L’étonnante histoire de Thomas Midgley, le génie du Mal involontaire
Thomas Midgley (1889 – 1944) est un idéaliste qui aimerait rendre le monde meilleur. Élève brillant, il sort en 1911 de la brillante université Cornell avec un diplôme d’ingénieur en chimie et en mécanique en poche, bien décidé à mettre ses talents scientifiques au service du Bien.
Ses premiers pas dans la vie active, il les réalise en 1916 dans les laboratoires de General Motors avec la mission délicate de mettre au point un nouveau carburant qui permettrait de rendre les moteurs à explosion plus performants. Après des mois à s’arracher les cheveux, Eurêka! Thomas Midgley vient de faire une découverte qui révolutionnera, il en est sûr, les transports de demain: en rajoutant du plomb dans l’essence, il s’aperçoit que les moteurs tournent de façon bien plus fluides et ont un meilleur rendement!
Sa première découverte « révolutionnaire »: l’essence plombée
Ni une, ni deux, notre ingénieur présente sa découverte à son employeur. Le champagne coule à flots quand il apprend que le comité de direction de General Motors donne le feu vert à la fabrication en masse d’essence plombée… Thomas Midgley peut maintenant mourir tranquille, il vient de rendre le monde meilleur en permettant aux milliards d’êtres humains sur Terre de se déplacer plus aisément.
Euh… Mon cher Thomas, ne veux-tu pas attendre un peu avant de te réjouir?
Quelques années plus tard, son essence est utilisée en masse à travers le monde. On découvre alors avec stupeur que les milliards de litres d’essence consommés ont libéré dans l’atmosphère une quantité importante de particules de plomb inhalées à plein poumons par d’honnêtes citoyens… On raconte que Thomas Midgley en personne tomba malade à force d’inhaler les vapeurs d’essence dans son laboratoire et les lieux de production.
Bon, jusque là, on lui pardonne, à Thomas. Après tout, l’erreur est humaine et il ne connaissait pas les conséquences catastrophiques de son invention. Par contre, là où il commence sérieusement à déconner, c’est quand, en 1924, il déclare lors d’une conférence de Presse que son essence plombée est A-BSO-LU-MENT inoffensive. Il joint le geste à la parole en inhalant à plein poumon des vapeurs de l’essence plombée pendant une minute entière.
– Voyez, et je pourrais faire ça tous les matins si je le souhaitais, ça ne m’empêchera pas de péter la forme!
Bien sûr, il prend bien soin de cacher au monde entier qu’il est lui même tombé malade quelques mois plus tôt pour avoir inhalé trop de vapeurs toxiques…
Sa petite mascarade fonctionne plutôt bien, néanmoins.
Il faudra attendre les années 2000 (Soit plus de 70 ans plus tard!) avant que le carburant au plomb – le fameux SUPER que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître – soit retiré définitivement du marché…
Il remet le couvert avec les CFC
Bon, on arrête là les conneries avec les bagnoles… Et si on révolutionnait maintenant le monde des réfrigérateurs? À la fin des années 20, posséder un frigo n’est pas sans danger: des gaz hautement toxiques circulent dans le circuit de refroidissement et la moindre petite fuite peut entraîner la mort des habitants de toute une maison. Quel beau terrain d’expérimentations pour notre apprenti sorcier en herbe!
Bourré de bonnes intentions (et peut-être aussi alléché par les primes de résultats mirobolantes offertes par son employeur…), il met au point le tout premier des Chlorofluorocarbures (CFC pour les intimes) dont le nom ne vous est certainement pas inconnu: le fréon. La révolution est en marche! Meilleures performances, absence de toxicité,… sur le papier, le fréon semble être une découverte extraordinaire. Mais cette fois, l’opinion publique se méfie un peu plus. Ce Midgley, là, il serait pas en train de nous la refaire à l’envers, par hasard?
Maintenant coutumier du fait, Thomas Midgley prend les devants et organise une conférence de presse durant laquelle il inhale de longues bouffées de vapeurs de fréon.
– Voyez, et je pourrais faire ça tous les matins si je le souhaite, ça ne m’empêchera pas de péter la forme!
Le pire, c’est que cette fois l’ingénieur est persuadé de sa bonne foi! Il ne se doute pas une seconde qu’il est en train de mettre en route une des plus grosses catastrophes écologiques de tous les temps… Ce n’est que quarante ans plus tard, dans les années 70, que les effets néfastes du fréon (et des CFC en général) sur la couche d’ozone seront découverts.
Une fin digne de sa réputation d’inventeur fou
Atteint d’une poliomyélite qui le paralyse au fond de son lit, Thomas Midgley ne perd rien de ses élans créateurs… Il met au point un système complexe de poulies et de treuils pour lui permettre de faire bouger son corps et gagner en autonomie. Une invention géniale, comme les deux autres? Oui… et non! En 1944, à l’âge de 55 ans, il s’empêtre dans un amas de poulies et de câbles: il sera retrouvé mort dans son lit, victime une nouvelle fois de sa propre ingéniosité…
Le comble, c’est qu’il meurt AVANT que n’éclate le scandale des CFC, persuadé que le fréon est une invention géniale qui rendra service à l’humanité entière pendant les siècles à venir!
L’historien John R. McNeill n’est d’ailleurs pas tendre avec le scientifique:
Midgley eut plus d’impact sur l’atmosphère qu’aucun être vivant quelconque dans l’histoire de la planète.
Alors, êtes-vous prêts vous aussi à rendre le monde meilleur en embrassant une brillante carrière de génie du mal?
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Bonne continuation!
Excellent!
C’est quand on voit cette histoire qu’on comprend que le prrincipe de précaution est quand même vachement important pour éviter de reproduire de grosses conneries de ce genre…
Un destin pour le moins curieux en effet que celui de ce Thomas Midgley!
La seule ombre au tableau qui m’empêcherait d’avoir un regard bienveillant sur ses recherches est le fait qu’il ait menti à la face du Monde en cachant sa propre maladie et en affirmant que son produit n’était pas toxique.
Par ce simple geste, je remets en doute complètement le côté « involontaire » des catastrophes écologiques qu’il a indirectement commises…
Pour le fréon, c’est pareil! C’est trop facile de dire qu’on ne savait pas alors qu’en réalité on ne veut pas savoir.
Mais on relativisera le mal qu’il a commis sur notre planète en contemplant les méfaits qu’une entreprise comme Monsanto continue à faire chaque jour avec ses pesticides et ses produits scandaleux! (pour rappel c’est cette même entreprise à l’origine du fameux agent orange qui a été déversé par hectolitres sur la population pendant la guerre du Vietnam) Honteux!