Retard d’une livraison de poissons : le maître d’hôtel François Vatel se suicide
François Vatel a acquis sa réputation de grand maître d’hôtel et de maître cuisinier au service de Nicolas Fouquet. C’est d’ailleurs peut-être bien de sa faute si ce dernier finit sa carrière au cachot: rappelez-vous de la fameuse fête du 17 août 1661 où le roi, tellement impressionné par la qualité du repas et des festivités organisées par son hôte, se sentit humilié et prit le surintendant des finances en grippe… C’est dire si la réputation du bonhomme n’est plus à faire!
Après la descente aux enfers de Fouquet, François Vatel change de patron et se met au service du Grand Condé, un des hommes les plus puissants du Royaume. Prenant son rôle très au sérieux, il ne supporte pas le moindre dérapage dans l’organisation de ses réceptions…
En avril 1671, le Grand Condé lui demande d’organiser dans son château de Chantilly trois jours de fête durant lesquels tout le gratin de la noblesse sera présent. VIP de la soirée: Louis XIV, bien entendu! Pas moins de 3.000 personnes sont attendues. Oui, 3000 personnes à nourrir et à divertir 3 longs jours durant !
Cette mission est certainement la plus importante de toute la longue carrière de Vatel. Il dispose de douze jours avant la date fatidique… Et la tâche n’est pas mince: orchestre, pièces de théâtre, plats à profusion, feux d’artifice, sans compter l’embauche de dizaines de cuisiniers, de serveurs, de valets, et que sais-je encore! Tout, absolument tout doit être parfait et réglé comme une horloge suisse. Douze petits jours durant lesquels il ne fermera pas l’œil, dévoré par la pression de l’événement.
Nous sommes maintenant le jeudi 23 avril 1671. Il est 16 heures, et les premiers invités commencent à affluer: c’est bientôt un flux permanent d’hommes et de femmes fardés comme des voitures volées qui s’amoncellent dans les jardins du château.
Le Château de Chantilly
Vatel a choisi d’installer 25 tables d’honneur. Les autres invités moins prestigieux, eux, se contenteront de manger debout et de piquer dans de gigantesques buffets.
La mécanique est bien huilée et la soirée démarre plutôt bien. Mais bientôt, c’est le drame! Vatel a mal évalué le nombre de rôtis nécessaires pour les tables d’honneur. Ô rage! Ô désespoir! Ô boustifaille ennemie! N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie? Le pauvre Vatel est inconsolable: son honneur est souillé. Pourtant, le maître d’hôtel se fustige pour pas grand-chose… Devant la profusion des mets qui se succèdent, aucun des convives ne remarquent l’absence de ces fameux rôtis… Mais peu importe Vatel, lui est au courant. Lui sait qu’il vient de commettre une bourde irréparable! À la fin de la soirée, il vient se lamenter auprès du Grand Condé qui le rassure et le cajole comme il peut. Allons, mon brave Vatel, il ne faut pas céder à la pression, il te reste encore 2 longues journées de festivités à tenir!
Le lendemain, c’est vendredi. Et que mange-t-on le vendredi, je vous le demande? Du poisson! Mais le maître de maison ne veut pas se contenter de servir des poissons d’eau douce, à la chair bien trop commune. Non, ce sont des raies, des soles, des turbots, des dorades que le cuisinier désire! Seul problème, le château de Chantilly, situé à quelques encablures au nord de Paris, est loin, très loin de la mer… À l’heure où les camions réfrigérés n’existaient pas encore, à l’heure où les routes de France ressemblent plus à des chemins boueux qu’à des autoroutes VINCI, à l’heure où il faut une quinzaine d’heures pour faire la route entre Le Havre et Chantilly, le risque que le poisson tourne ou qu’il n’arrive pas à l’heure est très fort!
Vatel, bien sûr, est conscient de cette prise de risques. Pour maximiser les chances que les poissons lui parviennent au bon moment, il passe commande de poissons par milliers auprès d’une grosse dizaine de ports des côtes normandes.
Il est maintenant 8 heures du matin. Pas l’ombre de la moindre petite dorade à l’horizon. Les invités passent à table à midi pétante… La pression est à son comble!
Le chef cuisisnier tourne en rond, s’arrache les cheveux, se lamente. Pleure, même! Que va-t-il faire? Pourquoi diable n’a-t-il pas prévu une solution de secours? Les minutes passent. Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir? Non, que dalle! Rien que l’herbe qui verdoie et tout le tralala.
N’en pouvant plus, incapable de raisonner après presque deux semaines complètes sans avoir fermé l’œil, il s’isole dans sa chambre. Soudain, son esprit s’éclaire. Il vient de trouver une solution. LA solution. Pour échapper au déshonneur, il se donnera la mort. Consciencieusement, il cale son épée à l’horizontale à hauteur du cœur. Il recule de trois pas, respire un grand coup. Puis se rue de toutes ses forces le torse en avant et s’empale contre l’acier.
Le suicide de François Vatel dû au retard de livraison de poissons – Gravure d’Edouard Zier (XIXe s.)
Au même moment, on toque à sa porte. Ne peut-on pas le laisser mourir en paix? L’épée plantée en travers du corps, il n’en a plus que pour quelques minutes avant de passer de vie à trépas. Derrière sa porte, il entend maintenant plusieurs personnes s’affairer.
– Monsieur, Monsieur! Le poisson vient d’arriver! Comment souhaitez-vous qu’on le prépare ?
François Vatel a-t-il compris sa méprise avant de pousser son dernier soupir? Personne ne le saura jamais… On découvre son corps, on prévient le Grand Condé qui est bien embêté d’avoir perdu son maître d’hôtel en pleine festivité. On décide de s’emparer de la dépouille en toute discrétion pour ne pas perturber la fête qui bat son plein. Le malheureux Vatel est remplacé et les invités se régalent de la profusion de poissons de mer qui leur est servie. Une bien triste histoire, n’est-ce pas?
La prochaine fois que vous aurez l’impression de vous « tuer » au boulot, pensez donc au destin de ce pauvre Vatel!
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Juste pour faire mon intéressant: « des poissons d’eau douce, à la chaire bien trop commune ».
La chaire: (du grec cathedra, le siège) est à l’origine le siège d’un évêque dans son église (maintenant désigné sous le terme de cathèdre).
Je suppose que vous vouliez parler de la chair du poisson.
Cordiales salutations.
En effet!
Je viens de corriger cette vilaine coquille… 😉
Il s’est fait pwned par un poisson.
Epic fail!!!!
« Ô rage! Ô désespoir! Ô boustifaille ennemie! N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie? »
Vous m’avez bien fait rire! Bel hommage à Corneille 😆
« Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir? Non, que dalle! Rien que l’herbe qui verdoie et tout le tralala »
Et ça enchaîne sur une référence à Barbe bleue… Vous êtes déchaîné! 😉
Oui, c’est super agréable à lire toutes ces références disséminées un peu partout
La pression au travail ne date donc pas d’hier.
Aujourd’hui, on appelle ça un « burn-out », mais le principe est le même. L’anecdote est savoureuse en tout cas… tout comme les poissons de François Vatel l’étaient certainement!
le burn-out, je déteste ce mot qui a été inventé récemment mais qui a toujours existé.
Ca s’appelle une dépression, tout simplement.
je vais en parler à Ducasse !!
on ne sait jamais …………