L’histoire d’amour impossible entre Jean Gabin et Marlene Dietrich
Marlene Dietrich et Jean Gabin, l’Ange Bleue et Gueule d’Amour. Deux figures du cinéma qui n’avaient rien en commun, mais que la Seconde guerre mondiale a uni. Ils se sont aimés … Surtout elle !
Une Allemande qui fuit le nazisme
Enfant, Marlene Dietrich voulait être espionne ou artiste. Elle a presque été les deux !
Née en 1902, dans une famille aisée de Berlin, elle suit très tôt des cours de français, d’anglais, de chant et de violon. Une blessure au poignet l’empêche de devenir concertiste, alors dès 1921, elle se met au théâtre, puis au cinéma.
En attendant des rôles majeurs, Marlene Dietrich se marie avec un régisseur, Rudolf Sieber, avec qui elle a son unique enfant, Maria Riva.
Le succès s’annonce en 1930, avec L’Ange Bleue de Josef von Sternberg.
Le film triomphe outre-Atlantique. Marlene Dietrich, trop heureuse de quitter une Allemagne qui tombe dans le nazisme, s’installe à Hollywood.
Elle y enchaîne aussitôt les grosses productions. Comme Morocco avec Gary Cooper, qui lui vaut, à peine arrivée, une première nomination aux Oscars. Une nouvelle Femme Fatale est dans la place, Greta Garbo n’a qu’à bien se tenir !
Un Français qui refuse la collaboration
Pendant ce temps, en France, Jean Gabin trace aussi sa route.
Enfant de la balle, son père le force à faire du music-hall : il joue avec Mistinguett, imite Maurice Chevalier… Puis vient le cinéma où il brille rapidement en incarnant des héros tragiques. Pépé le Moko (1937, Julien Duvivier), Gueule d’Amour (1937, Jean Grémillon), Le Quai des brumes (1938, Marcel Carné) et sa célèbre réplique « T’as d’beaux yeux, tu sais »…
Gabin est une star, son couple avec Michèle Morgan fait rêver les midinettes… Et puis le drame : les Nazis occupent Paris.
Certains artistes s’y font. Pour Jean Gabin, il est hors de question de tourner pour la Continentale, qui produit des films français avec des capitaux allemands. Il refuse même lorsqu’ils lui proposent de libérer son neveu prisonnier outre-Rhin.
La mort dans l’âme, Gabin traverse l’Atlantique en février 1941, direction Hollywood, où il a déjà une petite réputation de « french Spencer Tracy ».
La rencontre
Aux États-Unis, Gabin doit tourner pour vivre. Problèmes majeurs : il n’est pas très motivé et il ne parle pas anglais. De plus, il n’a pu quitter la France qu’avec un passeport vichyste : le FBI le suspecte donc d’être un espion !
Alors, Jean Gabin prend ouvertement les Américains pour « des cons » !
« Évidemment, j’ai fait deux films en Amérique …
Interview de Jean Gabin, 1970
Mais bon, j’ai été obligé de les faire pour bouffer. C’est le cas de le dire !
Ce n’était pas de mon propre plaisir, je le dis tout de suite … Franchement …
Mais c’est parce que j’avais d’autres raisons de foutre le camp. Comme je voulais pas venir travailler à Paris à cette époque-la, j’ai eu l’occasion de partir, je suis parti. »
C’est alors que Marlene Dietrich le croise, dans un club de New York.
Ils se sont déjà rencontrés en France, mais rien de marquant. Cette fois-ci, c’est le coup de foudre. La croqueuse d’hommes est aussitôt séduite par le charisme de l’acteur. Elle lui propose de lui apprendre l’anglais et Gabin, ravi d’être aidé, accepte volontiers.
Un couple mythique à Hollywood
On imagine comment se sont passés les cours d’anglais ! Mais la liaison perdure car Gabin n’est pas comme les autres. Taiseux, nonchalant, timide… Il fait naître chez Marlene Dietrich une passion dévorante.
« Je me cramponne à lui mais aussi à ma dernière chance d’être une vraie femme. J’ai promis à Jean de le rendre heureux pour toujours. Je devrais en être capable, avec tous mes talents… »
Lettre de Marlene Dietrich à son mari et confident
Le couple s’installe ensemble à Sunset boulevard, dans la maison à côté de celle de Greta Garbo … qui escalade ses poubelles pour espionner ce qu’il se passe chez sa rivale !
Il s’y passe une nouvelle « Petite France », que Marlene recrée pour son compagnon nostalgique. Elle cuisine ses plats traditionnels préférés, invite d’autres exilés : Charles Boyer, Jean-Pierre Aumont , Julien Duvivier, Jean Renoir… Finies les aventures sans lendemain, la séductrice est amoureuse.
Gabin aussi, mais…
Gabin s’en va-t-en guerre …
Jean Gabin vit mal ce bonheur tranquille alors que la France est occupée.
