Y’a le feu en Méditerranée : la 1ère Guerre Punique
Faisons les présentations
Les « guerres puniques » sont une série de trois campagnes armées, étalées sur plus d’un siècle, qui opposent Rome à la civilisation carthaginoise.
La première guerre punique démarre en l’an 264 avant J-C. On parle d’une époque où Rome est tout au plus une puissance émergente dont l’hégémonie se limite à la péninsule italienne… Bien peu de chose, donc, en comparaison à la brillante Carthage, située au niveau de la Tunisie actuelle, dont la renommée n’est plus à faire ! Selon les récits mythologiques, le célèbre Énée, fuyant la destruction de Troie, accosta jadis sur son rivage et fit fondre le cœur de Didon, la fondatrice légendaire de la ville. L’influence carthaginoise s’étend à présent jusqu’en Espagne et, bien sûr, en Corse, en Sardaigne et en Sicile. Bref, face à Carthage, Rome ne fait pas le poids !
Mais comment, pour les Romains, laisser naviguer un ennemi à quelques encablures de chez soi sans broncher ? Les terres fertiles de la Sicile sont au centre des velléités : par beau temps, les Romains peuvent même voir les côtes siciliennes où évoluent leur ennemi. Il est inconcevable qu’une telle situation perdure !
Et comment, pour les Carthaginois, ne pas s’inquiéter face à une nation dont la puissance et l’agressivité grossit de jour en jour ? La Sicile concentre le principal lieu de production de la cité-État… hors de question de l’abandonner au profit des Romains.
Dans ce contexte, la guerre devient inévitable.
L’assiégeur assiégé
Rome, connaissant son infériorité technique sur mer, sait qu’elle a tout intérêt à provoquer un conflit terrestre : ses troupes sont sur-entraînées et ses techniques de combat à la pointe. En toute logique, les Romains envoient donc leurs troupes en Sicile et commencent le siège de la ville d’Agrigente. Au bout de 5 mois, les assiégés commencent à manquer de vivres et Megellus et Vittullus, les deux consuls romains en charge des opérations, pensent la partie gagnée. C’est sans compter les renforts carthaginois qui débarquent : les Romains se retrouvent eux-mêmes assiégés et pris en tenaille ! Leur ligne d’approvisionnement est coupé et l’armée n’a bientôt plus de quoi se nourrir… alors que les Carthaginois de l’intérieur de la ville et ceux de l’extérieur communiquent par signaux de fumée pour coordonner leurs actions.
C’est dans ce contexte défavorable aux Romains qu’a lieu la bataille d’Agrigente, en -261. Nous possédons peu de détails sur le déroulement de cette bataille mais, contre toute attente, on sait que les Romains parvinrent à inverser la tendance… et à gagner le combat !
3.000 Carthaginois sont tués, mais le plus gros des troupes parvient à prendre la fuite. La bataille d’Agrigente fut donc excellente pour le moral des Romains (c’était la première fois qu’il remportait une bataille en dehors de la péninsule !) mais la guerre était encore loin d’être gagnée…
Quand Hamilcar est mis à mal… par des corbeaux !
Côté carthaginois, on ne désespère pas. Certes, les Romains ont gagné du terrain en Sicile, mais la Méditerranée est toujours sous leur contrôle. L’homme de la situation s’appelle Hamilcar Barca : à la tête d’une flotte puissante, il règne en maître sur la mer. Si les Romains veulent poursuivre le combat jusqu’à Carthage, ils devront bien se décider un jour ou l’autre à prendre la mer… Hamilcar attend ce moment de pied ferme !
Mais l’ennemi a de la ressource… Consciente de son infériorité technique et numérique sur mer, Rome met au point une arme secrète sur ses navires : le corvus (ou corbeau, en français). C’est un pont amovible d’1,2 m de large sur 11 m de long (selon Polybe) qui peut être abaissé sur les navires à proximité. L’idée est géniale ! Elle permet aux Romains de débarquer DANS le bateau ennemi et donc de transformer une bataille navale (où ils sont nuls)… en bataille terrestre (où ils sont excellents) !
Cette ingénieux stratagème sera-t-il efficace en combat ? C’est ce que nous allons voir…
La bataille navale de Mylae
En -260, la revanche d’Agrigente se joue au large de Mylae, au nord de la Sicile. 130 navires de guerre menés par Hamilcar font face à 103 navires romains équipés de corvus. Sur le papier, le chef de guerre carthaginois est favori. N’est-ce pas la configuration qu’il attend depuis des années pour anéantir en une seule bataille toute la force offensive de Rome ?
Mais c’est sans compter les ravages du corvus… Les Romains parviennent grâce à lui à prendre le contrôle d’une trentaine de navires ennemis. Mieux qu’une simple destruction, ils retournent chaque bateau pris contre les Carthaginois et inversent ainsi le rapport de force !
