À Qui la Faute?
À Qui la Faute ? est un poème de Victor Hugo (1802 – 1885) qui fait partie d’un recueil publié en 1872, intitulé L’Année Terrible. Cette année terrible, c’est bien sûr 1870, marquée par la guerre entre la France et la Prusse. Le conflit tourne à la faveur des Prusses lors de la terrible bataille de Sedan à l’issue de laquelle Napoléon III, fait prisonnier, est contraint à l’exil.
Le 26 janvier 1871, l’armistice franco-allemand est conclu, vécu comme une humiliation par la plupart des Français. Pour les Parisiens, qui ont participé eux-mêmes aux combats, cette défaite n’est pas supportable. Le 18 mars, le peuple se soulève, rejoint par une partie de la Garde nationale. Paris est aux mains des insurgés.
Après 72 jours d’échauffourées, Adolphe Thiers, tout juste élu président de la IIIe République naissante, envoie les troupes versaillaises pour réprimer le conflit dans le sang. C’est la Semaine sanglante : entre 6 000 et 30 000 Français, selon les sources, sont tués au cours des combats ou fusillés à l’issue de procès sommaires.
Alors que l’armée libère la capitale, les révoltés mettent le feu au palais des Tuileries. C’est bien sûr le symbole de la monarchie française et l’ancien lieu de pouvoir de Napoléon III qui est visé. Le château part en fumée, et avec lui sa bibliothèque composée de plus de 80 000 ouvrages…
De quoi donner l’inspiration à Victor Hugo.
– Tu viens d’incendier la Bibliothèque ?
Victor Hugo, À qui la faute ?, L’Année terrible, 1872
– Oui. J’ai mis le feu là.
– Mais c’est un crime inouï !
Crime commis par toi contre toi-même, infâme !
Mais tu viens de tuer le rayon de ton âme !
C’est ton propre flambeau que tu viens de souffler !
Ce que ta rage impie et folle ose brûler,
C’est ton bien, ton trésor, ta dot, ton héritage !
Le livre, hostile au maître, est à ton avantage.
Le livre a toujours pris fait et cause pour toi.
Une bibliothèque est un acte de foi
Des générations ténébreuses encore
Qui rendent dans la nuit témoignage à l’aurore.
Quoi ! dans ce vénérable amas des vérités,
Dans ces chefs-d’oeuvre pleins de foudre et de clartés,
Dans ce tombeau des temps devenu répertoire,
Dans les siècles, dans l’homme antique, dans l’histoire,
Dans le passé, leçon qu’épelle l’avenir,
Dans ce qui commença pour ne jamais finir,
Dans les poètes ! quoi, dans ce gouffre des bibles,
Dans le divin monceau des Eschyles terribles,
Des Homères, des Jobs, debout sur l’horizon,
Dans Molière, Voltaire et Kant, dans la raison,
Tu jettes, misérable, une torche enflammée !
De tout l’esprit humain tu fais de la fumée !
As-tu donc oublié que ton libérateur,
C’est le livre ? Le livre est là sur la hauteur ;
Il luit ; parce qu’il brille et qu’il les illumine,
Il détruit l’échafaud, la guerre, la famine
Il parle, plus d’esclave et plus de paria.
Ouvre un livre. Platon, Milton, Beccaria.
Lis ces prophètes, Dante, ou Shakespeare, ou Corneille
L’âme immense qu’ils ont en eux, en toi s’éveille ;
Ébloui, tu te sens le même homme qu’eux tous ;
Tu deviens en lisant grave, pensif et doux ;
Tu sens dans ton esprit tous ces grands hommes croître,
Ils t’enseignent ainsi que l’aube éclaire un cloître
À mesure qu’il plonge en ton coeur plus avant,
Leur chaud rayon t’apaise et te fait plus vivant ;
Ton âme interrogée est prête à leur répondre ;
Tu te reconnais bon, puis meilleur ; tu sens fondre,
Comme la neige au feu, ton orgueil, tes fureurs,
Le mal, les préjugés, les rois, les empereurs !
Car la science en l’homme arrive la première.
Puis vient la liberté. Toute cette lumière,
C’est à toi, comprends donc, et c’est toi qui l’éteins !
Les buts rêvés par toi sont par le livre atteints.
Le livre en ta pensée entre, il défait en elle
Les liens que l’erreur à la vérité mêle,
Car toute conscience est un noeud gordien.
Il est ton médecin, ton guide, ton gardien.
Ta haine, il la guérit ; ta démence, il te l’ôte.
Voilà ce que tu perds, hélas, et par ta faute !
Le livre est ta richesse à toi ! c’est le savoir,
Le droit, la vérité, la vertu, le devoir,
Le progrès, la raison dissipant tout délire.
Et tu détruis cela, toi !
– Je ne sais pas lire.
Une bibliothèque qui part en fumée ! Tragédie culturelle, évidemment ! Victor Hugo oublie peut-être un peu vite que la bibliothèque n’était pas la cible privilégiée par les insurgés mais un « dommage collatéral » : c’est bien le palais des Tuileries dans son ensemble, en tant que symbole du pouvoir royal – et donc d’oppression du peuple – qui est visé. N’oublions pas que, dans le même temps, la troupe tue entre 6 000 et 30 000 insurgés (selon les sources) et fait plus de 40 000 prisonniers !
Ce geste symbolique de destruction de la culture est évidemment regrettable. À la fin du XIXe siècle, nombre de Français sont illettrés ou analphabètes. Dans ce contexte, toute la rhétorique du poète tombe à plat dans le dernier vers… « Je ne sais pas lire » lui répond son interlocuteur à l’issue son brillant plaidoyer : comment peut-il dès lors comprendre l’importance symbolique des livres ?
