Le mythe de Jonas décortiqué
Jonas est un personnage de l’Ancien Testament apparaissant dans les livres prophétiques. Il possède un livre à son nom… un livre assez court, d’ailleurs: à peine 1 page recto/verso! C’est pour cette raison qu’il est considéré comme un « petit » prophète. N’y voyez aucun signe de mépris, c’est tout simplement pour le distinguer des « grands » prophètes (au nombre de quatre: Isaïe, Jérémie, Ézéchiel,et Daniel), dont les livres respectifs dans la Bible sont beaucoup plus longs.
Bien.
Le texte biblique
L’histoire commence quand Dieu en personne interpelle Jonas et lui demande, sans autre forme d’explications:
Lève-toi, va à Ninive et crie contre elle car sa méchanceté est montée jusqu’à moi.
Ninive, la capitale de l’empire assyrien située au nord de l’Irak actuelle, n’est pas une ville complètement inconnue des lecteurs d’#ETC. Eh oui, on l’a déjà rencontrée quand on a étudié l’épopée de Gilgamesh. La Bible nous apprend que Ninive fut construite par Nimrod, le « premier homme puissant sur la terre » (Genèse, 10, 8). Pourquoi cette ville est ciblée par Dieu en particulier? Le texte ne le dit pas, mais l’Assyrie est un ennemi héréditaire d’Israël. Un autre petit prophète, Nahum, nous en dit plus: « Malheur à la ville sanguinaire, pleine de mensonge, remplie de violence, qui ne cesse de se livrer au pillage! » (Nahum, 3,1)
(là, au moins, c’est clair)
Quant à Jonas, on ne sait pas grand chose sur lui, si ce n’est qu’il évolue à la cour de Jéroboam II, roi d’Israël vers 750 avant notre ère.
Pour se rendre d’Israël à Ninive, il faut marcher un bon millier de kilomètres à travers le désert. Sacré challenge! Jonas prend peur, sans doute, car il prend la poudre d’escampette et part dans la direction opposée (vers Tarse). Il monte dans un bateau, espérant échapper au courroux de Dieu. Peine perdue!
Quelques heures après le départ, le bateau est pris dans une énorme tempête. L’équipage panique et pense même à tirer au sort l’un des leurs pour l’expulser par dessus bord, afin de rendre le bateau plus léger. Mais le capitaine s’en prend d’abord à l’invité: pourquoi reste-t-il là, allongé dans le fond du bateau? Jonas soulage sa conscience et leur explique tout. L’ordre de Dieu et sa désobéissance. Il en est certain, c’est pour le punir que Dieu a lancé sur lui cette tempête. Lui seul mérite de mourir: ne souhaitant pas causer la mort d’autres personnes, il demande aux marins de le jeter par dessus bord.
« Prenez-moi et jetez-moi dans la mer, et la mer se calmera envers vous, car je sais que c’est moi qui attire sur vous cette grande tempête. »
(Jon, 1, 12)
L’équipage s’exécute et la fureur des flots se calme aussitôt. Le bateau est sauvé mais les malheurs de Jonas ne font que commencer…
Un énorme poisson (une baleine, probablement, mais le texte n’en dit rien) l’engloutit… Jonas se retrouve dans son ventre, dans lequel il passera trois jours et trois nuits à prier avant que le poisson ne le recrache sur le rivage.
Et Dieu parle de nouveau de Jonas, cette fois en précisant sa demande:
Lève-toi, va à Ninive et fais-y la proclamation que je t’ordonne: (…) « Dans 40 jours, Ninive sera détruite! »
Cette fois, notre héros sauvé des flots obéit. Il se rend dans la ville et clame haut et fort que ses habitants sont condamnés, Dieu souhaitant les punir pour leurs péchés. Étonnamment, il est pris au sérieux.
(dans la même situation, les habitants de Sodome et Gomorrhe, eux, rirent au nez de Loth venu, comme Jonas, leur expliquer que la ville était condamnée)
Les habitants de Ninive paniquent… Le roi en personne demande à la population de jeûner et de se repentir. Peut-être n’est-il pas trop tard pour obtenir le pardon de Dieu…
Voilà en tout point l’attitude souhaitée par Dieu. Puisqu’ils se repentent et souhaitent renoncer à leur mauvaise conduite, Dieu décide de les épargner.
Et ça, ça ne passe du tout auprès de Jonas… il ne s’est quand même pas tapé 1000 bornes dans le désert pour que ces enfoirés d’Assyriens s’en sortent aussi bien! Jonas a une longue conversation avec Dieu durant laquelle il expose son désaccord. Surtout, il avoue la vraie raison pour laquelle il s’était enfui vers Tarse: non qu’il avait peur de ses ennemis, ou que le voyage était trop épuisant. Non, non. Il pressentait ce qui vient de se passer: que Dieu, dans sa grande miséricorde, pardonne leur conduite odieuse à ses ennemis.
Sa confession faite, il part à l’est de la ville
(à l’est… comme Adam et Ève chassés du Paradis qui partirent à l’est d’Éden)
et s’assoit par terre.
