dénuement et dans le noir. Elle tendit de noir tous les murs de son appartement et en voila tous les miroirs pour ne pas voir son visage changer. Ses volets étaient toujours fermés et elle ne sortait que la nuit tombée, vêtue de noir et errait dans le quartier.
– Le mètre en marbre : au n°13 de la Place se trouve le ministère de la Justice. Sur la façade à gauche de l’entrée se trouve un mètre en marbre qui a été installé en 1795 pour familiariser les Parisiens avec la nouvelle mesure linéaire.
– Chopin est décédé au n° 12 (maison du joaillier Chaumet) à 39 ans en octobre 1849.
– Henri Salvador, chanteur-compositeur, guitariste et humoriste a vécu au n° 6 de 1962 à sa mort en 2008.
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Djinnzz
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Merci pour tout, ces balades dans paris sont très agréables.
Merci pour cette passionnante plongée dans la place Vendôme. J n’aurai pas cru qu’il y eut tant à en dire.
J’ai particulièrement aimé le passage sur les 3 statues de Napoléon et Gustave Courbet.
Un peu de « sang frais » sur ce site fait du bien… Bienvenue à Spritz92 !
J’avais déjà aimé sur le même thème l’article sur le pont Alexandre
Merci pour lui 🙂
Merci de ce mot de bienvenue. C’est sympa ! Il est apprécié et ce merci s’adresse à tous. J’espère continuer, me diversifier et ne pas vous décevoir. Amicalement.
Pont Alexandre : http://www.etaletaculture.fr/culture-generale/monuments-du-monde-quatre-renommees-pour-une-alliance/
Place des Vosges : http://www.etaletaculture.fr/culture-generale/monuments-du-monde-royale-mais-sans-roi-400-ans-mais-sans-rides/
Fontaine Saint-Michel : http://www.etaletaculture.fr/culture-generale/monuments-du-monde-prudence-justice-force-et-temperance/
Tour Saint Jacques : http://www.etaletaculture.fr/culture-generale/monuments-du-monde-il-y-a-plus-de-500-ans-les-bouchers-du-quartier-se-sont-cotises-et/
Et maintenant place Vendôme…
On sait où Spritz92 habite ! 🙂
Il n’y a plus qu’à attendre que tous les autres monuments soient traités… vous avez encore du boulot devant vous !
Quand Paris sera tarie (allitération et homonymie dans la même phrase, whaaaaa chuis trofor), je vous propose aussi de traiter les châteaux de la Loire ou la place Stanislas…. Il y a énormément à dire dessus.
« Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes » : allitération. Saint, ceint, sain, seing : homonymes !
Oui, il y a encore du boulot avant que Paris ne soit tari. Mais des incursions ailleurs telles que celles proposées ne sont pas à exclure bien sûr !
Ouais, bon, d’accord… vous cassez mon délire là 🙂
N’avez-vous jamais eu l’idée de faire un tirage papier de vos articles ?
J’achèterai volontiers un petit fascicule sur Paris, à glisser dans ma poche quand je suis en visite dans notre belle capitale.
L’idée est excellente, bien sûr… Mais voilà le boulot que ça demanderait !
Ah, je vois. Môôôôssieur rechigne à travailler…
Humour, intelligence et culture, l’ADN de ce blog.
Je partage à mes proches
J’ai vu un reportage sur la sainte Chapelle cet après midi sur le câble !
Tu devrais en parler !!!!
Bonne soirée
La Sainte Chapelle est également en ligne de mire, si j’ose dire, et bien d’autres… il faut du temps ! Merci de cette suggestion. Bien noté.
Fin XVIIème, un un Monsieur qui souhaite investir beaucoup d’argent décide de se faire construire un hôtel particulier sur cette place.
Ce bâtiment qui est grand et beau va être racheté en 1706 par un homme politique parisien qui le cède à sa fille.
La fille épouse ensuite un fermier général (genre de percepteur des impôts) : Paul Poisson de Bourvallais.
Le palais s’appelle maintenant l’hôtel de Bourvallais.
Puis Louis XIV meurt. Philippe d’Orléans assure la régence, mais les caisses du Royaume sont vides (ce n’est pas pour rien que Louis XIV avoue « qu’il a trop aimé la guerre » sur son lit de mort…)
Les impôts, c’est en général la meilleure solution pour renflouer les caisses du royaume, mais tout la population est fauchée (sauf les riches qui, par définition, sont riches).
Philippe d’Orléans prend donc une décision audacieuse pour l’époque : faire payer les riches… dont les fermiers généraux. Les comptes des Grands du royaume sont épluchés et on se rend compte que Paul Poisson de Bourvallais est riche à millions. (malversations ? Détournements de l’impôt ?) Quoi qu’il en soit, il est condamné à payer une lourde amende, et son palais place Vendôme est confisqué par la même occasion.
L’hôtel de Bourvallais appartient maintenant à l’Etat.
Et Philippe d’Orléans cherche justement des locaux pour installer durablement ses ministères. Car avant cela, il n’y avait pas de lieux à proprement parler qui incarnait les ministères : chaque ministre officiait chez lui…
Et c’est ainsi que le ministère de la Justice se retrouva place Vendôme.
J’espère que cette histoire vous a plue !
Merci de cette histoire fort intéressante et qui vient compléter et agrémenter la présentation générale.
A une prochaine fois peut-être sur un autre sujet !