[Parabole des talents] Quand même la Bible incite les placements financiers…
Le chapitre 25 de l’ Évangile selon Saint Matthieu est un passage du Nouveau Testament assez peu connu.
(vous me direz, ni plus ni moins que les 24 premiers chapitres, mais bon)
Il est pourtant riche d’enseignement et préfigure déjà les travers du capitalisme, près de 2000 ans avant qu’Adam Smith n’écrive sa Richesse des Nations (1776), texte fondateur de l’économie moderne!
Avant de partir pour un long voyage, un maître appelle ses trois serviteurs. À l’un, il confie cinq talents. Au deuxième, deux talents et au dernier, un seul talent. Puis, il part sans donner de consignes particulières.
(pour ceux qui se demandent, le talent est une unité de monnaie dans l’Antiquité, à la valeur fluctuante selon les époques)
Les deux serviteurs qui ont reçu le plus d’argent partent aussitôt les faire fructifier en allant voir des financiers, et parviennent rapidement à doubler leur mise.
(les Jérôme Kerviel de l’Antiquité, les mecs)
Le troisième, lui, a trop peur de faire un placement hasardeux. Appliquant la bonne vieille recette de Mère-Grand, « un tien vaut mieux que deux tu l’auras », il préfère cacher son argent en l’enterrant dans le jardin.
Bientôt, le maître revient. Comment va-t-il réagir?
(début du suspense)
…
(fin du suspense)
Eh bien, il récompense tout simplement ses deux premiers serviteurs pour le succès de leurs actions financières.
« Bravo », « vous êtes des champions », « vous avez tout compris », « vous êtes des winners » et tout le tralala. Bon, OK, le texte original est un peu moins fun, mais l’idée est là:
« Bien, serviteur bon et fidèle; en peu tu as été fidèle, je te préposerai à beaucoup; entre dans la joie de ton maître. »
Quant au troisième, celui qui choisit la voie de la prudence, sera-t-il récompensé pour sa sagesse?
Non !
S’avançant aussi, celui qui avait reçu un talent dit: « Maître, (…) J’ai eu peur, et je suis allé cacher votre talent dans la terre; le voici, vous avez ce qui est à vous. »
Son maître lui répondit: « Serviteur mauvais et paresseux, (…) il te fallait porter mon argent aux banquiers, et, à mon retour, j’aurais repris ce qui est mien avec un intérêt. Otez-lui donc le talent, et donnez-le à celui qui a les dix talents.
Car on donnera à celui qui a, quel qu’il soit, et il y aura (pour lui) surabondance; mais à celui qui n’a pas, on lui ôtera même ce qu’il a.
Et ce serviteur inutile, jetez-le dans les ténèbres extérieures: là il y aura les pleurs et le grincement de dents.
(Évangile selon Saint Matthieu, chapitre 25, texte intégral)
Fichtre.
La parabole des talents, comme on l’appelle dans le milieu, est bien sûr une façon d’illustrer l’obligation des hommes de ne pas gâcher les dons qu’ils ont reçus de Dieu, de les faire fructifier pour embellir leur royaume, et donc par ricochet, d’accroître la gloire de Dieu.
(un Dieu qui règne sur un royaume riche et florissant, ça a quand même plus de gueule qu’un Dieu régnant sur une poignée de pécores crotteux)
Le message, explicité ainsi, peut paraître louable: toujours se dépasser, prendre des risques, accomplir de grandes choses, etc, etc.
(c’est tellement beau, ça pourrait même faire la couv’ de Psychologies Magazine)
Oui, mais voilà.
D’abord, ici, le maître est un gros abruti. Il ne dit pas à ses serviteurs ce qu’il attend d’eux: à eux de faire les bons choix, sinon gare à son courroux. On connaît méthodes d’apprentissage plus efficaces…
Ensuite, en ne donnant pas la même mise de départ à chacun, il traite ses serviteurs de façon inéquitable et les met en concurrence de façon déloyale… ce n’est pas ma conception du « maître » idéal!
(ou, dans un langage plus adapté aux mœurs contemporaines, du « patron » ou du « chef » idéal)
Au passage, il traite le troisième serviteur de « fainéant », alors que lui-même n’est pas ce que l’on peut appeler un modèle de travail, se contentant de faire fructifier son patrimoine…
Enfin, la parabole est faussée: aucun des deux serviteurs ayant tenté de placer leur argent ne perd sa mise. Au contraire, ils doublent tous les deux l’argent investi, ce qui ferait rougir d’envie même les traders les plus expérimentés… Comment aurait réagi le maître si l’un des serviteurs lui avait annoncé qu’il avait placé son argent, mais que les aléas du marché lui avait fait tout perdre? Magnanime, aurait-il loué la prise de risques ou, au contraire, aurait-il condamné fermement celui qui a eu la mauvaise idée de perdre son argent?
(mon petit doigt me dit que la seconde option est la bonne)
Bref, je n’adhère pas vraiment au message véhiculé par cette parabole…
En attendant, c’est ce passage qui donna au mot « talent » le sens qu’on lui connaît aujourd’hui, à savoir une « aptitude particulière dans une activité humaine »!
Il inspira également le nom donné à un phénomène sociologique bien connu: l’effet Matthieu, désignant « les mécanismes par lesquels les plus favorisés tendent à accroître leur avantage sur les autres »…
Pour approfondir…
Sur le mot talent : un court récap publié sur etudes-litteraires
Sur la parabole des talents : une analyse chrétienne du texte à lire ici
Sur l’effet Matthieu : un excellent article à lire… là!
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Comme d’hab, fan de vos articles.
