[Rome antique] Jules César, du triomphe à la chute
Préambule
An de grâce 49 avant Jésus-Christ. Jules César commet l’invraisemblable: quittant la Gaule qu’il vient de conquérir, il marche sur Rome à la tête de ses légions, bien décidé à s’emparer du pouvoir.
Par ce geste, il déclenche une guerre fratricide dont les conséquences sont imprévisibles…
Parce qu’il s’est toujours appuyé sur la plèbe (c’est-à-dire le peuple) pour légitimer son action politique, Jules César et ses alliés forment le clan dit des Populares. A contrario, leurs opposants politiques menés par Pompée sont les Optimates, car ils suivent une politique aristocratique et conservatrice. Dans leur farouche combat contre Jules César, ce sont les défenseurs de la République et des institutions romaines.
La bataille décisive entre les deux camps se joue à Pharsale, dans une plaine de la Macédoine. Au terme de combats âpres et sans merci, c’est finalement Jules César qui remporte la partie. Pompée fuit en Égypte, mais il y est décapité dès son arrivée par les sbires du Pharaon Ptolémée XIII. Brutus et Cicéron, eux, rendent les armes et s’en remettent à César, qui leur pardonne leur trahison et les garde à ses côtés.
Seuls Caton et Scipion Metellus continuent la lutte contre le tyran. Ils parviennent à rassembler les vestiges de l’armée républicaine en Numidie (au niveau de la Tunisie actuelle) et attendent de pied ferme les troupes ennemies. À cet instant précis, tout peut encore basculer… Nous sommes le 6 avril 46 avant Jésus-Christ, soit trois ans à peine après que Jules César ait franchi le Rubicon…
Ce que vous apprendrez…
- Qu’il faudra pas moins de trois batailles à César: Pharsale, Thapsus et Munda pour parvenir à se défaire définitivement de ses ennemis républicains;
- Que, contrairement à une croyance très répandue, Jules César n’a jamais été empereur;
- Qu’il est d’autre façon de gagner une guerre que sur un champ de bataille…
La bataille de Thapsus
Caton et Scipion sont bien décidés à prendre leur revanche sur la bataille de Pharsale. Pour faire gonfler leurs troupes, ils s’allient au roi de Numidie, Juba Ier. L’armée qu’ils arrivent à mettre sur pied dans l’urgence est impressionnante: dix légions romaines de 4.200 hommes chacune, 20.000 cavaliers ainsi qu’une importante infanterie. Soit près de 80,000 soldats alignés, épaulés qui plus est par 60 éléphants de guerre!
On ne connaît pas avec précision les forces de Jules César, mais on peut estimer qu’elles sont à peu près équivalentes, les éléphants en moins bien sûr. L’affrontement s’annonce épique!
La priorité de César est d’éliminer les éléphants. Il fait tirer des salves de flèches par ses archers, mais sans résultat: la peau de l’animal est bien trop épaisse pour qu’une simple flèche puisse l’entamer. Pire! Cette attaque énerve les pachydermes qui foncent tête baissée dans les rangs de l’ennemi, décimant de nombreux fantassins.
Profitant de l’avantage qu’il pense décisif, Scipion donne l’ordre à sa cavalerie d’attaquer: ce sont plus de 20.000 cavaliers fonçant à vive allure qui font trembler le sol africain.
César, sans précipitation, fait sonner d’immenses trompes qu’il avait pris soin de faire fabriquer spécialement pour la bataille (on ne la lui fait pas, à Jules César). Le son produit est si violent que les éléphants, paniqués, font machine arrière et fuient en courant, faisant des ravages dans la cavalerie alliée venu prêter main forte…
C’est le début de la fin pour les Optimates qui ne parviendront pas à reprendre l’ascendant. À la fin du jour, le bilan des combats est sans appel: 30.000 morts côté Scipion, à peine un millier du côté de Jules César. On est un génie militaire ou on ne l’est pas!
César commet l’irréparable
Fait suffisamment notable pour être souligné, l’épilogue de cette bataille entache sérieusement la réputation de Jules César. Alors que plus de 10.000 soldats ennemis s’étaient rendus et avaient déposé leurs armes, César donne l’ordre de passer tout ce beau monde au fil de l’épée. Étrange comportement pour un chef de guerre réputé pour sa grandeur et sa magnanimité… Et qui ne sera pas sans conséquence dans la suite du récit!
