Duel au pays des esthètes
En 1616, les Capucins de Lille commandent un tableau représentant la descente de croix du Christ à Rubens pour décorer la chapelle de leur couvent.
– Les Capucins?
– Tu sais, Kevin, la religion catholique a été divisé en différents ordres.
– Mais encore?
– En 1210, Saint-François d’Assise fonde l’ordre franciscain, caractérisé par une pauvreté extrême qui ne vit que par la charité des fidèles: on dit que c’est un ordre mendiant. Les Capucins sont simplement une branche de l’ordre franciscain.
La descente de croix est une scène très souvent représentée en peinture. Il faut dire que cette fameuse scène décrite dans les Évangiles où Joseph d’Arimathie et Nicomède décrochent le corps du Christ de sa croix est lourde de symboles. Mais ce qui distingue la version de Rubens des autres, c’est que ce chef-d’œuvre se retrouve bien malgré lui au cœur de la « querelle du coloris », un conflit intellectuel qui naîtra une cinquantaine d’années plus tard entre les peintres de la cour de Louis XIV.
Cette querelle est d’ordre technique: dans un essai sur le coloris qu’il publie en 1673, Roger de Piles encense la technique picturale de Rubens et de sa Descente de Croix dans laquelle le peintre a privilégié la couleur au dessin. Aïe! Encenser le coloris de Rubens revient à envoyer un soufflet au visage d’un autre artiste, français cette fois-ci, qui privilégie le dessin à la couleur: Nicolas Poussin!
La descente de croix de Rubens, début XVIIe siècle
L’histoire de l’art et de la littérature est jalonnée par ce type de querelles esthétiques . Mélie nous a d’ailleurs déjà parlé de la « querelle des femmes » ou de celle opposant Marcel Duchamp à Théophile Gautier.
Au final, c’est la technique picturale de Rubens qui l’emporte et qui ouvre la voie à d’autres artistes comme François Boucher ou Jean-Honoré Fragonard… Un siècle plus tard le duel opposant dessin et couleur se rejoue, opposant cette fois le néo-classicisme d’Ingres (qui donne la part belle au dessin) au romantisme d’Eugène Delacroix et de Théodore Géricault (qui sont plutôt des coloristes). Une fois encore, les coloristes remportent le match!
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Pas bien compris cette histoire de coloris opposé au dessin… La distinction entre les deux est encore floue pour moi… Mais cela a eu au moins le mérite d’éveiller ma curiosité sur le sujet…
Donc je donne 8/10 à cet article pour ne pas avoir assez bien expliqué (qui aime bien châtie bien 😛 )
Tudu, pourtant, la querelle des coloris (autrement baptisée querelle entre Rubénistes et Poussinistes) est bien connue.
Cette quereelle est souvent ramenée à un « simple » débat entre couleur et dessin, mais cela est bien sûr un peu trop caricatural.
Pour t’aider à te faire une idée sur ce débat, regarde attentivement le oeuvres de Rubens puis celles de Poussin: Les différences de style devraient clairement t’apparaître.
En complément de mon premier message, je suis tombée sur la 4è de couverture d’un livre publié sur le sujet par un collectif d’auteurs aux éditions Ludion (une petite recherche sur Google permettra aux plus motivés de la retrouver):
A l’origine, la prépondérance du dessin sur la couleur est une conséquence de la volonté d’anoblissement de la création artistique, marquée dès 1648 par la fondation de l’Académie royale de peinture et de sculpture.
(…)
Pour Charles Le Brun, « tout l’apanage de la couleur est de satisfaire les yeux, au lieu que le dessin satisfait l’esprit ».
Le dessin est le prolongement immédiat de l’Idée, il s’incarne dans une forme et s’adresse à l’intelligence.
La couleur, quant à elle, naît de la pratique et s’adresse aux sens, au toucher autant qu’à la vue.
Roger de Piles plaide précisément pour cette peinture sensible et sensuelle, qui « plaît à tous universellement »: « Ce serait une chose étrange que les tableaux ne fussent faits que pour les peintres et les concerts pour les musiciens. »
J’ai trouvé que cette citation était un bon complément à l’article. 😐
Bonjour tout le monde!
Comme dit plus haut, cette querelle voit s’affronter ceux qui mettent en avant la couleur et ceux qui privilégient le trait mais elle ne peut être réduite à cela.
Les idées anciennes et modernes (on en revient toujours à la même guéguerre) entrent en collision (et pas de constat à l’amiable!) et certaines questions dépassant le cadre de la technique entrent en jeu. En effet, cette querelle bien ancienne déjà au temps de Rubens et Poussin, pose une question de taille; “à qui s’adresse l’art” ?
Comme Emmanuelle Delapierre le dit « cela revient à poser la question : à qui s’adresse l’art ? Au spectateur qui a assez de culture pour lire l’histoire mythologique, biblique, qu’on lui raconte sur la toile ? Ou au premier amateur venu qui s’abandonne au pur plaisir de la sensation, de l’émotion ressentie devant le frémissement des chairs qui naît par la couleur ? » (j’ai eu un mal fou à retrouver son nom et sa citation dans mes anciens cours d’Hida, en fait on peut la retrouver à cette adresse : http://www.lepoint.fr/actualites-region/2007-01-18/la-querelle-du-coloris/1556/0/43332 je suis un boulet…) Cette question de l’art pour les néophytes ou pour les vrais initiés était au centre du débat au XIXème siècle. D’où les scenari auctoriaux et le mythe de l’auteur en dehors d’une société veule et ignorante, je vous invite à relire “l’Albatros” de Baudelaire et vous pencher sur la combat que menaient les artistes contre la bourgeoisie à cette époque. Aujourd’hui encore, la danse et l’art contemporain sont au centre de ce même débat… Nihi novi sub sole comme qu’il disait l’autre?
Ainsi, quand les historiens vous disent que la querelle à pris fin, il ne faut pas les croire, ce sont des menteurs 😉 [on comprendra que je rigole, hein?] La permanence et le retour incessant des mêmes querelles qui jalonnent l’histoire de la pensée humaine nous poussent à nous demander si on évolue quand-même! [RE-humour…]
Bonjour,
Je vois que des lecteurs avisés laissent des messages très intéressants pour compléter le débat…
Ceci dit, j’en reviens à ce que je disais dans mon premier message, je ne sais toujours pas distinguer ce qui caractérise chacun des deux courants (couleur et dessin sont pour moi indissociables)…
Vous me mettez un tableau de Rubens ou de Poussin sous les yeux, impossible de vous dire qui des deux privilégie le dessin ou le coloris…
Comment faites-vous donc concrètement pour les distinguer???? 😕
Je suis comme vous une néophyte en histoire de l’art. D’après ce que j’ai compris, c’est un peu comme en bande dessinée:
il y a des auteurs qui détaillent fortement le dessin (Corto Maltese, …)
Et d’autres qui s’appuient sur la couleur, un peu comme Enki Bilal.
Sans oublier que ceux qui dessinent ne sont pas toujours les mêmes que ceux qui colorent (les coloristes).
Ca vaut ce que ça vaut comme explication 😥