L’Effet Lucifer, ou la douloureuse expérience de Stanford
Zimbardo est une sommité dans le milieu de la psychologie et la sociologie. Cette très grande notoriété, il la doit en partie grâce à une expérience qu’il a mené en 1971 dont le but était de mieux comprendre les comportements humains en milieu carcéral. Petit retour sur ce jeu de rôles qui ne manque pas de piquant.
Sélectionnons 24 adultes sains d’esprit, issus de tous milieux sociaux. Après tirage au sort, 12 d’entre eux joueront le rôle de prisonniers, les 12 autres celui de gardiens de prison. Et, afin d’acclimater tout ce joli monde, faisons durer l’expérience pendant 3 semaines.
Pour pousser le réalisme jusqu’au bout, équipons les gardiens d’une matraque et permettons-leur de rentrer chez eux après leur service, tout comme le feraient de « vrais » gardiens. Quant aux prisonniers, habillons-les avec des uniformes jaunes et dépersonnalisons-les en les appelant par des numéros. Et comme tout cela ne suffit pas, accrochons une chaîne à leurs pieds pour leur rappeler leur état de déchéance!
Le but du jeu étant d’analyser le comportement « naturel » de l’être humain, ne transmettons aucune consigne ni formation particulière aux « gardes »: donnons-leur simplement la responsabilité de la prison et qu’ils se débrouillent!
Allez, poussons encore plus loin le réalisme! Faisons arrêter les prisonniers par surprise par la Police locale, et faisons leur subir le même traitement qu’à des vrais délinquants.
Bon, vous l’admettrez, c’est difficile de faire une simulation plus réaliste! Secret Story peut aller se rhabiller!
Zimbardo observe attentivement les comportements de chacun, le lieu étant bien sûr truffé de caméras de surveillance. Mais, très vite, il perd totalement le contrôle de son expérience. Il assiste à des comportement outrageux et dégradants des gardes à l’encontre des prisonniers: punitions physiques, manipulations psychologiques, refus de l’utilisation des sanitaires, et même humiliations sexuelles. Le pire, c’est que la nuit venue, lumières éteintes, alors que les gardiens pensent ne plus être filmés, les gardiens poussent encore plus loin le sadisme, ce qui tend à prouver qu’ils ont conscience de leurs mauvais agissements…
L’expérience de Zimbardo prend un tel visage que celui-ci est obligé d’y mettre fin avant son terme: plusieurs « prisonniers » présentant des troubles émotionnels et des traumatismes très graves.
Philip Zimbardo – L’effet Lucifer (Photo: Chronicle/Michael Maloney)
Tout comme dans les vraies prisons, les prisonniers avaient le droit de recevoir des visites de la part de leur famille, amis, assistantes sociales, etc… Parmi ce nombre important de visiteurs, aucun d’entre eux ne s’est jamais insurgé contre l’immoralité d’une telle expérience… Affligeant.
Tout comme l’expérience de Milgram, l’expérience de Stanford montre les mécanismes de l’obéissance à une institution. Elle prouve également une chose: les hommes agissent en fonction des situations auxquelles ils sont confrontés, et non suivant leurs propres personnalités.
Alors, bien sûr, il est facile de se dire que non, décidément, nous, nous n’agirions jamais de la sorte. Mais l’Histoire démontre hélas le contraire: comment expliquer, sinon, les atrocités commises par des gens autrefois respectables durant les nombreuses guerres atroces du XXè siècle, à S21, ou ailleurs?
Il faut croire que c’est finalement Thomas Hobbes (et Plaute avant lui) qui avait raison, l’Homme est bien un loup pour l’Homme.
Extrait d’une émission sur Arte sur l’expérience de Stanford:
Edit: Merci à Philoswan qui m’a gentiment signalé sur Twitter l’existence de deux films sur ce sujet. Le premier est allemand et est sorti en 2003: L’expérience, par Oliver Hirschbiegel.
Le deuxième est le remake américain du premier, réalisé par Paul Scheuring, avec Adrien Brody et Forrest Whitaker: The Experiment.
Bon visionnage!
____________________________________
Vous avez aimé cet article ? Alors j'ai besoin de vous ! Vous pouvez soutenir le blog sur Tipeee. Un beau geste, facile à faire, et qui permettra à EtaleTaCulture de garder son indépendance et d'assurer sa survie...
Objectif: 50 donateurs
Récompense: du contenu exclusif et/ou en avant-première
Je vous remercie pour tout le soutien que vous m'apportez depuis maintenant 5 ans, amis lecteurs!