« J’étais malade à l’idée de finir ma vie aux Etats-Unis si les Allemands sortaient vainqueurs du conflit.
Je ne pouvais pas rester les mains dans les poches en attendant tranquillement que d’autres se fassent descendre pour que je puisse retrouver un jour mon patelin … »
De plus, la suspicion des États-Unis à son encontre (attisée par son rival jaloux, Charles Boyer) lui est insupportable. Il décide donc de s’engager dans les Forces navales françaises libres du général de Gaulle. Mais sous son nom civil, Jean Moncorgé, pour éviter tout privilège.
Il demande à être chef de char, alors qu’il a déja 40 ans, qu’il est claustrophobe et qu’il a peur du feu. Lorsque l’acteur part pour l’Afrique, en janvier 1944, il fait un testament en faveur de Dietrich, tant il pense que sa fin est proche. Et ce n’est pas du pipeau de planqué !
Gabin traverse l’Atlantique, sur un escorteur, pris entre les tirs de la Luftwaffe et des sous-marins allemands. Refusant d’être protégé par ses supérieurs, il participe à plusieurs opérations célèbres : la libération de la poche de Royan, la campagne d’Allemagne …
… Mais Marlene aussi !
De son côté, Marlene Dietrich s’est engagée dans l’United Service Organizations, le service artistique de l’armée américaine. Comme Jean Gabin, elle passe des mois sur le front… Et rares sont les actrices hollywoodiennes qui en sont capables ! Pendant trois ans, Dietrich délaisse sa carrière et parcourt les champs de bataille.
Très loin du glamour, elle partage le quotidien rudimentaire des troupes et réalise un tour de chant pour leur remonter le moral. C’est là que Dietrich reprend « Lili Marleen », une chanson adoubée par le régime nazi, dont elle fait un hymne de la résistance.
Ainsi, Gabin et Dietrich sont deux héros de guerre qui ont largement mérité les décorations reçues. La Médaille militaire et la Croix de guerre en 45, pour lui. La Légion d’Honneur en 1951, pour elle.
(Fidèle à lui-même, Gabin refuse de défiler sur les Champs-Élysées et voit passer son ancien char depuis le balcon de son hôtel !)
Séparés par la guerre …
Pendant le conflit qui les sépare souvent, le couple tient bon. Ils s’écrivent des lettres enflammées. En novembre 1944, Marlene Dietrich et Jean Gabin se retrouvent quelques semaines à Paris, où ils rêvent de s’installer après la guerre…
…Qui finit enfin à l’été 45. Elle repart aux États-Unis, lui l’attend à Paris. Leur correspondance continue.
Le Claridge est très bien si tu récupères mes affaires au Ritz, parce qu’il me faut des vêtements chauds pour aller voir ma mère tout de suite. J’espère que tu comprendras cela – après, je serai toute à toi. Je resterai avec toi jusqu’à la fin de ma vie – mariée ou pas, comme tu le voudras. Mais si tu veux un enfant, il vaut mieux qu’on se marie (…) Je t’embrasse comme toujours mon ange – je t’aime.
Ta grande
Marlene Dietrich, Lettre du 13 août 1945
La vie à deux reprend en septembre 45. Tout devrait aller au mieux, puisqu’ils veulent même jouer ensemble.
… Et la paix !
En réalité, le couple bat de l’aile.
Marlene est infidèle et Gabin irritable. La guerre lui a volé ses biens, mais surtout sa carrière qu’il doit redémarrer à zéro. Il doit avancer parmi une nouvelle concurrence (Jean Marais, Gérard Philipe …) alors que lui ne peut plus jouer les jeunes premiers. À 42 ans, il a les cheveux blancs et les traits endurcis. Il est grave alors que l’époque est avide de légèreté.
Le couple envisage de travailler ensemble. Marcel Carné leur propose Les Portes de la nuit. Mais le rôle prévu pour Dietrich ne lui plaît pas : elle ne veut pas jouer la fille d’un collabo. Tous deux déclinent l’offre.
Ils tournent finalement Martin Roumagnac (1946, Georges Lacombe). À sa sortie, il fait 2 millions d’entrées. C’est un succès insuffisant pour le couple vedette qui n’en est plus un.
Marlene Dietrich veut reconquérir les sommets à Hollywood. Jean Gabin veut fonder une famille à Paris. « Soit tu restes et on se marie, soit tu pars et on ne se reverra plus ! »
Quand l’histoire devient légende
… Ils ne se reverront plus.
Jamais.
Marlene Dietrich redevient une star mondiale et vit d’autres amours éphémères. Jean Gabin épouse, en 1949, une mannequin avec qui il a trois enfants.