Là, Dieu fait pousser une plante qui protège Jonas du soleil. Ce dernier est ravi. Mais, le lendemain, ce qu’Il donne, Il le reprend: Dieu tue la plante et envoie sur Jonas des rayons de soleil plus chauds que jamais… Jonas implore la mort. Alors Dieu lui répond, et c’est la conclusion du livre:
Tu as pitié de la plante qui ne t’a coûté aucune peine et que tu n’as pas fait croître, qui est né dans une nuit et qui a péri dans une nuit. Et moi, je n’aurais pas pitié de Ninive, la grande ville, dans laquelle se trouvent plus de cent vingt mille hommes qui ne savent pas distinguer leur droite de leur gauche, et des animaux en grand nombre!
Pourquoi ce texte est plus important qu’il n’y paraît?
D’abord, parce que l’histoire de Jonas imprègne la culture populaire. Et ça, en partie grâce à Walt Disney! Comment ne pas voir un clin d’œil à cette histoire dans Pinocchio, quand Geppetto, Pinocchio et Jiminy se font avaler par une baleine? Là, pas d’action divine pour les tirer de ce mauvais pas, mais un feu de camp qui fait éternuer le cétacé et les expulse hors de son ventre. Rappelez-vous la suite de l’histoire: les trois personnages se retrouvent dans l’océan et Pinocchio sacrifie sa vie pour sauver celle de son père, Geppetto. Une grosse vague ramène tout le monde sur le rivage et la marionnette gît, inerte, dans le sable.
Alors que Geppetto et Jiminy, endeuillés, veillent sur sa dépouille, la Fée bleue arrive et déclare que, pour avoir sacrifié sa vie en sauvant celle de son père, Pinocchio mérite d’être un vrai petit garçon. D’un coup de baguette magique, Pinocchio est ramené à la vie.
Après avoir subi l’épreuve biblique de Jonas, il parvient, par son sacrifice, à une humanité supérieure (de pantin de bois, il devient enfant en chair et en os). Pinocchio est certainement le récit le plus profondément chrétien de tous les films produits par Walt Disney…
Autre clin d’œil tiré de la « pop culture », le coup du tirage au sort sur le bateau, bien sûr! « Il était un petit navire, il était un petit navire, qui n’avait ja-ja-jamais navigué ». Vous connaissez tous cette comptine, n’est-ce pas? Jetez donc un coup d’œil à l’analyse des paroles qu’on avait faite il y a quelques mois, et on en reparle! Là encore, la référence au mythe de Jonas semble évidente.
Mais laissons maintenant les dessins animés et les comptines pour enfants de côté.
J’ai horreur de Bernard Henry-Lévy, mais force est de constater qu’il dit (parfois) des choses intéressantes… Dans L’Esprit du Judaïsme, il explique que Ninive est la plus grande menace d’Israël, qui risque d’envahir et détruire le royaume des Hébreux. Jonas n’ignore pas cela: il est donc transformé en personnage cornélien, en proie à un choix impossible: obéir à Dieu et sauver l’ennemi de son peuple qui, plus tard, viendra le détruire ou fuir et affronter la colère divine.
(note: ce livre est très controversé et a reçu un accueil mitigé. Pour ma part, je n’ai pas lu le bouquin en entier, juste le chapitre 7 « Ainsi parlait Jonas » dans lequel il y a des trucs bien…)
(…même si Lévy a cette fâcheuse tendance d’inventer des trucs pour servir son propos… ou peut-être ne lit-on pas la même Bible!)
(exemple: il écrit que Jonas a acheté toutes les places sur le bateau pour éviter de mettre en péril d’autres passagers… Ce détail n’est mentionné nulle part dans la Bible)
(autre exemple: selon BHL, Dieu demande à Jonas d’aller dire sa mission au roi d’Israël avant de partir. Cela, pense l’auteur, afin qu’Israël ait le temps de se préparer en cas d’attaque des Assyriens. C’est du grand n’importe quoi… rien de tout cela n’est écrit dans le texte biblique – et j’en suis d’autant plus sûr que le texte est très court!)
(encore un exemple: Bernard-Henri Lévy écrit que, pendant que le bateau de Jonas est pris dans une terrible tempête, les autres embarcations à proximité voguent tranquillement sur la mer)
(mais sérieusement, on a lu le même livre ou quoi???!!! Ça n’apparaît nulle part non plus, ça!)
(encore un autre exemple)
(et après j’arrête, promis)
(cette fois, je cite l’auteur: « L’idée l’effleure même (c’est mon hypothèse, mais pourquoi pas ?) que tout cela n’est peut-être qu’un mauvais rêve, une ruse de Dieu, un caprice, une facétie destinée à mettre sa foi à l’épreuve ». Ben voyons, allons-y! C’est tellement pratique de faire dire et penser ce qu’on veut à Jonas pour servir ses propos!)
