[Séquence émotion] La Mort du Loup
Je me rappelle avec nostalgie mes cours de CM2, durant lesquels ma maîtresse adorée nous avait donné à apprendre quelques vers de La Mort du Loup, d’Alfred de Vigny.
Quelle bonne idée elle avait eu là, cette brave dame !
Bien sûr, du haut de mes 8 ou 9 ans, je n’avais pas alors ressenti d’émotions particulières en lisant ce poème, et, en bon élève que j’étais, je me bornais à réciter ces quelques vers avec la même intensité dans la voix que s’il s’agissait de tables de multiplication.
Et puis…
Et puis, depuis, j’ai vieilli.
(Zazie n’aurait pas dit mieux)
(l’héroïne de Raymond Queneau, pas la chanteuse à la con)
(t’es sur un site de culture sérieux, ici. Faut suivre, un peu !)
Bien des années plus tard, donc, lorsque mon regard tomba par hasard sur ce texte dans un recueil de poésies, une émotion non feinte me prit à la gorge…
Simple nostalgie du temps passé ou puissance émotionnelle de ce poème ? Je ne sais pas. Un peu des deux, sans doute…
Véritable hymne au stoïcisme, ce poème, il me tire à chaque fois les larmes des yeux…
(ouais, je sais, j’ai un vrai cœur d’artichaut)
(et sinon, le stoïcisme, c’est un des tous premiers courants de pensée de la philosophie, fondé par le Grec Zénon de Citium. Aussi appelée l’école du Portique car Zénon avait l’habitude d’enseigner à ses élèves sous un portique – stoa, en grec. Stoa… Stoïcisme… tu l’as ?)
(« Abstiens-toi et supporte » est un bon résumé de cette philosophie… L’Homme est libre de ses opinions, mais ne peut contrôler les événements. Dès lors, le sage doit se plier à son destin. Les Musulmans traduiraient ça par « Mektoub »!)
Allez, je vous laisse avec de Vigny. Ne vous inquiétez pas, vous êtes entre de bonnes mains.
I
Les nuages couraient sur la lune enflammée
Comme sur l’incendie on voit fuir la fumée,
Et les bois étaient noirs jusques à l’horizon.
Nous marchions sans parler, dans l’humide gazon,
Dans la bruyère épaisse et dans les hautes brandes,
Lorsque, sous des sapins pareils à ceux des Landes,
Nous avons aperçu les grands ongles marqués
Par les loups voyageurs que nous avions traqués.
Nous avons écouté, retenant notre haleine
Et le pas suspendu. — Ni le bois, ni la plaine
Ne poussait un soupir dans les airs ; Seulement
La girouette en deuil criait au firmament ;
Car le vent élevé bien au dessus des terres,
N’effleurait de ses pieds que les tours solitaires,
Et les chênes d’en-bas, contre les rocs penchés,
Sur leurs coudes semblaient endormis et couchés.
Rien ne bruissait donc, lorsque baissant la tête,
Le plus vieux des chasseurs qui s’étaient mis en quête
A regardé le sable en s’y couchant ; Bientôt,
Lui que jamais ici on ne vit en défaut,
A déclaré tout bas que ces marques récentes
Annonçait la démarche et les griffes puissantes
De deux grands loups-cerviers et de deux louveteaux.
Nous avons tous alors préparé nos couteaux,
Et, cachant nos fusils et leurs lueurs trop blanches,
Nous allions pas à pas en écartant les branches.
Trois s’arrêtent, et moi, cherchant ce qu’ils voyaient,
J’aperçois tout à coup deux yeux qui flamboyaient,
Et je vois au delà quatre formes légères
Qui dansaient sous la lune au milieu des bruyères,
Comme font chaque jour, à grand bruit sous nos yeux,
Quand le maître revient, les lévriers joyeux.
Leur forme était semblable et semblable la danse ;
Mais les enfants du loup se jouaient en silence,
Sachant bien qu’à deux pas, ne dormant qu’à demi,
Se couche dans ses murs l’homme, leur ennemi.
Le père était debout, et plus loin, contre un arbre,
Sa louve reposait comme celle de marbre
Qu’adorait les romains, et dont les flancs velus
Couvaient les demi-dieux Rémus et Romulus.
Le Loup vient et s’assied, les deux jambes dressées
Par leurs ongles crochus dans le sable enfoncées.
