Le crucifiement de saint Pierre
Une commande parmi d’autre…
En 1600, le Caravage, 29 ans, reçoit une commande pour deux tableaux de la part d’un certain Tiberio Cerasi. Ce trésorier général de la Chambre apostolique souhaite décorer la chapelle qu’il vient d’acquérir au sein de l’église Santa Maria del Popolo à Rome.
L’artiste négocie son travail pour la somme rondelette de 400 écus. L’idée est de concevoir deux tableaux qui se feront face dans la chapelle, l’un représentant le crucifiement de saint Pierre (à gauche) et l’autre la Conversion de saint Paul sur le chemin de Damas (à droite). Pour parfaire la symétrie, les deux tableaux ont des dimensions identiques : 2,30 m sur 1,75 m. Effet saisissant garanti !
Quant au mur du fond, le trésorier du pape fait bizarrement appel à un certain Annibal Carrache, un peintre qui cherche à renouer avec l’idéal du beau de l’Antiquité. La différence de style avec le Caravage ne peut être plus grande !
Concernant le Crucifiement de saint Pierre, le Caravage n’est bien sûr pas le premier peintre à s’être attelé au sujet. Cinquante ans pus tôt, Michel-Ange en avait déjà livré sa vision…
Avant d’aller plus loin, une question se pose : comment Pierre en vient-il à se faire crucifier et la tête en bas par dessus le marché ? C’est ce que nous allons maintenant découvrir !
Saint Pierre, qui es-tu ?
Simon et André sont deux pêcheurs qui vivent paisiblement le long du lac de Tibériade, non loin de la ville de Bethsaïde et de Capharnaüm, en Galilée. Un beau jour, Jésus de Nazareth arrive auprès d’eux… Aussitôt désigné comme « l’Agneau de Dieu » par Jean-Baptiste (Jean, I, 35), cette rencontre change profondément leur vie…
Dès lors, Simon et André abandonnent tout ce qu’ils possèdent pour suivre Jésus partout où il se rend. Simon étant un prénom qui ne plaît apparemment pas à Jésus, celui-ci le débaptise et le nomme Pierre (« Kephas » en Araméen). C’est à cette occasion que Jésus prononce une phrase restée célèbre (malgré le jeu de mots assez douteux !) :
« Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église (…) Je te donnerai les clefs du royaume des cieux ».
Matthieu, XVI, 18-19
Simon – que nous appellerons donc dorénavant Pierre – a une foi inébranlable en Jésus. Il faut dire qu’il est l’un des seuls à avoir assisté à l’ensemble des miracles accomplis par ce dernier… Mais Pierre est un simple mortel et le doute envahit parfois son cœur, comme lors de l’épisode de la Marche sur les eaux durant lequel, Jésus, debout sur les flots au milieu du lac, lui demande de le rejoindre. Pierre parvient à faire quelques pas, mais il sombre rapidement dans les flots… Jésus le sermonne alors : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? » (Matthieu, XIV, 31)
Avec Jacques et Jean, Pierre fait aussi partie des trois hommes qui ont assisté à la Transfiguration, cet instant relativement court mais émotionnellement intense durant lequel une lumière éblouissante sortit du corps de Jésus, révélant la nature divine de ce dernier.
Bref, Pierre est le bras droit de Jésus. Mais les choses vont bientôt se gâter…
Le reniement de Pierre
Progressivement, sans qu’on en sache les raisons précises, il finit par y avoir de l’eau dans le gaz entre Jésus et Pierre. Un jour, lors d’une conversation privée entre les deux hommes, Pierre émet des doutes sur les directives de Jésus et ce dernier l’envoie sur les roses de façon assez violente :
Arrière de moi, Satan ! (…) tes pensées ne sont pas les pensées de Dieu, mais celles des hommes.
Matthieu, XVI, 23
Se faire traiter de « satan » par son mentor, passe encore… Mais la veille de son arrestation, Jésus prophétise que Pierre l’aura renié trois fois avant le chant du coq.
Avant que le coq chante, tu m’auras renié trois fois.
Marc, XIV, 30
Pierre se défend d’être capable un jour d’une telle traîtrise ! Pourtant, après la dénonciation de l’apôtre Judas et l’arrestation de Jésus sur le mont Golgotha par les autorités juives, ces dernières demandent par trois fois à Pierre s’il connaît cet homme. Et, par trois fois, pour ne pas avoir d’ennuis judiciaires, Pierre renie Jésus. Quelques minutes plus tard, il entend chanter le coq… et ne peut retenir ses larmes, accablé par sa propre faiblesse.
Heureusement, après sa Crucifixion, le Christ ressuscité lui apparaît. C’est l’occasion rêvée de réaffirmer, à trois reprises, son amour envers lui. Magnanime, Jésus le réhabilite et lui donne cette dernière consigne : « Fais paître mes brebis ». Dès lors, Pierre s’engage dans une nouvelle vie : il va dorénavant parcourir le monde pour prêcher la parole de Jésus et fonder les bases du Christianisme.
Le combat avec Simon le Magicien
Lors de ces nombreux voyages, Pierre rencontre une première fois Simon le Magicien. Ce dernier, ne doutant de rien, veut lui acheter son pouvoir de faire des miracles ! Pierre est évidemment outré !
