Le « penis captivus », réalité anatomique ou légende urbaine ?
Hier soir, je tombai par hasard sur une émission nommée « Drôles d’Urgence », diffusée sur la chaîne Discovery Science et classée dans la rubrique « Sciences et technique ». Voilà de quoi, pensai-je alors, me détendre de façon ludique et intelligente, entre deux séances de révision intensives.
La scène présentait un couple, enlacé dans la position équivoque dite « du missionnaire », qui avait été obligé d’appeler les Urgences pour une raison plutôt gênante : l’homme, paniqué, était coincé dans les parties intimes de sa partenaire tandis que la femme, en pleurs, n’arrivait pas à empêcher les contractions de ses parties intimes pour libérer son amant.
Ce n’est pas forcément le genre de scène à laquelle on s’attend devant une émission classée dans la rubrique « Science et technique »… mais je continuai à regarder, comme fasciné par ce qui se passait sous mes yeux.
Une infirmière arriva enfin à leur chevet et, hilare, sortit un tube de lubrifiant pour tenter de résoudre le problème. Au passage, elle s’essaya à une métaphore très à-propos : « c’est comme essayer d’enlever un anneau trop serré à un doigt, dit-elle. Si on tire trop fort, ça fait très mal ! Mieux vaut y aller en douceur. »
Ne connaissant pas grand chose à l’anatomie féminine, je risquai une plaisanterie à mon ami qui, assis à côté de moi, assistait à la scène avec la même incrédulité que moi :
– Mais, mais, mais… C’est vachement risqué d’être hétéro, en fait !
Alors que nous nous apprêtions à découvrir le dénouement de cette terrible histoire, une coupure publicité nous laissa sur notre faim… Ni une, ni deux, je me ruai sur mon téléphone pour demander à Google ce qu’il ne me serait jamais venu à l’esprit de demander un jour… Les suggestions de recherches me firent comprendre que je n’étais pas le seul à me poser ce genre de questions !
(note pour moi-même : ne jamais sous-estimer l’imaginaire humain)
Un des premiers résultats fut une « étude » d’un site à l’apparence et au nom très sérieux : SciencePost .
L’article ne se contentait pas d’alerter sur ce phénomène, mais offrait également au lecteur ébahi une méthode infaillible pour « décoincer » la situation. Pour cela, rien de plus simple, il suffisait de mettre un doigt dans le… hum, tout bien réfléchi, je vous laisse découvrir ça par vous-même:
(attention, l’image risque de ne pas s’afficher si vous lisez ça sur un smartphone – essayez de passer en mode paysage dans ce cas !)
Un je-ne-sais-quoi me mit la puce à l’oreille. Et si tout ceci n’était, au fond, qu’une vaste plaisanterie censée berner les esprits les plus crédules ?
Un premier mystère se devait d’être levé : qui était donc ce « Dr Neidhart » sur qui toute la crédibilité de l’article de l’information semblait reposer ?
Quelques approfondissements s’imposèrent… Je découvris qu’il s’agissait du Professeur émérite Jean-Pierre Hanno Neidhardt, 85 ans, spécialiste de l’anatomie humaine à l’Université de Lyon. À ce stade de mes recherches, je m’avouai vaincu.
Si un professeur de renom le disait… ça devait être vrai.
Mais non, je ne pouvais pas baisser les bras aussi facilement. Pour en avoir le cœur net, je tentai d’entrer en contact avec lui… Je lui écrivis le message suivant à une adresse mail trouvée sur le net :
Bonjour Professeur Reinhart,
Je fais en ce moment des recherches concernant le « penis captivus ».
Tout me porte à croire qu’il s’agit là d’une légende urbaine. Pourtant, votre nom apparaît sur beaucoup de sites internet pour cautionner l’existence de ce soi-disant mécanisme anatomique.
Étant très méfiant sur les informations qui peuvent circuler sur internet, auriez-vous la gentillesse de me dire ce que vous pensez de ce phénomène ?
En vous remerciant par avance, je vous souhaite une excellente journée.
Arnaud P***
Blogueur & passionné d’Histoire
En attendant sa réponse, je poursuivis mes recherches… et tombai sur ce document paru dans le très sérieux British Medical Journal en 1979 : « Penis Captivus – did it occur ?«
(« est-ce déja arrivé ? » en anglais)
Enfin une source sérieuse digne de ce nom… Ouf !
Je commençai fébrilement la lecture, regrettant amèrement de ne pas avoir suivi mes cours d’anglais au lycée avec plus de sérieux.