Caton, lui, n’a pas participé à la bataille et s’est retranché dans la ville d’Utique avec quelques troupes. Lorsqu’il apprend la terrible nouvelle de la défaite de son camp, il est littéralement anéanti et peut se résoudre à survivre à sa liberté. Tous les espoirs étant maintenant vains, Caton lit quelques lignes du Phédon dans lequel Platon traite de l’immortalité de l’âme, et se transperce le cœur de son épée. Un suicide qui colle parfaitement à la philosophie stoïcienne de laquelle il se réclame…
Le triomphe de Jules César
Le triomphe de Jules César est total: en quelques années, il a soumis la Gaule, éliminé la menace pompéienne, dompté l’Égypte, vaincu le roi du Pont et celui de la Numidie. Que de chemin parcouru depuis son séjour dans le lit du roi de Bithynie!
Pour fêter son triomphe, il organise en août et septembre -46 de nombreuses journées de fêtes à Rome, dont le faste est tout simplement exceptionnel. Naumachie, combats de gladiateurs, jeux sportifs, représentations théâtrales, distribution d’argent à la populace… Tout y est! Même d’immenses banquets publics réunissant, dit-on, plus de 200.000 convives!
Générosité d’un homme politique ayant le cœur sur la main envers son peuple qu’il aime plus que tout ? Non, simple stratégie politique ! En se mettant la plèbe dans la poche, Jules César renforce sa situation aux yeux du Sénat et possède maintenant un pouvoir quasi-absolu.
Il faut dire que l’argent coule à flot dans les caisses de l’Etat (et dans les poches de notre cher Julius) : ses conquêtes militaires lui ont rapporté plus de 600 millions de sesterces. Ne me demandez pas combien ça fait en euros, je n’en sais fichtrement rien, mais la somme est colossale, soyez-en sûr.
Des ennemis, encore et toujours: la bataille de Munda
Pas possible d’être tranquille cinq minutes dans ce pays ! Quand César apprend que ses ennemis se sont regroupés en Espagne, sous le commandement de Pompée le Jeune (le propre fils de Pompée le Grand), il sait qu’il n’a pas encore gagné la guerre. Du sang va encore devoir couler, beaucoup de sang…
La bataille finale contre les derniers soutiens des Optimates se déroule en mars -45 à Munda, dans le sud de l’Espagne. Une fois encore, Jules César se retrouve en infériorité numérique (8 légions contre 13 dans le camp d’en face). Arrivera-t-il à se tirer de ce mauvais pas ?
Munda est certainement la plus féroce de toutes les batailles de la guerre civile. Tous les combattants savent que César, à l’issue de la bataille de Thapsus, a fait exécuter lâchement plus de 10.000 soldats qui avaient pourtant déposé les armes. Tout le monde se bat donc avec l’énergie du désespoir, sachant qu’il ne sera fait aucun quartier aux survivants. Aucune reddition possible, c’est la victoire ou la mort.
Plus tard, César dira d’ailleurs qu’il s’était battu de nombreuses fois pour remporter la victoire au cours de carrière de militaire, mais qu’à Munda, pour la première fois, il se battait pour sa vie.
Ne faisons pas durer le suspense plus longtemps: une fois de plus, les Optimates sont vaincus au terme d’une bataille acharnée. Une fois de plus, le bilan humain est sans appel : plus de 30.000 morts du côté des défenseurs de la République, à peine 1.000 dans les rangs de Jules César…
La défaite des Optimates à Munda marque définitivement la fin de la guerre civile: Jules César a cette fois gagné définitivement, ses ennemis n’auront plus jamais les moyens de mettre sur pied une nouvelle armée. La satisfaction du devoir accompli, il s’en retourne à Rome et, comme il a la victoire modeste, organise de nouveau un triomphe éclatant suivi de festivités gargantuesques.
