La loterie à Babylone, le jeu où VOUS êtes le héros
Je ne crois pas avoir déjà eu l’occasion de parler de Jorge Luis Borgès sur ce blog. Quel grossier oubli! Dans son recueil de nouvelles sobrement intitulé Fictions – son œuvre incontestablement la plus connue – cet écrivain argentin (1899 – 1986) aime se perdre dans les méandres de l’âme humaine. Ses textes offrent bien souvent plusieurs niveaux de lecture – que vous soyez novices en la matière ou philosophe chevronné, vous y trouverez donc forcément votre compte!
Une nouvelle a particulièrement retenu mon attention. Dans La Loterie à Babylone, Borgès décrit un système de loterie poussé à son paroxysme… L’histoire se passe dans les temps reculés de l’ancienne Babylone (vous savez, du temps de la Tour de Babel, de Judith et d’Holopherne, de Nabuchodonosor, toussa, toussa…) où une loterie on ne peut plus banale est mise en place.
Les gens parient de l’argent, un tirage au sort désigne le grand gagnant. Fin de l’histoire.
Sauf que Borgès, bien sûr, va beaucoup plus loin… Petit à petit, le narrateur nous raconte l’évolution de cette loterie par phase successive. Bientôt, il n’est plus seulement question d’argent, mais également de statut social: un lot permet par exemple d’accéder à des responsabilités politiques. Pour y instiller encore plus d’enjeu, la Compagnie, nom donné à cette sorte de Française des Jeux version XXL, met en jeu des lots « négatifs »… Si vous êtes tirés au sort, vous vous verrez peut-être condamné à mort. De quoi donner un enjeu bien plus excitant!
Heureusement, tout ça, c’est de la fiction! Point besoin de mettre votre vie en danger aujourd’hui pour tenter de devenir riche, de vous habiller en poule et d’aller chanter « au revoir président » à votre boss! Hop hop hop! Mettez toutes les chances de votre côté et utilisez les probabilités pour tenter de prévoir le résultat du prochain loto!
Mais revenons à nos moutons… Détail intéressant de l’histoire, les habitants de Babylone participent bientôt à cette loterie de façon forcée… Les tirages deviennent gratuits et TOUS les Babyloniens peuvent maintenant être potentiellement tirés au sort. L’existence même des habitants tourne autour de ce jeu de hasard qui se retrouve placé bien malgré eux au centre de leur vie!
Très vite, le jeu entre dans sa troisième phase et les Babyloniens ne sont plus sûrs de rien… La Compagnie existe-t-elle vraiment? Les tirages ont-ils encore bien lieu? Sont-ils, oui ou non, soumis à une puissance supérieure qui peut à tout moment faire basculer leur destin?
Bien sûr, il faut voir dans cette courte nouvelle une métaphore de la puissance divine et une réflexion sur le destin… Si ce n’est pas Dieu, que peut bien représenter la Compagnie, puissance indomptable aux ambitions sibyllines qui se substitue au choix des Hommes? Lorsqu’ils s’interrogent sur l’existence de la Compagnie, les Babyloniens s’interrogent donc en fait sur l’existence de Dieu. On touche là tout l’intérêt de l’œuvre de Borgès: au travers d’une idée de départ apparemment très simple, l’auteur nous met face à des questions métaphysiques et s’interroge sur le sens de l’existence
Ah, oui, j’ai failli oublier. Vous pouvez bien sûr acheter le recueil (à coût modéré) chez votre petit libraire adoré. Vous ferez la connaissance de personnages étranges et de concepts ingénieux. Dans sa nouvelle La Bibliothèque de Babel par exemple, vous serez plongés au cœur d’une bibliothèque contenant tous les livres de 410 pages possibles et imaginables (c’est à dire contenant toutes les combinaisons de lettres mathématiquement possibles), rangés dans des salles hexagonales toutes identiques. Ou encore vous découvrirez la vie de Funès, un jeune homme de 19 ans alité par la maladie qui souffre d’un étrange mal: il peut parfaitement se rappeler de tout ce qu’il a vu et vécu dans les moindres détails… ce qui transforme sa vie en un véritable calvaire!
Pour les plus fauchés d’entre vous (ou ceux qui sont allergiques aux livres – un LIVRE? Pouah, quelle horreur!), vous pouvez toujours lire un extrait de la Loterie à Babylone sur ce site. Ma foi, c’est toujours mieux que rien!
J’ai hâte de lire vos avis dans les commentaires en tout cas!
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Très intéressant, une fois de plus, il n’est pas exclu que je m’offre ce recueil de nouvelles. Vous m’avez mis l’eau à la bouche et c’est mal 😳
Bien vu le petit clin d’oeil à LOST! 😉
4 8 15 16 23 42
Vous savez que juste après la diffusion de l’épisode de LOST où Hurley joue ces numéros au loto des milliers de gens aux Etats-Unis ont joué cette combinaison de chiffres?
J’aurais bien aimé que les numéros sortent: des milliers de gagnants, ça aurait été un évènement historique! 😆
Dans le même genre, ça me fait penser à Ikigami, un manga Seinen génial.
Pour contrer la violence de la société japonaise, les autorités mettent en place un Ikigami: tous les enfants ont une puce injecté sous la peau à la naissance. Une fois l’adolescence passée, 1 capsule sur 1000 se révèle fatale pour son porteur.
Personne ne sait si la capsule qu’il possède est mortelle ou non… Ca donne lieu dans le manga a pas mal de situations intéressantes. J’ai tout de suite pensé à ça quand j’ai lu cet article, l’ikigami est une sorte de loterie à Babylone (sauf que dans le manga, personne ne doute plus de son existence, c’est la seule différence avec Borgès)
Je vais mettre ce site dans mes favoris
L’histoire du jeune Funès n’aurait elle pas un lien avec l’acteur éponyme qui avait la même faculté mémorielle ?
Drole de coincidence en tout cas 🙂
Borges étant un écrivain argentin, j’ai donc mis sur le compte d’une coïncidence le choix du nom de Funès dans sa nouvelle…
Mais si vous me dites que Louis de Funès était lui-même connu pour avoir de tels troubles de la mémoire, il est vrai que cela mérite de creuser un peu plus!
C’est François Ier qui autorise la première loterie en France en 1539 par l’édit de Chateaurenard:
Pendant que mes sujets s’y livreront, observait le roi, ils oublieront fort à propos de s’injurier, de se battre et de blasphémer Dieu. »
Lucide, le François Ier…
cette loterie est aussi citée dans le cours d’économie sociologie en classez terminale quant à la mobilité sociale.