[Monuments de Paris] Quand la grotte du Luxembourg devient la fontaine des amours
Aujourd’hui, nos visites des monuments parisiens nous amènent à une petite halte rafraîchissante et romantique…
Qui suis-je ?
Je suis blottie, presque cachée, dans la partie Nord-Est d’un grand jardin de Paris entre sa grille et le palais qu’il entoure. Je suis née en même temps que le jardin qui m’accueille, mais j’ai bien changé d’aspect depuis… j’ai même changé d’emplacement!
Deux petits canaillous se font des papouilles au vu et au su de tous, sous mon rocher, arborant des visages heureux de l’amour qu’ils partagent. Mais un vilain cyclope lubrique les épie et s’apprête à frapper son rival, car il convoite la belle enfant…
Alors, vous m’avez ?
…
Tic, tac, tic, tac…
…
Eh oui, je suis la fontaine Médicis, située au cœur du jardin du Luxembourg!
Mon origine: le palais du Luxembourg et son jardin
En fait, je porte le nom de celle qui m’a fait édifier: Marie de Médicis, seconde épouse et veuve d’Henri IV qui lança en 1615 la construction d’une demeure royale qui devait lui rappeler le palais Pitti de son enfance italienne.
L’emplacement choisi fut un terrain jouxtant un monastère de Chartreux fondé par Saint-Louis. Un jardin fut planté que la reine voulait également voir ressembler à ses jardins italiens. Elle avait en particulier un faible pour les grottes telles que celle des jardins de Boboli à Florence.
Je fus orné de multiples « congélations » (ornement architectural imitant des stalactites et des glaçons) et, sans surprise, on m’appela « la Grotte du Luxembourg ».
Mes colonnes étaient cannelées et mon fronton aux armes de France et des Médicis était soutenu par des figures allégoriques de deux fleuves: le Rhône et la Seine. Un petit bassin central devait être alimenté en eau, mais restera en fait à sec jusqu’au début du XIXème siècle. Finalement, je n’avais pas de fonction bien définie, hormis celle d’un portique de style italien de 12 mètres de large sur 14 mètres de haut destiné à la décoration en cachant un vilain mur de maisons contiguës.
Mes transformations successives
Au début du XIXème siècle donc, l’architecte Chalgrin (auteur, faut-il le rappeler? oui! de nombreux monuments parisiens, tels l’Arc de triomphe de l’Etoile, le théâtre de l’Odéon actuel, l’église Saint-Philippe du Roule…) me fit enfin jouer mon rôle de fontaine, en alimentant en eau mon petit bassin et me rajeunit, en même temps qu’il restaura le Palais du Luxembourg.
En 1850, les maisons que je cachais furent détruites et je fus doté d’un bassin plus conséquent par l’architecte du Sénat A. de Gisors.
Mort et résurrection
En 1860, c’est le drame! Je fus condamnée à mort lors du percement de la rue de Médicis qui rétrécit la surface du jardin.
(Ah, cet Haussmann!!!)
On discute, on se dispute, que dis-je, on s’écharpe! à mon sujet. Finalement, je fus sauvée in extremis en 1862 par l’architecte du Sénat (gloire à lui!) qui me fit démonter pierre par pierre et déplacer à l’endroit où vous me trouvez aujourd’hui, en me rapprochant d’environ 30 mètres du palais. Je fus alors profondément transformée…
Les armes de France et des Médicis qui avaient disparu me furent restituées. Un bassin beaucoup plus vaste, planté de platanes et orné de vasques, vint également m’honorer.
Ma décoration principale
Mes niches latérales furent ornées de deux statues: à gauche un faune, à droite une chasseresse.
Mais c’est la niche centrale de ma façade qui présente le plus grand intérêt. Elle fut fort agréablement ornée par la sculpture toute blanche de ce délicieux couple langoureusement enlacé de la petite nymphe Galatée et du jeune berger Acis dont l’attitude et la grâce disent assez le bonheur qu’ils éprouvent. Au-dessus d’eux, la statue massive et sombre de bronze du cyclope Polyphème, épris de Galatée, penché sur un rocher pour épier le couple, se prépare à frapper Acis en lançant une pierre qui doit lui donner la mort.
Pour que vous puissiez étaler votre culture (!), un petit point mythologique s’impose…
Si le nom de Polyphème ne vous est pas totalement étranger, c’est normal! C’est un Cyclope, fils de Poséidon (Neptune), dieu de la mer. Géant anthropophage, il vivait en Sicile au pied de l’Etna. C’est lui dont Ulysse, devenu son prisonnier au cours de ses pérégrinations, creva l’œil unique pour s’enfuir.
La « blanche Galatée », elle, est moins connue: c’est une nymphe marine, fille de Nérée, un dieu marin de seconde zone. Elle fut un temps l’amante du Cyclope qu’elle abandonna pour Acis (comme on la comprend!).
Quant à Acis, il est le fils du dieu Pan, protecteur des bergers et des troupeaux, et d’une nymphe.
L’histoire d’amour entre Acis et Galatée se finit plutôt mal: Polyphème parvint à écraser Acis sous un rocher de l’Etna. Inconsolable, Galatée demanda alors aux dieux de transformer le sang d’Acis qui s’écoulait sous le rocher en un fleuve se déversant dans la mer. Ainsi son amant pouvait-il la rejoindre éternellement et se fondre avec elle, la Naïade, dans son élément…
C’est bien sûr ce que symbolise le long bassin d’eau s’avançant depuis le dessous de la statue.