– Que ton argent périsse, et toi avec lui, puisque tu t’es imaginé qu’on pouvait se procurer le don de Dieu avec de l’argent !
Actes, VIII, 20
Selon les Actes de Pierre, la seconde rencontre entre Pierre et Simon a lieu à Rome. Cette fois, le « Magicien » passe à l’offensive : pour défier Pierre et l’enseignement de Jésus dont il se réclame, il s’envole dans les airs sous les yeux ébahis de la foule !
Ce « miracle » est un vrai camouflet pour Pierre : si n’importe quel quidam est capable de réaliser des choses hors du commun, comment justifier que Jésus est le fils de Dieu ? Dans ces conditions, sa multiplication des petits pains ou sa marche sur les eaux font de lui un simple magicien du dimanche !
Démuni, Pierre demande au Seigneur de l’aider… Sa demande est entendue ! Dieu fait aussitôt retomber Simon le Magicien au sol, sous les rires du public. La chute est lourde : une de ses jambes est cassée à trois endroits… L’opinion publique se retourne aussitôt contre Simon, relégué au simple rang de charlatan.
Les rangs des adeptes de Pierre grossissent encore et encore…
L’hostilité des Romains
Mais n’oublions pas que les Romains sont polythéistes et ne voient pas vraiment d’un bon œil la prolifération de cette nouvelle « secte » qu’est le christianisme. Les prêcheurs chrétiens commencent donc sérieusement à embêter le pouvoir central romain, et c’est sans surprise que, peu après l’épisode de l’humiliation de Simon le Magicien, Pierre est arrêté. Au terme d’un procès inique, il est condamné à être crucifié par l’empereur Néron.
Petite nouveauté, le supplicié est finalement crucifié la tête en bas… Est-ce une cruauté supplémentaire de Néron ou une demande de Pierre qui, par humilité, ne se sent pas digne de subir le même sort que le Christ ? La tradition chrétienne retient cette seconde hypothèse, même s’il est impossible d’en être totalement sûr. C’est cet épisode qu’illustre le tableau du Caravage.
Nous y voilà !
Pendant des siècles, en mémoire du martyr de saint Pierre, la croix inversée est un signe d’humilité profonde, utilisé pour montrer sa dévotion envers Jésus Christ.
Elle est pourtant devenue aujourd’hui un symbole de « l’antéchrist » (l’antikhristos des Épîtres de Jean), le « double maléfique » de Jésus évoqué dans de nombreux essais religieux ! C’est même un signe de ralliement des satanistes et de tous les anti-chrétiens de la planète (et de beaucoup d’illuminés). Le 24 mars 2000, le pape Jean-Paul II, renouant avec les origines chrétiennes du symbole, avait d’ailleurs fait polémique en s’asseyant sur un trône au sommet duquel était dessinée une croix renversée !
De Saint Pierre à l’antéchrist, l’écart est grand ! C’est au cours du XXe siècle qu’on assiste à cette transformation dans l’imagerie populaire, largement aidée par l’industrie cinématographique et les clichés relayés dans les films d’horreur (merci L’Exorciste).
Le tableau du Caravage
Pa rapport à la version de Michel-Ange (voir plus haut), le Caravage choisit de resserrer le cadrage pour saisir l’intensité du visage du supplicié. Le clair-obscur, technique fétiche du peintre, permet également « d’effacer » l’arrière-plan, ce qui met en valeur l’action principale de la scène.
Dans ce tableau, le Caravage semble nous livrer sa propre vision de la religion. Loin des imageries « esthétiques » et aseptisées de l’époque (dont le tableau d’Annibal Carrache avec qui il partage la décoration de la chapelle est le parfait exemple), les émotions de Pierre paraissent avant tout « humaines ». La religion n’est pas inaccessible, elle se fait au contraire la continuité des préoccupations humaines. Avant d’être un saint, Pierre est avant tout un homme, semble nous dire le peintre…
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Djinnzz
PS: ça marche aussi en cliquant sur l'image juste en dessous ↓↓↓↓
Djinnzz, l’église Santa Maria del Popolo sert à résoudre une énigme dans « Anges et Démons » 😉
Et non dans le Da Vinci Code… C’est exact! 😉
Je viens de corriger le texte en conséquence. Merci!
Merci beaucoup pour cet article. J’ai découvert le site depuis peu, et j’accroche vraiment! Les notions abordées sont très nombreuses, et tout est intéressant. Ca donne envie de tout lire (bon, je vais essayer de me réfréner et d’en garder un peu pour plus tard, quand même… 😛 ).
Bonne continuation 🙂
Pas besoin de vous réfréner, monsieur le Noisetier. Personnellement, j’ai bien dú passer une dizaine d’heures sur le site et ne suis pas encore parvenue à tout lire… 😯
En général, les sujets sont fouillés juste assez pour être accessibles et donnent envie d’approfondir en faisant ses propres recherches. (J’aurais jamais cru qu’un jour je passe autant de temps à lire sur l’histoire de l’art ou l’histoire de France par exemple…)
Contente de voir que d’autres personnes sont aussi fans que moi!