Le titre du poème nous montre que Victor Hugo n’en veut pas spécifiquement aux incendiaires. À qui la faute ? À de pauvres gens qui se battent pour vivre décemment ? Ou à l’État qui organise la mise à l’écart sociale et culturelle de toute une partie de la population ?
S’il ne soutient pas du tout la Commune, un mouvement qui ne mène à rien selon lui, il se montre aussi très critique envers le président Adolphe Thiers :
Thiers, en voulant reprendre les canons de Belleville, a été fin là où il fallait être profond. Il a jeté l’étincelle sur la poudrière. Thiers, c’est l’étourderie préméditée
Victor Hugo, journal personnel
Ajout du 31/03/2019 : en pleine révolte des Gilets Jaunes, la Commune de Paris revêt bien sûr un écho particulier. Le parallèle avec les événements de 1871 est savoureux ! Ce n’est plus l’incendie d’une bibliothèque mais celui du Fouquet’s, une brasserie luxueuse des Champs-Élysées, qui scandalise la classe politique et une bonne partie des intellectuels du pays. Fouquet’s et bibliothèque des Tuileries, même combat ? Les deux établissements semblent en tout cas posséder la même force symbolique : celle de deux France qui ne se comprennent plus et qui se méprisent mutuellement. Dans les deux cas, l’incendie est utilisé par les médias et la classe politique pour décrédibiliser le camp des « insurgés ». Victor Hugo aurait-il écrit :
– Tu viens d’incendier le Fouquet’s ?
– Oui. J’ai mis le feu là.
– Mais c’est un crime inouï !
Crime commis par toi contre toi-même, infâme !
Rien n’est moins sûr ! À chaque époque les symboles qu’elle mérite.
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moi qui adore lire, je ne connaissait pas ce poème.
J’adore la dernière phrase!!
Très beau poème en effet
Merci!
Les Djinns
Murs, ville,
Et port,
Asile
De mort,
Mer grise
Où brise
La brise,
Tout dort.
Dans la plaine
Naît un bruit.
C’est l’haleine
De la nuit.
Elle brame
Comme une âme
Qu’une flamme
Toujours suit !
La voix plus haute
Semble un grelot.
D’un nain qui saute
C’est le galop.
Il fuit, s’élance,
Puis en cadence
Sur un pied danse
Au bout d’un flot.
La rumeur approche.
L’écho la redit.
C’est comme la cloche
D’un couvent maudit ;
Comme un bruit de foule,
Qui tonne et qui roule,
Et tantôt s’écroule,
Et tantôt grandit,
Dieu ! la voix sépulcrale
Des Djinns !… Quel bruit ils font !
Fuyons sous la spirale
De l’escalier profond.
Déjà s’éteint ma lampe,
Et l’ombre de la rampe,
Qui le long du mur rampe,
Monte jusqu’au plafond.
C’est l’essaim des Djinns qui passe,
Et tourbillonne en sifflant !
Les ifs, que leur vol fracasse,
Craquent comme un pin brûlant.
Leur troupeau, lourd et rapide,
Volant dans l’espace vide,
Semble un nuage livide
Qui porte un éclair au flanc.
Ils sont tout près ! – Tenons fermée
Cette salle, où nous les narguons.
Quel bruit dehors ! Hideuse armée
De vampires et de dragons !
La poutre du toit descellée
Ploie ainsi qu’une herbe mouillée,
Et la vieille porte rouillée
Tremble, à déraciner ses gonds !
Cris de l’enfer! voix qui hurle et qui pleure !
L’horrible essaim, poussé par l’aquilon,
Sans doute, ô ciel ! s’abat sur ma demeure.
Le mur fléchit sous le noir bataillon.
La maison crie et chancelle penchée,
Et l’on dirait que, du sol arrachée,
Ainsi qu’il chasse une feuille séchée,
Le vent la roule avec leur tourbillon !
Prophète ! si ta main me sauve
De ces impurs démons des soirs,
J’irai prosterner mon front chauve
Devant tes sacrés encensoirs !
Fais que sur ces portes fidèles
Meure leur souffle d’étincelles,
Et qu’en vain l’ongle de leurs ailes
Grince et crie à ces vitraux noirs !
Ils sont passés ! – Leur cohorte
S’envole, et fuit, et leurs pieds
Cessent de battre ma porte
De leurs coups multipliés.
L’air est plein d’un bruit de chaînes,
Et dans les forêts prochaines
Frissonnent tous les grands chênes,
Sous leur vol de feu pliés !
De leurs ailes lointaines
Le battement décroît,
Si confus dans les plaines,
Si faible, que l’on croit
Ouïr la sauterelle
Crier d’une voix grêle,
Ou pétiller la grêle
Sur le plomb d’un vieux toit.
D’étranges syllabes
Nous viennent encor ;
Ainsi, des arabes
Quand sonne le cor,
Un chant sur la grève
Par instants s’élève,
Et l’enfant qui rêve
Fait des rêves d’or.
Les Djinns funèbres,
Fils du trépas,
Dans les ténèbres
Pressent leurs pas ;
Leur essaim gronde :
Ainsi, profonde,
Murmure une onde
Qu’on ne voit pas.
Ce bruit vague
Qui s’endort,
C’est la vague
Sur le bord ;
C’est la plainte,
Presque éteinte,
D’une sainte
Pour un mort.
On doute
La nuit…
J’écoute : –
Tout fuit,
Tout passe
L’espace
Efface
Le bruit.
très beau poème en effet mais petite question pourquoi a-t-il intitule comme ca .le président et manuel Valls
quelle son les phrase de victor hugo qui illustre les instruction