Par contre, je ne vous rejoins pas sur un point. Certes les talents attribués par le maître ne sont pas égaux, mais c’est justement le but.
La métaphore explique qu’il faut fructifier ses dons, comme vous l’avez dit, mais justement: nous ne naissons pas tous égaux. Nous ne sommes pas capables des mêmes choses. Vous, vous êtes doué pour la pédagogie, moi, pas du tout. Certains sont doués pour la musique, la danse, le sport, d’autres pour les langues, la peinture…Je pense que la morale s’illustre aussi à travers ça. Même si nous ne sommes pas tous égaux face aux « dons reçus » (grosses guillemets, hein) il faut savoir tirer profit de ce dont nous disposons.
Si le maître réagit ainsi , c’est justement car le serviteur a préféré garder ce qu’il avait reçu, de peur de le perde. Pour certains c’est de la sagesse, de la prudence (car certains ont du mal à se détacher de l’image de la parabole, l’argent. A rappeler qu’ici on parle de capacité innée qu’on peut difficilement perdre en usant…), pour d’autres de la stupidité, car garder pour soi quelque chose que l’on sait faire, c’est prendre le risque de le perdre de toute façon, car chose qui n’est pas entretenue est chose perdue (vous me suivez? c’est compliqué, ce qu’il se passe dans ma tête).
Or, prendre le risque de jouer ses talents, aurait été, pour le serviteur, une façon d’utiliser ce qu’il avait reçu. C’est mieux que de ne rien en faire, non? Même s’il n’aurait pas développer ses capacités, elles auraient au moins été mise à profit, et qui sait à qui cela peut profiter?
En tout cas, super article, merci pour vos sources. J’attends impatiemment les prochains 😀
Hm.. Monsieur prend position et tacle Philo le mag?
Bonjour, je suis habitué a dévorer vos articles, mais pour le coup votre interprétation est simpliste, erronée et décevante… Vous êtes a l’évidence une personne cultivée et lectrice, mais vous avez aussi (malheureusement (car le sentiment antireligieux moderne est plus dû a un conformisme qu’a une véritable connaissance du sujet)) l’air d’avoir une dent contre la religion.
Cette parabole, comme d’autres, ne fait pas référence à un enrichissement financier, mais spirituel, il s’agit de « porter du fruit », expression biblique qui n’a rien a voir avec le pécule.
L’Evangile, et plus largement la Bible, a une véritable haine de l’argent en tant fin en soit. Dans l’épître a Timothée on peut par exemple lire que « l’amour de l’argent est la racine de tous les maux » ou alors
1 Timothée 6:9,10
Mais ceux qui veulent s’enrichir tombent dans la tentation, dans le piège, et dans beaucoup de désirs insensés et pernicieux qui plongent les hommes dans la ruine et la perdition
Et une dernière pour la route
A vous maintenant, riches! Pleurez et gémissez, à cause des malheurs qui viendront sur vous. 2Vos richesses sont pourries, et vos vêtements sont rongés par les teignes. 3Votre or et votre argent sont rouillés; et leur rouille s’élèvera en témoignage contre vous, et dévorera vos chairs comme un feu. Vous avez amassé des trésors dans les derniers jours! 4Voici, le salaire des ouvriers qui ont moissonné vos champs, et dont vous les avez frustrés, crie, et les cris des moissonneurs sont parvenus jusqu’aux oreilles du Seigneur des armées. 5
La Bible ça n’est pas n’importe que livre. C’est un très gros et très vieux livre. On ne peut pas en tirer un passage et en faire dire ce que l’on veut sans comprendre l’esprit du livre, ça amène forcément a des erreurs de compréhension comme ici. J’espère que vous comprenez ce que j’essaie de dire. Je vous souhaite une très bonne journée 🙂
« La Bible ça n’est pas n’importe que livre. C’est un très gros et très vieux livre. On ne peut pas en tirer un passage et en faire dire ce que l’on veut sans comprendre l’esprit du livre, ça amène forcément a des erreurs de compréhension comme ici »
Et donc, ce très gros livre contient tout et n’importe quoi, et le n’importe quoi s’excuse derrière le tout, qui serait son esprit.
Reste que la parabole des talents est là avec ses mots, ses traductions, et revient au final à dire ce qui est dit ici. Elle n’en finit pas d’irriter ceux qui entendent par ailleurs l’esprit mais qui chaque fois trouvent tant de passages contradictoires de l’esprit général dans ce très gros livre, et qui ont beau fouiller l’étymologie, sont bien obligés de confronter la triste réalité, l’esprit général n’y est pas, le texte dit pleinement ce que ses mots disent. Alors l’excuse n’est pas suffisante, il faut passer par la cécité intellectuelle pour passer dessus la signification et intimer l’ordre aux autres de se plier à l’idée que l’esprit général vient excuser le détail.
Je viens tout juste de découvrir votre site et j’aime beaucoup vos articles (bien que sur celui ci je suis d’accord avec certains commentaires, disant que votre interprétation ne considére pas le contenu de la Bible entièrement )
Je viens aussi de découvrir votre site et me voici sage pour quelques soirées à lire vos articles (non, j’ai encore trop de bouquins qui attendent 🙂 Mais je reviendrai!)
J’ai apprécié l’humour de cet article-ci (bien sûr, la compréhension de la Bible est vaste et ,qui plus est, est une traduction de traduction…).
Voilà, je cherchais un article sur Léopoldine, la fille de Victor Hugo, et j’apprends qu’elle est morte noyée! Hein Quoi!? Mais on m’a toujours dit que c’était de maladie! Je n’en reviens pas!
Merci pour votre site, bonne continuation!