(Bref, BHL…)
(mais le coup du personnage cornélien, j’aime bien)
(c’est déjà ça)
Autre point, et non des moindres: les trois jours et trois nuits passés dans le ventre de la baleine sont annonciateurs de la résurrection du Christ, rien de moins! Ce dernier, après avoir été crucifié sur le mont Golgotha, ressuscite trois jours et trois nuits après sa mort. La Bible insiste bien sur l’idée du « troisième jour » pour la résurrection du Christ, le chiffre 3 étant mentionné pas moins de 18 fois! (Mt 12:40, Mt 16:21 , Mt 17:23, Mt 20:19, Mt 26:61, Mt 27:63, Mr 8:31, Mr 9:31, Mr 10:34, Mr 14:58, Mr 15:29, Lu 9:22, Lu 18:33, Lu 24:7, Lu 24:46, Jn 2:19, Ac 10:40, 1Co 15:4 – source)
Simple hasard des chiffres? Non! Matthieu lève toute ambiguïté dans son Évangile:
Car, comme Jonas fut dans le ventre du cétacé trois jours et trois nuits, ainsi le fils de l’homme sera trois jours et trois nuits dans le sein de la terre.
(Mt 12,40)
Le livre de Jonas explore également une facette de Dieu qui n’est pas très développée dans l’Ancien Testament (mais omniprésente dans les Évangiles): Il est capable de pardon et de miséricorde, même envers Ses ennemis. Eh oui, on a parfois tendance à l’oublier en lisant l’Ancien Testament, tant Dieu fait exploser sa colère à la moindre occasion: n’est-ce pas Lui qui réduit l’humanité à néant avec le Déluge? Qui extermine les habitants de Sodome et Gomorrhe pour leurs mœurs dissolues? Qui se débarrasse des troupes de Pharaon en leur faisant tomber la mer rouge sur la tête? Qui fait passer au fil de l’épée hommes, femmes et enfants dans la ville de Jabès en Galaad (Juges, 21,10)? Les exemples sont légion.
Son changement d’attitude envers les ennemis des Hébreux de Ninive est, en ce sens, inédite et fait du livre de Jonas une curiosité…
Source
Lire le texte intégral: Le Livre de Jonas
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Djinnzz
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Vous citiez le livre de Nahum au début, du coup je l’ai lu en entier… C’est très court aussi et, pour le coup, ça ne raconte aucune histoire. juste une vision de la destruction de la vie, ma foi fort bien écrite au demeurant.
Je ne comprends pas car là, il est bien question de la destruction de la ville de Ninive, et non d’une quelconque miséricorde… Wikipedia indique Nahum a vécu vers 650 avant JC, donc 1 ou 2 siècles après Jonas. Dien a-t-il changé concernant le sort de Ninive? Est-ce parce que ces habitants n’ont pas tenu leur promesse de se convertir et de se tourner vers Dieu, condition dans le livre de Jonas pour avoir la vie sauve?
Ma bible indique que le texte a été écrit juste après la chute de Thèbes (-612) et que cette chute annonce celle de Ninive.
Si vous aviez des infos…
Merci !
EDIT: ***Dieu a-t-il changé d’avis concernant le sort de Ninive
Je constate que la Bible commence à prendre intérêt à vos yeux cher Djinnzz. Ça me fait plaisir. Bonne continuation. Je veux des histoires à faisons !
Merci !
Oui, je pense écrire régulièrement sur ces sujets dans les semaines/mois à venir !
on aurait bien besoin d’un p’tit Jonas (même borné et colérique)…Alooo Jonas y du boulot pour toi…NAN je pars en vacances à Tarsis
Daniel n’est pas du tout un petit prophète, du moins au sens du canon biblique – il n’y avait plus de place pour le ranger dans cette catégorie.
BHL n’a en en effet pas lu le même texte que vous: il se fonde sur le talmud qui, tout en reprenant le texte biblique l’enrichit de la loi dite orale, complémentaire à la loi écrite, la Torah (le pentateuque), ainsi que de nombreux commentaires.
Jonas (Jonah en hébreu est une sorte de pigeon ramier, symbole de la bêtise) incarne donc l’anti-héros et, de ce point de vue, s’écarte bien d’un regard à la Disney.
Cher Djinnzz Merci encore pour ces billets tous plus intéressants les uns que les autres!
J’arrive sûrement un peu après la bataille vu la date du billet mais bon vous me le pardonnerez j’espère. ^^
Est-ce que la comptine de petit navire ne s’inspirerait pas plus de l’affaire Regina v. Dudley & Stephens que du récit de Jonas? Il me semblait que cette comptine justement s’inspirait des faits réels du cas Dudley & Stephen, suivant un peu la métaphore de l’Odyssée de Pi.
Merci infiniment pour tous ces éléments sur l’Histoire fascinante de Jonas !!!
Pouvez-vous m’aider à comprendre quels sont les Océans et cours d’eaux que le GROS POISSON a empruntés jusqu’à aller Vomir JONAS dans les côtes de Ninive?
Cordialement
Et comment pourrait-on survivre à l’intérieur d’un cétacé ou autre créature marine sans oxygène???