Canular au Musée du Louvre
On dirait pas, avec son p’tit noeud papillon et son costume trois pièces bien repassé, mais Roland Dorgelès est un vrai rigolo! On le connaît surtout pour ses talents de journaliste ou d’écrivain, auteur notamment des Croix de bois, mais on oublie souvent ses canulars très élaborés qui firent jaser le tout-Paris en leur temps!
En cette belle matinée de l’année 1908, Dorgelès rend visite à son ami le sculpteur Buzon. Alors qu’il admire les œuvres de l’artiste, son regard tombe sur le buste d’une femme qui traîne par terre dans un coin de l’atelier.
– Intéressant, ce buste! s’exclame-t-il à l’adresse de son ami.
– Tu rigoles, non? C’est complètement raté! Il faut que je me débarrasse de cette horreur au plus vite!
– Mais non, enfin! Avec son nez cassé, on dirait une authentique statue grecque…
…une statue grecque. En prononçant ces mots, un déclic se produit dans l’esprit espiègle du futur romancier.
– Tu veux bien me la confier? Je vais aller l’exposer au Louvre!
– Au Louvre, mais t’es malade mon ami! Puisque j’ te dis qu’ça n’vaut rien! Ne perds pas donc pas ton temps avec ça.
L’œil brillant de malice, Dorgelès parvient facilement à convaincre son ami de lui confier la statue. Le jour-même, il se rend au musée du Louvre pour faire une reconnaissance des lieux. Il y trouve des gardiens qui roupillent à moitié sur leur siège: le voilà rassuré, il n’aura aucun mal à mettre son plan à exécution! Il repère la salle et l’emplacement où il mènera à bien son forfait: ce sera la salle de Magnésie du Méandre. Il griffonne mystérieusement quelques notes dans un calepin et ressort, un large sourire aux lèvres.
Le lendemain, il retourne au Louvre, cachant sous ses vêtements la tête de Buzon. Ni vu ni connu, il la pose au milieu d’une vitrine. Et pour parachever son forfait, il place un petit carton devant l’œuvre sur lequel il avait inscrit au préalable: « N°402 – Tête de divinité – fouille de Délos ». Et voilà! Plus vraie que nature! Au passage, il vient d’inventer le concept de cambriolage à l’envers…
Fier de lui, il ressort du musée sans se presser et parle de son canular à tous ses amis. Les jours, les semaines défilent et Dorgelès attend patiemment que la supercherie soit dévoilée dans la Presse. Rien! Il passe régulièrement au Louvre pour vérifier si la statue y est toujours exposée… ce qui est bien sûr le cas. Il se rend vite à l’évidence: personne, absolument personne, ne s’est rendu compte du canular. Devant l’indifférence générale, sa blague est en train de tomber à l’eau!
Le musée du Louvre aujourd’hui
Il se décide donc à agir. Il donne rendez-vous à une poignée de journalistes dans le musée, mettant en scène le plus parfaitement possible sa révélation. Sous l’œil effaré des passants et des gardiens, il provoque un véritable scandale:
– Voyez par vous-mêmes! s’exclame-t-il. Cette tête ici présente n’est en rien une antiquité: c’est moi-même qui l’ait posée là il y a plusieurs semaines! Aucun des incapables qui travaillent dans ce musée ô combien prestigieux n’a été capable de s’en rendre compte!
Tout en parlant, il se saisit de la tête et la brandit devant les objectifs des journalistes. Alertés par l’esclandre, les gardiens, puis le conservateur en personne, accourent sur les lieux.
– Messieurs, vous êtes des ânes! Et je viens de le prouver!, se vante joyeusement Dorgelès.
– Je vous somme de reposer cette antiquité à sa place!
– Mais c’est un faux, vous dis-je, c’est moi-même qui l’y ait placée!
– C’est vous qui le dites, je n’ai aucune raison de vous croire!
La petite plaisanterie n’amuse pas du tout le conservateur du Musée. Ne voulant pas perdre la face devant l’opinion publique, il se refuse obstinément à admettre l’évidence et continue à affirmer que le buste est authentique. Sous les menaces répétées des gardiens de plus en plus nombreux autour de lui, Roland Dorgelès est finalement obligé de reposer la tête de son ami Buzon.
Épilogue
Ne voulant reconnaître son erreur, la direction du musée continuera d’exposer l’œuvre pendant des dizaines d’années, sous l’œil indifférent des milliers de visiteurs qui n’y verront que du feu. On raconte même que, une quarantaine d’années après les faits, Dorgelès tombe nez à nez avec « sa » statue lors d’une promenade en famille au musée du Louvre. Le petit écriteau qu’il avait lui-même écrit à la main est maintenant remplacé par une jolie petite plaque gravée… Il m’a été hélas impossible de vérifier cette dernière anecdote avec des sources historiques sérieuses.
Quant à savoir ce qu’est devenu aujourd’hui la sculpture, nul ne le sait. Mais je parierai cher qu’elle traîne quelque part dans une arrière salle poussiéreuse du Louvre!
Dorgelès n’en reste pas à ce coup d’essai… Deux ans plus tard, il réussit à faire passer un tableau de sa création pour une œuvre impressionniste, à l’exposer dans un Salon sérieux et à le vendre très cher! Seul problème, le tableau en question a été peint par… un âne (oui, oui, un vrai âne, Lolo de son p’tit nom)!
En voilà un qui n’a pas volé sa place au Canard Enchaîné dans lequel il entre en 1917! Plus tard, il rentrera dans le rang et sera même nommé président de l’Académie Goncourt. Mais ça, c’est une autre histoire…
Roland Dorgelès, souvenirs de la Grande Guerre
Sources
- Dictionnaire amoureux du Louvre de Pierre Rosenberg
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J’adore ce genre d’anecdotes. C’est truculent!
C’est là qu’on se rend compte que nos amuseurs publics actuels (Baffie, Ruquier,…) n’ont pas inventé grand chose et se contentent de recopier les vieilles recettes du passé.
C’est moi ou il a une vraie tête de psychopathe le mec?
+1 à lui, en tout cas, c’est assez rigolo comme histoire.
Pour rester dans le Louvre, j’avais entendu parler que l’histoire du vol de La Joconde était assez jubilatoire aussi. Ca serait chouette que vous nous pondiez un petit article dessus 😉
Revoir ainsi la jeunesse insouciante d’un homme qui deviendra par la suite un ancien combattant et un écrivain poignant est très touchant.
La vie a rattrapé ce jeune homme plein d’humour, j’en ai bien peur.
Succulent ! RT @EtaleTaCulture: #Canular au Musée du Louvre -Mais puisque j’vous dis qu’c’t’un faux! http://t.co/2ccweeNEr7 #culturegenerale
Succulente anecdote!
le tableau peint par un âne était attribué à un italien du nom de ; BORONALI
et personne ne s’est rendu compte que c’est l’anagramme de ALIBORON