Ma façade arrière
Désormais libre de toute attache, ma façade arrière fut alors judicieusement utilisée pour m’adjoindre le bas relief d’une autre fontaine située au carrefour Saint-Placide et qui devait elle aussi être démolie, en raison des grands travaux de Paris. Ce bas-relief représente Léda et Jupiter métamorphosé en cygne pour la séduire.
Le contraste entre les deux façades est flagrant: amour volé de ce côté contre amour passion sur la façade principale…
Et aujourd’hui ?
Rien n’a changé depuis 150 ans, sauf la végétation!
Devant moi, s’étend le bassin de 50 mètres de long, certes assombri par le feuillage qui l’entoure, mais aux jolis reflets, encadré par deux rangées de vasques, de platanes et de lierre. Finalement, malgré la différence des styles, de tailles des sculptures et les divers ajouts, je dégage un charme que, j’espère, vous saurez apprécier quand vous me rendrez visite!
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Une bien jolie histoire pour une bien jolie fontaine Merci pour la visite guidée
J’aime bien cette fontaine, surtout pour son cadre très agréable (elle est bordée d’arbres ce qui en fait un coin très rafraîchissant quand il fait chaud) ! J’y vais souvent aux beaux jours <3
Ce n’est pas gentil pour Nérée de le qualifier de dieux de « seconde zone » ! Il est certes moins connu que Neptune, mais le « Vieillard de la mer » (c’est son surnom) a donné naissance aux 50 Néréides qui forment le cortège de Poséidon, ce n’est pas rien.
Au passage, je crois bien que Galatée s’écrit sans « h ». Son nom veut dire « blanche comme le lait ». Les amoureux du chocolat blanc se souviendront de la marque Galak, emblématique des années 80 !
À ma connaissance, et d’après le livre que j’ai sur la mythologie gréco-latine, il n’existe que deux versions de la légende entre Galatée et Polyphème.
La première est écrite par Théocrite, et Polyphème y est décrit comme un simple amant, pas comme un cyclope. Il est éconduit mais ne rentre pas pour autant dans une rage folle…
La seconde est plus connue, c’est celle d’Ovide dans les Métamorphoses. Cette fois, Polyphème est bien le cyclope que l’on connaît, il est bien éconduit à cause de ses traits hideux. La suite, vous la racontez dans l’article…
Dans une villa romaine de Pompéi, il y a une fresque où on voit Galatée et Polyphème enlacés.
Cet épisode sera repris à de nombreuses reprises dans la peinture et dans la littérature mais, bizarrement, une seule fois en sculpture (la fontaine Médicis) : c’est aussi cet aspect qui rend la fontaine Médicis unique.
Désolé pour ce long commentaire, mais après tout le concept de ce site n’est-il pas d’étaler sa culture ? 😉
Vous avez raison pour le h de GalatHée… après vérifications, il n’y en a pas (grand dictionnaire Larousse de la mythologie). J’en aurais pourtant mis un aussi de mon côté, comme quoi…
Petite info trouvée après recherches et que je partage avec vous :
Acis et Galatée est aussi un opéra de Lully en 1686. Je ne l’ai jamais vu à l’affiche d’un quelconque opéra ceci dit !
Argument de l’opéra : Les deux bergers Acis et Télème aiment respectivement Galatée, nymphe de la mer, et Scylla, bergère. Le cyclope Polyphème arrive alors dans un énorme fracas. Pour le calmer, Acis intervient et accepte la fête que Polyphème veut organiser en son honneur.
Acis, désemparé, décide d’affronter le cyclope, ce qui équivaut à peu près à un suicide. En voyant cela, Galatée avoue à Acis son amour et explique les raisons de son attitude. Les deux amants sont sur le point de se marier, lorsque Polyphème découvre la vérité.
De colère, il écrase son rival avec un rocher. Galatée se réfugie dans la mer. Le dieu Neptune ressucite Acis et le transforme en fleuve. Acis et Galatée se trouvent ainsi réunis pour l’éternité.
Oui, Galatée vient de perdre son « h ». Merci pour la remarque. Cela étant, elle a été trouvée, son « h » à la main, dans un document de référence et cette « erreur » s’est perpétuée dans l’ensemble de l’article. Voilà donc l’erreur corrigée.
J’ai une question : on ne voit pas bien sur la photo, Polyphème est-il bien représenté avec un seul œil, ou avec deux yeux ?
Merci.
La lecture de cet article m’a fait remonter un très vieux souvenir du temps où j’étais au lycée. On étudiait les Nouvelles Orientales de Marguerite Yourcenar (je conseille ce livre à tout le monde), et l’une d’entre elles s’appelait L’homme qui a aimé les Néréides.
L’histoire d’un homme qui, sur une île grecque, rencontre des Néréides. Il est immédiatement séduit par ces femmes langoureuses et attirantes… Mais les Néréides sont des femmes dangereuses !
Aussitôt après qu’il ait fait l’amour avec elles, il perd la vue, la parole et bien sûr la raison…
Je ne blâme donc pas ce pauvre Polyphème, Galatée l’a tout simplement rendu fou lui aussi !
Merci pour l’article, toujours très intéressant !
Cette série sur les monuments de Paris me fait à chaque fois bien plaisir.
Pour quand le prochain, et quel sera-t-il ?
signé : quelqu’un d’impatient !
Le prochain monument est en bonne voie. En espérant qu’il vous plaira. Il aura un rapport avec la musique et sera sans doute de narration un peu différente. Merci de votre impatience. Mais je ne peux en dire plus…
Zeus ou Jupiter ?