Il s’est jugé perdu, puisqu’il était surpris,
Sa retraite coupée et tous ses chemins pris ;
Alors il a saisi, dans sa gueule brûlante,
Du chien le plus hardi la gorge pantelante
Et n’a pas desserré ses mâchoires de fer,
Malgré nos coups de feu qui traversaient sa chair
Et nos couteaux aigus qui, comme des tenailles,
Se croisaient en plongeant dans ses larges entrailles,
Jusqu’au dernier moment où le chien étranglé,
Mort longtemps avant lui, sous ses pieds a roulé.
Le Loup le quitte alors et puis il nous regarde.
Les couteaux lui restaient au flanc jusqu’à la garde,
Le clouaient au gazon tout baigné dans son sang ;
Nos fusils l’entouraient en sinistre croissant.
Il nous regarde encore, ensuite il se recouche,
Tout en léchant le sang répandu sur sa bouche,
Et, sans daigner savoir comment il a péri,
Refermant ses grands yeux, meurt sans jeter un cri.
II
Alfred de Vigny, La Mort du Loup, 1843, Revue des Deux Mondes
J’ai reposé mon front sur mon fusil sans poudre,
Me prenant à penser, et n’ai pu me résoudre
A poursuivre sa Louve et ses fils qui, tous trois,
Avaient voulu l’attendre, et, comme je le crois,
Sans ses deux louveteaux la belle et sombre veuve
Ne l’eût pas laissé seul subir la grande épreuve ;
Mais son devoir était de les sauver, afin
De pouvoir leur apprendre à bien souffrir la faim,
A ne jamais entrer dans le pacte des villes
Que l’homme a fait avec les animaux serviles
Qui chassent devant lui, pour avoir le coucher,
Les premiers possesseurs du bois et du rocher.
Hélas ! ai-je pensé, malgré ce grand nom d’Hommes,
Que j’ai honte de nous, débiles que nous sommes !
Comment on doit quitter la vie et tous ses maux,
C’est vous qui le savez, sublimes animaux !
A voir ce que l’on fut sur terre et ce qu’on laisse
Seul le silence est grand ; tout le reste est faiblesse.
– Ah ! je t’ai bien compris, sauvage voyageur,
Et ton dernier regard m’est allé jusqu’au cœur !
Il disait : » Si tu peux, fais que ton âme arrive,
A force de rester studieuse et pensive,
Jusqu’à ce haut degré de stoïque fierté
Où, naissant dans les bois, j’ai tout d’abord monté.
Gémir, pleurer, prier est également lâche.
Fais énergiquement ta longue et lourde tâche
Dans la voie où le Sort a voulu t’appeler,
Puis après, comme moi, souffre et meurs sans parler.
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Quel beau poême!!!
Je l’ai relu avecbeaucoup d’émotion.
Il m’a fait penser à un autre :
La servante au grand coeur dont vous étiez jalouse
Et qui dort son sommeil sous une humble pelouse
nous devrions pourtant lui porter quelques fleurs
les morts, les pauvres morts ont de grandes douleurs
Et quand Octobre souffle émondeur des vieux arbres
Le vent mélancolique alentour de leur marbre
Certes,ils doivent trouver les vivants bien ingrats
A dormir comme ils font chaudement dans leurs draps.
Beaudelaire ou Victor Hugo??????
Bonjour @Maryse! Merci pour ce poème qui me rappelle de beaux souvenirs. Si ma mémoire est bonne, c’est un extrait des Fleurs du Mal de Baudelaire!
Bonjour
Tout d’abord, ce poème est vraiment magnifique. Mais ce n’est pas la principale raison qui me pousse à écrire ce commentaire. Si je le fais c’est pour vous dire que votre site est génial, drôle, agréable, instructif. Je l’ai découvert avec l’anecdote de Sainte Catherine d’Alexandrie et de Saint Blaise de la fresque de Michel-Ange (ce qui m’a d’ailleurs bien fait rire) car je cherchais des informations sur cette peinture pour un exposé. Depuis, je ne le quitte plus. J’ai déjà lu pas mal de pages et je dois dire que j’adore. (WAW! une jeune qui s’intéresse à la culture! ça doit être une martienne)
Enfin bref. J’adore ce que vous faites et j’espère que ça continuera encore longtemps.