Comment expliquer la mode des poulaines, ces chaussures longues et pointues ?
Un usage militaire détourné par la mode
Depuis l’an 1200 environ se développe une étrange mode dans toute l’Europe… Hommes et femmes du grand monde enfilent des chaussures au bout long et effilé. Au fil des décennies, ce style vestimentaire s’affirme de plus en plus et les pointes se font de plus en plus longues : elles remontent parfois à plus de 50 centimètres au-dessus des orteils !
En anglais, elles se nomment “crakow” (“Cracovie”, en anglais). Leur nom français est quant à lui le féminin de “poulain”, synonyme de “Polonais” à l’époque… Bref, tout porte à croire que leur foyer d’origine se situe à Cracovie, en Pologne.
Il s’agit peut-être de l’évolution “naturelle” des solerets, une pièce d’armure articulée en métal servant à protéger le pied. Leur forme allongée permettait une bonne assise dans les étriers – certains modèles possédaient même une pointe courbée vers le bas… ce qui sécurisait encore plus le cavalier mais rendait la marche à pied quasiment impossible !
Malgré leur forme peu gracieuse, les solerets avaient donc leur intérêt sur un champ de bataille pour stabiliser le chevalier sur son destrier. Les chaussures en cuir ou en tissu qui reprenaient cette forme n’avaient pour leur part absolument aucun intérêt… Il fallait les voir, ces fiers seigneurs, déambuler dans les rues affublés de ces chaussures ridicules. Leur nom, d’ailleurs, est aussi moche que leur aspect : des poulaines.
Quand les rois disent “halte aux poulaines”… sans résultat !
Les poulaines, donc, c’est un peu comme les chaussures à gland du XXe siècle : c’était cher, c’était moche, mais ça se vendait comme des petits pains.
Sauf que ce phénomène de mode dura plus de 250 ans…
“L’apogée” des poulaines, si l’on peut dire, eut lieu au XVe siècle. Toutes les personnes ayant les moyens de s’offrir une paire de chaussures dans l’unique but de frimer, achetaient des poulaines… Les modèles les plus longs et les plus excentriques étaient réservés à la noblesse.
En France comme en Angleterre, le pouvoir royal tenta bien d’interdire cette mode ridicule. Charles V interdit le port des poulaines par ordonnance royale en 1368 ; le roi d’Angleterre prit une mesure similaire en 1463 : interdiction des chaussures possédant une pointe de plus de 5 centimètres au-dessus des orteils. Il faut croire que les rois de France et de la Perfide Albion en avaient assez de voir leur noblesse se promener dans des accoutrements dignes du plus ridicule de leurs bouffons !
Mais ce n’est que vers la toute fin du XVe siècle que la mode s’éteignit d’elle-même…
Comment expliquer un tel succès ?
La réponse à la question : “pourquoi un accessoire de mode aussi inutile a-t-il eu un si long et si grand succès ?” est la même quelque soit l’époque considérée, qu’il s’agisse du Moyen-Age ou d’aujourd’hui.
(survêtements sous les fesses, moonboots, bananes et coupes mulet, on pense à vous)
On peut affirmer sans se tromper que les poulaines coûtaient cher. Elles étaient l’aboutissement d’un long travail d’artisanat durant lequel les cordonniers médiévaux devaient travailler le cuir et bourrer la pointe avec de la laine, voire des cheveux (eh oui !). Mais soyons sûrs que “l’effet Veblen” marchait ici à plein : c’est parce qu’elles étaient chères – voire scandaleusement chères – que les poulaines étaient à ce point appréciées de la noblesse.
Les modèles les plus raffinés étaient brodés en soie et possédaient des motifs floraux ou décoratifs de toute beauté. Des fanons de baleine étaient même parfois utilisés pour servir de raidisseur à la pointe ! À noter, d’ailleurs, que les fanons de baleine pouvaient également servir à façonner des corsets très haut-de-gamme à partir du XVIe siècle (une “baleine” est d’ailleurs toujours le nom donné aux tiges ou aux ressorts métalliques glissés dans les corsets !)