César le dictateur
Crise politique majeure? Désastre militaire? Les Romains organisent une dictature, régime extraordinaire permettant une plus grande rapidité à la prise de décision. Après que le Sénat ait approuvé le principe de la dictature, c’est un des deux consuls qui nomme l’heureux élu, en général choisi parmi d’anciens consuls. Une fois désigné, il possède l’Imperium, c’est-à-dire les pleins pouvoirs…
Mais attention, cette situation ne peut durer plus de six mois, délai au bout duquel le Sénat et les deux Consuls retrouvent leur pouvoir. (on vous parle ici, dans le détail, de l’organisation politique de la république romaine)
Bon, le délai de six mois maximum, ça, c’était avant. Car César, lui, prend le titre de dictateur pour une période de… dix ans. Ben quoi, t’es pas content? T’as une armée à m’opposer? Non? ben alors, casse-toi pôv’ c**…
La révolution ici n’est donc pas que César soit nommé dictateur, ça, c’est plutôt compréhensible étant donné la guerre civile que vient de traverser le pays. Ce qui l’est moins, c’est la durée anormalement longue de ce « mandat » de dictateur: 10 ans, rendez-vous compte! En apprenant la nouvelle, beaucoup de Romains grincent des dents. Mais que faire?
Les combats armés, c’est du passé! Maintenant, une guerre d’influence commence
Jules César n’est pas dupe: il sait pertinemment que son succès n’est pas du goût de tout le monde. Parmi ses principaux détracteurs, Cicéron! Ce même Cicéron à qui il avait pardonné la traîtrise et laissé la vie sauve lors de la bataille de Pharsale! Il aurait mieux fait de le faire égorger quand il était encore temps, celui-là…
L’illustre sénateur met toute son habileté d’orateur au service d’un astucieux stratagème: grâce à ses discours captivants, il fait décerner sans mal d’innombrables honneurs et privilèges à Jules César. Grâce à lui, ce dernier obtient entre autres le titre d’Imperator à vie, un titre transmissible à sa descendance qui plus est!
Alors, je vous entends d’ici, à penser que ce concept est complètement crétin. Quel intérêt peut-on bien trouver à donner tous les pouvoirs à son pire ennemi?! Eh bien non, vous avez tort. Cicéron joue de façon très habile, au contraire! Il espère ainsi que les Romains se rendent compte de la fourberie de Jules César qui, sous ses airs d’ami du peuple, est de toutes les manigances pour s’arroger le pouvoir suprême. Il devient une vraie menace pour la République et les institutions romaines auxquelles le peuple est très attaché!
Cicéron entraîne avec lui bon nombre de Sénateurs, et c’est bientôt la fête aux propositions les plus extravagantes: le siège de l’honorable César au Sénat sera en or massif, l’honorable César aura le droit de porter la robe pourpre et la couronne de laurier à vie, symbole de son triomphe éclatant. Mieux ! L’honorable César aura même le droit de faire commerce avec toutes les femmes qu’il voudra…
Dans son aveuglement vers la gloire suprême, César se rend-il compte que tous ces avantages lui sont décernés par raillerie? Rien n’est moins sûr…
L’innommable complot
Plus d’élections qui tiennent, c’est maintenant Jules César en personne qui nomme tous les magistrats. En -44, il fait de son fidèle Marc-Antoine son Consul, plus haut échelon de la République (après le sien, bien entendu).
Cassius, un des anciens partisans de Pompée n’obtient quant à lui que la fonction de préteur.
Vexé d’être ainsi mis à l’écart, Cassius convainc ses amis, Cicéron en tête, de passer à l’action contre César. Marre de ce tyran qui se moque des règles séculaires de la cité et qui se pense au-dessus des lois ! Parce que le symbole serait très fort, les comploteurs veulent faire de Brutus, le fils adoptif de César, le chef de file de leur mouvement.
Brutus est réellement tiraillé entre sa loyauté envers son père et le respect de l’héritage moral des Républicains. Sans compter que sa propre femme est la fille du défunt Caton… Il vit un vrai dilemme cornélien! Sous la pression constante de Cassius et Cicéron, il se laisse finalement convaincre de prendre part à l’horreur.
L’horreur ? Oui. Car c’est bel et bien de l’assassinat de Jules César dont il est question.
Le 15 mars 44, jour des ides de Mars, un groupe de conjurés assaille le dictateur et le transperce de 23 coups de couteau. Le dernier coup est porté par Brutus en personne. Avant de succomber, en le regardant droit dans les yeux, Jules César aurait prononcé ces ultimes paroles: « Tu quoque, mi filii » – « Toi aussi, mon fils ». On est trahis que par les siens.