Nouvelle victoire pour les Romains qui parviennent, contre toute attente, à détruire (ou capturer) près de la moitié de la flotte d’Hamilcar ! Cette guerre punique est complètement folle !
Mission Carthage
Forts de deux victoires successives, les Romains veulent battre le fer tant qu’il est chaud et frapper l’ennemi en plein cœur. C’est désormais la ville de Carthage elle-même qui est prise pour cible…
C’est ainsi que cinq ans après la victoire de Mylae, en -255, l’armée romaine pose pour la première fois le pied en Afrique du Nord. La première bataille sur le continent africain, à Adys, ressemble à un parcours de santé : face à une armée forte de 15 000 hommes et dirigée par le consul Regulus, les Carthaginois peinent à rassembler plus de 5.000 soldats. Certes, ils comptent sur leurs éléphants de guerre pour faire la différence, mais ceux-ci n’arriveront pas à changer le cours de la bataille qui s’ensuit… Nouvelle victoire romaine. Et sans forcer.
Y’a un os
Le rouleau compresseur romain semble inarrêtable… Dans ce contexte de panique, Carthage recrute Xanthippe, un général mercenaire venu de Sparte. Eh oui, quand une situation semble désespérée, il faut toujours faire confiance à un Spartiate !
(Ahou ! Ahou !)
La bataille décisive a lieu à Tunis, en -255, sur un terrain dégagé qui favorise la cavalerie carthaginoise. Cette fois, les quelques cents éléphants de guerre parviennent à jouer un rôle déterminant… L’armée de Regulus est littéralement exterminée : plus de 12.000 Romains tombent au combat sur les 15.000 qui étaient alignés sur le champ de bataille, quand seuls 800 Carthaginois passent de vie à trépas… Le fier Regulus, quant à lui, est fait prisonnier et le sort qui lui fut réservé n’est pas parvenu jusqu’à nous…
Une douche froide
La bataille de Tunis est difficile à digérer pour les Romains… Tenir ainsi l’ennemi dans la paume de sa main et tout perdre à la suite d’une seule bataille et d’un foutu Spartiate, c’est énervant. Ils ravalent leur colère et abandonnent (provisoirement) leur rêve d’anéantir Carthage en se reportant sur un projet moins ambitieux, mais non moins utile : conquérir intégralement la Sicile, dès l’an -252.
La conquête de l’île est achevée en quelques mois, mais les Romains finissent par voir leur flotte anéantie en -249 lors de la bataille de Drepanum, au large de la côte ouest de la Sicile… Les Romains perdent de nouveau leur hégémonie sur la mer… Tout est à recommencer !
Retour à la raison
Deux ans plus tard, Hamilcar débarque en Sicile avec à peine quelques centaines d’hommes pour « bouter les Romains » hors de l’île. Après des mois de d’âpres combats, et même si lui et ses hommes restent invaincus, aucune victoire décisive ne se profile à l’horizon, ni d’un côté ni de l’autre.
Romains et Carthaginois finissent par s’asseoir à la table des négociations. Il faut dire que tout le monde commence à se lasser de cette guerre incessante depuis plus de 23 ans !
Le traité signé en -241 n’est pas favorable à Carthage, qui se voit contrainte d’évacuer la Sicile… mais qui peut néanmoins continuer à naviguer et à commercer librement en Méditerranée. Un compromis acceptable, vu l’état de sa flotte, de son armée et de son économie…
Une guerre pour rien ?
La première Guerre punique prend donc fin sur un goût d’inachevé. Le traité de paix ne règle rien : Rome et Carthage se regardent toujours en chien de faïence. La Méditerranée semble bien trop petite pour accueillir en son sein les velléités de deux grandes nations…
Une deuxième guerre punique semble inévitable. Elle aura lieu entre -218 et -201. Cette fois, c’est au tour du célèbre Hannibal d’entrer en scène. Fils d’Hamilcar, il est élevé dans un esprit de haine et de vengeance envers Rome. Bientôt, il réussira bientôt ce que nul autre homme n’est parvenu à faire… Mais ça, c’est une autre histoire.
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Djinnzz
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Il ne faut pas oublier la belle Salambo, elle aussi fille d’Hamilcar et dont Flaubert à fait son héroïne dans l’oeuvre éponyme (mais Salammbô avec deux « m » s’il vous plaît… Flaubert y tenait pour des raisons de prononciation et c’est assez justifié lors des multiples attaques de « vrais » archéologues par lettres ouvertes, articles et critiques interposés… Y’a pas à dire, la littérature c’est marrant quand ça se tape sur la g***. Rien de mieux que les querelles littéraires pour se rendre compte que c’est vivant tout ça, même si ça en fait dormir plus d’un, notamment les passionés de plomberie, les amoureux du chauffage au fond de la classe…