Pourtant, les ex-amants ne s’oublient pas. En 1966, lors d’un dîner avec l’acteur allemand Curd Jürgens, Gabin évoque Dietrich en pleurant. Elle, c’est tout le reste de sa vie qu’elle le pleure.
La dernière lettre
Pour preuve, un épisode déchirant raconté par le compositeur Jean-Jacques Debout (le mari de Chantal Goya).
En me voyant chanter à la télé, [Marlene Dietrich] a demandé à sa secrétaire : “Mais qui est ce garçon ? C’est fou ce qu’il ressemble à Gabin jeune ! Appelez-moi tout de suite Bruno Coquatrix, je le veux pour ma première partie à l’Olympia. » (…)
Un soir où je me retrouve seul avec elle dans sa loge, elle me confie :
“Je suis très triste, vous savez, Jean-Jacques, j’aurais tellement aimé que Jean [Gabin, ndlr] vienne me voir. Pour qu’il voie ce que je suis devenue et pour l’embrasser une dernière fois avant de quitter ce monde. Je ne voudrais pas partir fâchée. Je sais qu’il ne veut plus entendre parler de moi, mais je ne peux oublier tout ce qu’on a vécu ensemble…”
Jean-Jacques Debout a justement une amie qui tourne avec Jean Gabin.
Elle me dit alors : “Ça vous ennuierait de faire quelque chose pour moi ? Pourriez-vous faire mine d’aller déjeuner là-bas avec votre amie et donner discrètement cette lettre à Jean ?”
Jean-Jacques Debout s’exécute timidement. Lorsque Jean Gabin reconnaît l’écriture sur l’enveloppe, il fulmine et brûle aussitôt la lettre (sans la lire) dans un cendrier.
« Mais ce n’est pas possible, c’est encore la Schleue qui me poursuit ! J’en ai marre ! » (…)
Il ne dira pas un mot de plus et quittera la table. Et moi, malgré les flammes, je ressens un froid glacial. Je suis très mal à l’aise et me demande ce que je vais bien pouvoir raconter à Marlene, que je dois retrouver le soir même pour tout lui raconter. J’ai évidemment menti sur toute la ligne, lui expliquant qu’il l’avait soigneusement glissée dans la poche de son manteau et avait dû la lire tranquillement, une fois seul dans sa loge.
Gabin pour toujours
En 1978, soit deux ans après le décès de Jean Gabin, Marlene Dietrich revient vivre à Paris. Jusqu’à sa mort en 1992, elle vivra recluse dans son appartement de l’avenue Montaigne… Juste en face de la chambre du Plaza où ils ont vécu heureux pendant la guerre.
Source : Gabin-Dietrich : un couple dans la guerre, Patrick Glâbre, éditions Robert Laffont
Pour compléter cet article, découvrez la chanson qu’adorait les nazis et qu’a repris Dietrich pour en faire un hymne résistant : Lily Marleen.
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Djinnzz
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Quelle belle histoire, je ne la connaissais pas du tout !
Étrange cette réaction de Jean Gabin qui détruit la lettre d’une femme qu’il a tant aimée sans même prendre la peine de la lire.
Très puéril, je trouve. À moins que, ayant, tellement souffert de la rupture, il ne voulait pas prendre le risque de « rallumer la flamme » ?
Ou y a-t-il quelque chose que l’on ignore dans leur ancienne relation qui l’a poussé à tirer un trait sur elle ?
Nous ne saurons jamais, hélas !
Bah mince alors… Lui, l’homme bourru et grognon, je n’aurais jamais cru qu’il pût être si tendre.
Une bien belle mais bien triste histoire !
J’ai appelé mon fils Gabin parce que j’adore cet acteur… Je l’adore encore plus à la lecture de son histoire d’amour avec Marlene Dietrich que je ne connaissais pas.
Voilà une histoire que je raconterai à mon fils quand il sera plus grand.
Merci !!
Je n’imaginais Gabin héros de guerre… C’est un vrai personnage, un homme comme on n’en fait plus, hélas !
Quant à Marlene Dietrich, je ne la connais que de nom.
Magnifique histoire, racontée avec beaucoup de sensibilité !
Merci
+1 merci 🙂
Attention à l’orthographe!!
Ange est un nom MASCULIN: le film s’intitule L’Ange bleu ( sans e)
et merci d’accorder :
« Deux figures du cinéma qui n’avaient rien en commun, mais que la Seconde guerre mondiale a uniS.
« Quand le sage montre une belle histoire d’amour, l’imbécile regarde les fautes de frappe. »
(proverbe chinois revisité)
Lili Marlene n’a jamais été l’hymne de la Résistance ça a été la chanson de la Seconde Guerre mondiale comme par exemple auprès de ma blonde a été la chanson de la première
Son fils a dit une grosse bêtise aujourd’hui dans l’émission présentée par j.l. Reichmann, il a associé son père a Greta garbo au lieu de Marlène Dietrich.
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