Djinnzz
PS: ça marche aussi en cliquant sur l'image juste en dessous ↓↓↓↓
« Parmi ce nombre important de visiteurs, aucun d’entre eux ne s’est jamais insurgé contre l’immoralité d’une telle expérience… «
il me semble qu’une personne s’est opposée à la poursuite du dispositif, justement, et que c’est la femme de Zimbardo en personne. Une personne sur des dizaines, ça reste « affligeant », je suis d’accord avec vous. 😥
Lola: En fait ce qu’il cherchait à montrer ce n’est pas que personne ne s’est révolté (dans le sens: ils ont laissé faire) mais que personne n’a dit « oh, les mecs c’est une expérience, en réalité je suis LIBRE DE PARTIR si je veux ». En d’autres termes, la soumission à l’autorité et la déshumanisation étaient telles qu’ils ont oublié l’essentiel…
Alors en fait, sur les 24 sélectionnés, 9 ont été déterminés gardiens et 9 prisonniers, les 6 restant étant les remplaçants des gardiens. La répartition n’a pas été 12/12.
L’expérience était prévue pour 2 semaines initialement et non 3. Elle a pris fin au bout du 6è jour en raison du comportement dégradant et humiliant des gardiens.
Les uniformes étaient blancs :p
Des traumatismes légers pour tous les prisonniers, 2 seulement ont du être retiré de l’expérience dont un pour éviter une dépression.
Ce qui est grave aussi, en plus des personnes tout venants (les familles), une cinquantaine de personne au total est entrée dans la prison, y compris des psychologues professionnels, et effectivement personne ne s’est inquiété de l’état des prisonniers.
Toute personne investie d un pouvoir a tendance à en abuser. Aimer son prochain, avoir de l empathie l en empechera. La masse n aime pas s interroger, n aime surtout pas la remise en question. Il y a toujours des gens qui se lèvent contre le systeme abusif même si c est douloureux. Ce n est pas parce qu ils sont nombreux à avoir tort qu ils ont raison.
Mel a raison dans les détails apportés, voici 2 articles dont l’un issu du journal de Stanford où a eu lieu l’expérience avec des témoignages des instigateurs (en anglais), ces articles sont moins sensationnalistes que celui plus haut et apportent plus de détails à l’expérience en soi.
Mel a raison dans les détails apportés, voici 2 articles dont l’un issu du journal de Stanford où a eu lieu l’expérience avec des témoignages des instigateurs (en anglais), ces articles sont moins sensationnalistes que celui plus haut et apportent plus de détails à l’expérience en soi.
http://le-cercle-psy.scienceshumaines.com/la-prison-de-stanford-40-ans-apres_sh_27720
http://alumni.stanford.edu/get/page/magazine/article/?article_id=40741
Bonjour,
apparemment il cette expérience a été remise en cause :
«Stanford» : la fake expérience : https://www.liberation.fr/debats/2018/07/11/stanford-la-fake-experience_1665817
« Un Français, Thibault Le Texier, publie un livre qui pulvérise «la mise en scène» de Zimbardo. Le chercheur a épluché les archives conservées à Stanford et ouvertes depuis 2011. Minutieusement, il en démonte les biais méthodologiques dans Histoire d’un mensonge (La Découverte). Ses conclusions sont implacables : si l’expérimentation est précieuse, c’est parce qu’elle est le cas d’école de ce tout qu’il ne faut pas faire. Philip Zimbardo, militant antiprison, avait écrit ses conclusions à l’avance. «Il a créé une fausse prison scandaleuse pour dénoncer le vrai scandale des prisons», résume Le Texier. Et si ce professeur avait une science, c’est bien celle de la médiatisation. La veille de son experience happening, il envoie déjà des communiqués de presse aux journaux. Il est l’un des premiers à filmer ses cobayes et diffusera des vidéos (choisies) sur le site officiel de l’expérience, avant de publier un best-seller, l’Effet Lucifer. «
C’est très sympa de faire un article sur cette « expérience », ça serait mieux de préciser d’entrée qu’elle n’a aucun fondement scientifique, qu’elle a subi des manipulations, que plusieurs critères ont été sous-estimés voire ignorés et que l’interprétation des résultats était complètement biaisée puisque c’est Zimbardo lui-même qui était designer et contrôleur de l’expérience, avec toute la subjectivité que cela suppose…
Il est intéressant de regarder l’expérience comparable de Haslam et Reicher pour voir que Zimbardo a bidonné son « étude », tirer des conclusions sur un échantillon de 24 sujets n’est absolument pas sérieux.
Enfin, mentionnons le débunk du chercheur Thibault Texier qui est allé chercher les notes et comptes-rendus de l’expérience où l’on voit que Zimbardo lui-même a dicté ou suggéré plusieurs des comportements violents et sadiques qu’il juge ensuite comme inhérent à l’expérience…
Cela dit, bon choix de sujet puisque ça fait tjs du buzz avec visiblement peu de recherche sur le sujet de la part de l’auteur, tout juste a-t-il regardé le film puis a pondu son texte sans aucun recul…