La Fable des Abeilles, petit leçon de philo signée Mandeville
La fable des abeilles
Allez, aujourd’hui, on va faire marcher un peu notre imagination…
Imaginons… des abeilles. Rien de plus banal.
Mais nos abeilles à nous sont un peu particulières: elles ont un comportement strictement semblable à celui des humains. Elles possèdent les mêmes passions et les mêmes vices que nous: beaucoup sont fainéantes, et comptent sur les autres pour bien faire marcher la ruche. D’autres ont les dents longues et jouent des ailes pour s’élever socialement, quitte à écraser leurs congénères. Certaines abeilles se lancent dans la politique, d’autres dans le commerce.
En un mot, « il n’y a rien de tout ce qui se voit parmi les Hommes dont ces Animaux industrieux ne se servissent aussi ».
(vous saurez bientôt de qui sont ces mots, patience)
Vous voyez le topo ?
Notre ruche un peu spéciale est prospère mais beaucoup d’entre elles se désolent des vices qui règnent dans la société. Aussi s’adressent-elles à Jupiter pour Lui demander d’intervenir: « Bon Dieu, prient-elles en choœur, accordez-nous seulement la probité! »
Le Dieu des Dieux, agacé par les plaintes répétées des butineuses, décide d’agir de façon radicale : il les rend TOUTES parfaitement vertueuses. Ainsi, pense-t-il, elles sauront régler leurs problèmes par elles-même et n’auront plus besoin de Le déranger…
Du jour au lendemain, donc, nos abeilles ne sont plus poussées ni par la cupidité, ni par la méchanceté. Elles n’ont plus aucun goût pour le luxe et dédaignent le confort. Elles remisent au placard leur sac Chanel, vident leurs meilleures bouteilles de vin au tout-à-l’égout et se contentent du strict minimum pour vivre. Plus de conflit social, plus de conflit du tout d’ailleurs! Toutes les abeilles trouvent enfin le bonheur dans la pauvreté et l’amour de leur prochain.
Diogène n’aurait pas rêvé mieux.
Jupiter se frotte les mains ! Ravi de voir à quel point sa solution est performante, il retourne vaquer à ses occupations.
Les jours passent et la vertu semble vissée au corps de nos chères abeilles. Bientôt, pourtant, un problème de taille se pose : la ruche se met à dépérir à toute allure. Parce qu’elles n’ont plus goût à rien qui ne soit indispensable à leur survie, parce qu’elles n’aspirent plus individuellement à s’élever socialement, les abeilles dédaignent le commerce, l’industrie, les arts…
Et c’est la ruche elle-même qui en fait les frais. Après tout, point besoin du confort douillet des alvéoles, les creux d’un arbre suffit largement pour vivre! Carpe diem, se plaisent-elles à répéter ad nauseam. Une belle philosophie de vie qui les rend plus heureuses qu’elles ne l’ont jamais été…
Voilà l’hiver qui arrive et toutes nos abeilles meurent à la première vague de froid.
FIN.
Bon, là, c’est la version courte.
(et un peu remaniée, j’avoue)
Quand les vices individuels sont des bienfaits publics…
Car la Fable des Abeilles est en réalité le titre d’un livre écrit par un certain Bernard Mandeville (1670 – 1733). Comme son nom ne l’indique pas, Mandeville est un auteur néerlandais, reconnu par ses pairs comme un écrivain et un philosophe sérieux (ça vaut le coup d’être précisé). Ici, à la manière de La Fontaine, il utilise une parabole pour défendre une idée peu répandue à l’époque (et encore aujourd’hui, d’ailleurs): les vices individuels sont des bienfaits publics!
(… et il dresse au passage un portrait au vitriol de ses contemporains)
En doutiez-vous ? Cette « morale » a violemment choqué l’opinion à l’époque de l’auteur, qui échappa de peu à un procès en bonne et due forme.
Selon Mandeville, c’est bien parce que l’Homme est animé par de bas instincts qu’il contribue à la prospérité de son espèce. Sans jalousie, pas d’envie de faire mieux que son voisin. Sans gourmandise, pas de nécessité de développer les arts culinaires. Sans envie d’être lu par plein de monde (vanité), pas d’écrivains ou de blogueurs (haha).
L’idée développée dans cette parabole est vraiment intéressante. Chacun s’accordera à dire que devenir vertueux est LE seul objectif que l’on devrait se fixer. Nous avons été élevés dans l’idée que la jalousie, l’envie, la gourmandise
(les sept péchés capitaux, en somme)
sont à bannir de nos vies. C’est une vision chrétienne des choses, censée rendre l’humanité plus belle.
L’idée est louable ! Mais à quoi ressemblerait l’humanité si chacun de nous obéissait à ce diktat moral? Une ruche qui dépérit, nous répond Mandeville.
En conclusion, retenons que nous autres, pauvres pécheurs, sommes pleins de défauts… et c’est ce qui nous rend si beaux.
BONUS – Le texte intégral de la Fable pour les plus courageux d’entre vous :
Et pour encore plus courageux, la suite du bouquin de Mandeville à consulter sur Google Books ici.
____________________________________
Vous avez aimé cet article ? Alors j'ai besoin de vous ! Vous pouvez soutenir le blog sur Tipeee. Un beau geste, facile à faire, et qui permettra à EtaleTaCulture de garder son indépendance et d'assurer sa survie...
Objectif: 50 donateurs
Récompense: du contenu exclusif et/ou en avant-première
Je vous remercie pour tout le soutien que vous m'apportez depuis maintenant 5 ans, amis lecteurs!
Djinnzz
PS: ça marche aussi en cliquant sur l'image juste en dessous ↓↓↓↓
« Devenir vertueux est LE seul objectif que nous devrions nous fixer » d’apès cette fable ! Est-ce possible ? Pour nous, Français, sûrement puisque le contraire »n’est pas Français » !! J’en conclue que la majorité des Français ne veut pas de cette vertu !! « Nos défauts nous rendent beaux » dites-vous ? Peut-être mais à condition de rester dans un juste milieu !! Le milieu de quoi ?
Vous avez raison Eurosix, Tout est une question de dosage…