Les Républicains exultent! Enfin, ils ont mis un terme à la tyrannie césarienne! Enfin la République romaine va pouvoir reprendre le droit chemin!
Fin?
Ta ta ta… Pas si vite! Avant de mourir, Jules César a écrit un testament dans lequel il lègue sa fortune à son petit-neveu Octave et l’adopte officiellement en tant que fils.
De son côté, Marc-Antoine s’arrange pour faire comprendre à la foule l’ignominie du meurtre de Jules César.
La suite? On la voit venir gros comme une maison… La guerre civile est loin d’être terminée. Mars, le dieu de la Guerre, réclame du sang. Beaucoup de sang.
La suite, bientôt.
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Plutôt que « Tu quoque , mi filii » les historiens pencheraient pour un « καὶ σὺ τέκνον », en grec ancien qui était la langue naturelle de César (et de tous les autres romains de caste supérieure d’ailleurs.)
C’est vrai que la plupart des Patriciens parlaient également couramment le Grec, la langue de l’élite romaine…
Désolé pour cette imprécision et merci pour la correction! 😳
Enfin, cela reste des textes rapportés, dont les sources diverges énormément, on a donc aucune certitude. 😉
La qualité de ce dossier sur la Rome antique est tout simplement exceptionnelle. J’avale les phrases, je dévore les articles.
Merci, Monsieur, pour ce bonheur que vous nous offrez!
George J.
En voilà un gentil compliment!
Merci beaucoup! 🙂
il y a un livre extraordinaire qui se lit comme un roman : Conspiration de Robert HARRIS ; ce sont les mémoires de TIRON le fidèle secrétaire de Ciceron et cela couvre toute cette période.
Intéressant, je vais voir ça !
Pourquoi dis tu qu’il n’a jamais été empereur? Car il n’a jamais été couronné comme tel? Merci de m’éclairer 🙂
En -509 avait eu lieu le renversement du dernier des 7 rois de Rome, Tarquin le Superbe, et Rome devint une république,
Rome n’est désormais plus un fief que le roi peut partager entre ses fils à sa mort, mais une chose publique, « Res publica », qui n’appartient à aucun prince en particulier mais à tous les citoyens.
Le « président de la République » s’appelle le « Consul ». Afin d’éviter toute tyrannie, il n’y a pas un mais deux Consuls. Leur mandat est limité à 1 an, au cours duquel ils « règnent » chacun à tour de rôle, les jours pairs et les jours impairs !
Par exemple, lorsque Jules César était Consul en -59 (soit longtemps avant ses hauts faits d’arme en Gaule), son co-consul était un certain Bibulus. Mais Bibulus restait calfeutré chez lui, laissant Jules César régner tous les jours, pairs comme impairs…
Ce n’est qu’en -27 que Rome abandonna officiellement ce régime républicain pour devenir un empire. On passa alors de la « Res publica » au « Principat ».
Octave, petit-neveu de Jules César et adopté comme fils par celui-ci, devient le premier empereur romain sous le nom d’Augustus.
En +285, l’empire romain est désormais tellement grand qu’il en devient ingérable. Dioclétien le subdivise alors en deux sous-empires, l’un d’Occident, l’autre d’Orient. Il y aura désormais deux empereurs principaux (les deux « Augustes »), chacun secondé par un empereur adjoint (les deux « Césars »), et quatre « capitales », dont Trèves et Milan.
A cette occasion le pouvoir impérial est également « divinisé » : l’empereur tient désormais son autorité non plus du Sénat ni du Peuple mais des Dieux, comme autrefois les monarques d’Egypte ou de Perse…. Ce faisant, Rome passe du « Principat » au « Dominat », et les empereurs romains s’appellent désormais « empereurs d’Occident ».
Je suis tombé sur ce site car je devais faire un exposé sur Jules César et j’ai adoré lire ce que vous avez écrit. Un grand bravo à vous.
Hugo
A-R-E-T-E-Z de tout spoliera en début d’article !!!
Pauvre Jules… Et dites, Brutus, qu’est ce qui lui est arrivé après?