Grosso modo, l’article m’apprit plusieurs choses :
– la première description d’un tel phénomène remontait à 1729, réalisée par un certain Martin Schurig (le tout premier médecin à s’être intéressé de façon sérieuse à l’étude des organes génitaux dans son livre Spermatologia historico-medica, consultable en ligne en suivant le lien – latin courant exigé !)
– En fait, le penis captivus apparut bien avant cette date dans la littérature médiévale : il était alors, dans la croyance populaire, le juste châtiment servant à punir les pécheurs ayant des rapports en dehors du mariage. La méthode de « libération » préconisée était de balancer un seau d’eau glacé à la figure des intéressés.
(malheureusement, aucune source n’est mentionnée et j’ai été incapable d’en retrouver la trace… avis aux lecteurs qui n’ont rien à faire d’autre ce week-end !)
– Plus récemment, un cas de penis captivus fut mentionné en 1923, conduisant à un double suicide.
(fichtre)
Eh oui, les deux tourtereaux, de jeunes étudiants, furent séparés à l’aide d’une équipe de médecins mais, malheureusement, la Presse en eut écho et l’affaire fut médiatisée. Le lendemain, deux coups de revolver mirent fin à la honte des deux amants.
(smiley triste)
– D’autres cas furent constatés durant le XIXe siècle, mais avec une intensité et une durée du phénomène très faibles. Pas de quoi en faire tout un fromage.
– Aucune intervention médicale à propos d’une telle situation ne fut enregistrée au cours de la deuxième moitié du XXe siècle.
Conclusion de l’article : « Le penis captivus est un phénomène tellement rare qu’il est considéré de nos jours comme un simple mythe lubrique. »
Certes, il est mécaniquement possible que des spasmes de la femme provoquent des douleurs à son partenaire. Mais de là à rester coincés pendant plusieurs minutes, voire plusieurs heures, restons sérieux !
En 1884, pour amuser la galerie, le très sérieux médecin William Osler envoie une publication « scientifique » sur le penis captivus au Philadelphia Medical News. Ce qui était à l’origine une blague potache de mauvais goût se transforme un article de référence… une sorte de Chansons de Bilitis à la mode scientifique, en quelque sorte…
À travers l’exemple du penis captivus, c’est tout le mécanisme de création d’une légende urbaine qui est mis à jour. Des éléments remontant à des temps reculés (sur fond de lutte contre les péchés et peur de l’Enfer), des exemples tragiques amenant à la mort des deux amants (sorte de Romeo et Juliette de pacotille pour faire pleurer dans les chaumières), un cautionnement moral par des témoignages de médecins reconnus
(mais dont la véracité reste à démontrer !)
(j’ai du mal à croire qu’un professeur puisse risquer de perdre sa crédibilité en racontant ce genre d’idioties à la Presse)
(Professeur Reinhart, s’il-vous-plaît, répondez vite à mon mail !)
Le fait également, sans doute, que les chiens soient fréquemment exposés à ce genre de mésaventure ancre cette image dans l’imaginaire… Si ça peut arriver à un chien, pourquoi cela ne pourrait-il pas nous arriver à nous, n’est-ce pas ? C’est évidemment oublier un peu vite que son anatomie est bien différente de la nôtre…
Bien. Me voilà rassuré. Être hétéro n’est pas si risqué que ça, finalement.
Je me saisis de la télécommande et coupai la télévision sans attendre. Mon ami commença une nouvelle grille de mots croisés. Quant à moi, je me replongeai dans ce livre passionnant sur la vie et l’œuvre de Rembrandt dont je vous parlerai probablement très bientôt.
*****
J’en profite pour passer un petit mot de prévention : le VIH fait encore des ravages en France et dans le monde. Ça n’arrive pas qu’aux autres… Sortez couverts !
Et, tant qu’on y est, un second message de prévention : les fausses informations sur internet font encore des ravages sur l’intelligence humaine en France et dans le monde. Ça n’arrive pas qu’aux autres… Ayez l’esprit critique !
Des bises,
Djinnzz
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Djinnzz
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J’adore !
Tu nous as manqué, mec 🙂
Alors comme ça tu es gay… Beau gosse comme tu es, tu dois faire un carton dans le milieu haha
GG pour ton article, même si moi non plus je ne me sens pas très impliqué dans ce problème, si tu vois ce que je veux dire
Kiss baby
Une « légende urbaine » que je ne connassais pas mais que vous détaillez de façon délectable…
C’est très agréable de vous lire et de suivre votre raisonnement pour démonter cette « fake news », dans un vocabulaire à la mode.
PS : vous nous direz si vous avez des nouvelles de ce cher professeur Reinhardt !!
Je n’y manquerai pas !
Moi aussi j’en ai ras le bol des infos qui sont publiées sans vérification, relayées massivement sur les réseaux sociaux et qui deviennent des « vérités » car crues par le plus grand nombre.