Dans une société très hiérarchisée, elles étaient de véritables marqueurs sociaux, servant à exhiber sa richesse et donc son pouvoir. Surtout, elles interdisaient à leur porteur toute tâche ingrate… Allez donc labourer un champ avec une telle paire de chaussures aux pieds ! Celui qui portait des poulaines s’excluait donc d’office de tout travail physique, ce qui le distinguait du peuple ordinaire.
La mode a ses raisons…
Les poulaines étaient donc en premier lieu un marqueur social. Mais si elles étaient à ce point populaires, on imagine que ceux qui les portaient les trouvaient jolies ! La mode de l’époque pour les hommes était de porter des pantalons courts et de longues chaussettes colorées (le rose, couleur virile, y tenait d’ailleurs bonne place !). Tout était bon pour mettre en valeur des jambes longues et fines. De ce point de vue, les chaussures à pointes étaient des accessoires idéaux pour accentuer la finesse et allonger la jambe.
Certains spécialistes expliquent cette flamboyance de l’habillement par une réaction à l’épidémie de peste noire qui décima près de la moitié des habitants de l’Europe en 5 ans (50 millions de morts !), de 1347 à 1352. Au traumatisme de voir mourir ses proches succéda une longue période de deuil et d’austérité puis, par un phénomène de balancier émotionnel, une période de relâchement et de débridement des mœurs.
Les XIV et XVe siècles sont aussi la période où se développe les danses macabres, des scènes de liesse mêlant vivants et morts… De là à faire des poulaines un outil de thérapie de groupe pour exorciser la peur de la mort, il n’y a qu’un pas !
Une connotation sexuelle qui choque de plus en plus
Au fil des ans, les pointes des chaussures se font de plus en plus longues, et les connotations grivoises se font de plus en plus pressantes. Avoir un énorme appendice au bout du pied permet de rappeler la virilité de son porteur… Une allusion inadmissible pour l’Église !
Dès 1212, c’est-à-dire dès le tout début de cette mode, le clergé s’est insurgé contre ces chaussures contraires aux valeurs chrétiennes qui prônent l’humilité. Cette même année, le concile de Paris interdit donc le port des poulaines. En 1365 et 1368, les conciles d’Angers reprennent cette interdiction.
On l’a vu, Paris (1368) et Londres (1463) s’accordent (à un siècle d’intervalle !) pour interdire cet accoutrement. Mais ces textes de lois n’eurent pas beaucoup d’effet sur une noblesse qui souhaitait revendiquer la liberté de s’habiller comme elle l’entendait…
Les poulaines : clap de fin !
Les règnes simultanés de François Ier (France) et d’Henri VIII (Angleterre), deux rois à la distinction et au raffinement reconnus dans toute l’Europe, marquèrent le début de nouveaux phénomènes de mode.
Les poulaines disparurent très rapidement, après plus de 250 ans de bons et loyaux services. Elles furent supplantées par des chaussures à bout large et carré et par les chaussures à talons. Le bon goût était-il enfin retrouvé ? Plus ou moins car, petit détail gênant, c’était maintenant au tour de la mode de braguettes d’entrer en scène…
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Excellent ! Cet article m’a fait penser à une insulte que j’aime bien : « Gabier de poulaine », c’est-à-dire un marin bon à rien, si ce n’est à nettoyer les poulaines…
(en marine, une poulaine est une plate-forme située à l’avant d’un bateau, sous la proue et un gabier est un matelot chargé de l’entretien et de la manœuvre de la voilure.)
Et moi qui croyais que c’était parce qu’au Moyen-Age les gens avaient de très longs orteils…
#Déception
Vous moquez pas trop, dans 10 ans, ça sera peut-être à la mode…
Vous dites que la mode vient de Pologne. Je vous crois sur parole.
Il aurait été néanmoins intéressant, quoique sûrement difficile à trouver, de savoir pourquoi les Polonais ont eux-mêmes inventé ces chaussures au bout long et pointu…
Le fameux vice des chaussures à bout long… Qui l’écrou?
reelement interessany
250 ans et les bourges n’avaient toujours pas capter que la virgule Nike se plaçait sur le flanc de la chaussure et non sur le devant. D’accord avec l’église, c’est un blasphème.
J’adorerais en porter, savons ou est ce que je pourrais m’en procurer ? C’est beaucoup trop beau !!!
bonjour,
Arka on line,
Avalon shop,
Bonheur, salut,
Chris,