Le problème, c’est que les articles qui rétablissent la vérité ne font quasiment jamais le buzz et donc les gens restent sur leurs idées préconçues.
Internet devrait être conçu pour rendre l’humanité meilleure et intelligente. C’est bien malheureusement l’inverse qui se produit. La facilité d’accès à l’information rend les gens bêtes… ils n’ont plus besoin d’apprendre ou de développer un sens critique puisque Google, en permanence au fond de leur poche, s’en charge à leur place.
Heureusement qu’il existe des havres de paix comme le vôtre dans cet océan d’inculture, je suis comme beaucoup très heureux que ce site reprenne des couleurs.
Un fervent lecteur
Mais du coup, l’émission de télé, c’était une fiction? Ou juste un problème de « sécheresse »?
Encore une de ces émissions à deux sous diffusées sur les chaînes américaines et traduites en français.
Les scènes sont jouées par des acteurs, entrecoupées par des témoignages de gens qui auraient réellement participé à l’événement.
Tu vois le genre ?
Du coup, il y a double tromperie : non seulement c’est joué, mais en plus les scènes sont inventées.
Bref, télé poubelle.
Je n’aurais pas mieux dit ! 🙂
Tu nous annonces que tu reprends tes études en Histoire et 3 jours après il y a un article sur une émission télé chelou…
Y’a pas à dire, tu es définitivement insaisissable…
Mais c’est pour ça qu’on t’aime lol
C’est bien de surprendre ses fans :p
J’aime beaucoup la conclusion, comparaison VIH / connerie humaine qui se propagent vite l’un comme l’autre lol
Un moment j’ai cru à un poisson d’avril. Mais l’article date du 7 sur une émission de la veille… A moi que ce soit une rediffusion …
Vivement le prochain !!
Ça arrive souvent chez les chiens, on en a un exemple dans le film « 7 ans de mariage » (chez les humains).
Ça arrive aussi chez les humains, sauf que les gens à qui cette mésaventure est arrivée ne le crient pas partout.
Ainsi, une amie a rencontré cette situation lors de la première fois et a du se résigner à appeler les pompiers qui les ont rassurés sur le fait que cela n’arrivait pas qu’à eux et était parfois du au stress (comme c’était le cas en l’espèce). Bref ils se sont retrouvés nus, à être massés jusqu’à ce qu’elle détende assez pour « libérer » son partenaire…
Bref déçue que, parce qu’on en a jamais « fait référence » dans la médecine moderne, on saute sur les conclusions et admettent que ce soit un mythe… peut être faudrait il se renseigner auprès de casernes de pompiers 😉
Ma voisine et son amant sont restés liés et son mari a fait de sa maison un lieu touristique le temps qu’ arrive le secours. D’ailleurs voilà pourquoi je suis là, je ne comprenais comment on peut rester coincé. Je crois que des cas rares existent mais ne permettent pas d’attester ce fait, heureux d’avoir vu ce beau et malheureux spectacle.
J’ai vu de mes yeux un tel cas dans le train Paris Vintimille …
Un copain marin comme moi, descendait à Toulon, sauf qu’il s’était endormi sur la demoiselle fraîchement connue, qui elle allait normalement à Nice … Il a donc réussi à actionner le système d’alarme à Toulon, afin que les pompiers puissent l’emmener à l’hôpital … pardon, les emmener à l’hôpital …
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J’ai appris , des années plus tard qu’il aurait suffit de quelques gouttes de vinaigre …
En effet le vinaigre fait s’ouvrir les moules et rétrécir les cornichons …
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Merci beaucoup c’est ma premiere fois de visiter votre site et franchement j’en-sus ravis.J’aimerais avoir plus de connaissance sur les secrets bibliques,les secres politiques et secrets sur les richesses
Bonjour,
Un pompier (et même plusieurs) m’ont raconté avoir déjà eu affaire à un penis captivus.
Ça existerait mais serait extrêmement rare.
Le pompier en question m’a dit que pour les décoller un médecin du samu a fait une piqûre à l’homme.
C’était des pompiers blagueurs !! 🙂
Aucun cas de penis captivus n’ont été recensés par la science chez les humains.
Chez les chiens, c’est une autre histoire !
Si vous parlez bien du Professeur Jean Pierre Neidhart de l’université de Lyon c’est une source digne de confiance ! Je l’ai eu comme professeur d’anatomie et c’est un puit de connaissances, un homme vraiment gentil qu’on écoute naturellement avec beaucoup d’attention! Il continue encore de dispenser quelques cours malgré son âge, il a eu une très longue carrière et de nombreuses distinctions 🙂