[Court-métrage] Une journée avec elle, de Max René
Il y a trois ans, je publiais un article sur Sans contact, un court métrage de Max René, filmé au téléphone portable, et dans lequel son auteur partait à la recherche d’une inconnue croisée dans un bar parisien. Aujourd’hui, j’aimerai écrire à propos d’une nouvelle quête de son auteur, d’un nouveau journal filmé réalisé en 2011 : Une Journée avec elle.
Les deux films s’inscrivent dans ce que Max René appelle « La trilogie des films de voyage » (1). C’est-à-dire qu’au gré de ses déplacements, il vit, rencontre et filme. Et il semblerait que cela soit devenu habituel dans sa démarche : « Je ne me déplace jamais sans un appareil qui soit susceptible d’enregistrer ou de photographier. Non pas que je sois à la recherche d’un moment magique mais après tout, on ne sait jamais, la vie vaut le coup d’œil! ».
Max René s’approprie le journal filmé, ce genre libre plaçant le cinéaste au cœur de son récit, à la première personne de son propre film. Cette trilogie marque sa première tentative de « filmeur » (2), une série de films marquée par la présence de femmes, de villes, de voyages…
L’utilisation du matériel léger, du numérique et, ici aussi, de la pellicule Super 8 (qu’il affectionne tant), est une pratique logique à la mobilité qui fait son cadre de tournage. Et Max est, en quelques sortes, un amoureux des images impropres. Il leur trouve « un charme impressionniste, une texture presque organique ». Dans tous ses films, la matière visuelle travaille de paire avec le propos, l’humain – la matière vivante – au centre de tout. (3)
« Je ne me déplace jamais sans un appareil qui soit susceptible d’enregistrer ou de photographier. Non pas que je sois à la recherche d’un moment magique mais après tout, on ne sait jamais, la vie vaut le coup d’œil! »
Une Journée avec Elle, c’est encore une histoire d’amour impossible, tentative de communion platonique d’un couple, d’un amour plus grand que celui de la passion. C’est un peu ce qu’exprimait Sans contact par l’absence. Dans Une Journée avec elle, même la présence ne règle pas le problème de l’incommunicabilité, le mutisme des personnages sur leur capacité à voir en est une autre expression. C’est dans le non-dit, dans le simple fait de l’expérience, du présent, que tout devient vrai.
Fiction et réalité
Habituellement, je ne suis pas d’avis à chercher dans un film la part du vrai et du faux. Bien que la poïétique (4) d’une œuvre se révèle toujours intéressante. Mais ici, je me suis interrogée…
En premier lieu, Max ne devient pas aveugle. Je le connais et il va très bien. Il s’agit d’une astuce de mise en scène qui confronte les vues abîmées, troublées des deux protagonistes à l’écran. Et même si la voix du narrateur nous place plutôt de son côté (gauche du split-screen), nous sommes les spectateurs d’une double subjectivité.
Cette cécité du regard handicapant les deux personnages (cécités différentes et pourtant mutisme réciproque) mène le film d’un bout à l’autre. C’est l’expression même de la peur, ce sentiment obscur qui nous empêche continuellement de vivre le bonheur et l’amour de façon totale. C’est aussi certainement la plus grande peur du « filmeur », celle de perdre la vue, la capacité à voir. (5) Et « voir », ce n’est pas qu’une question de vue… il s’agit de « vision ». C’est cette vision qu’il faut atteindre pour trouver « l’autre », dépasser sa propre peur, et voir le véritable amour.
La séparation de l’écran (split-screen) marque la séparation physique des corps et la frontière mutique qui les empêche de se (re)joindre. Car la seule unité du film, repose sur ce film en super 8 qu’il a fait d’elle, auquel nous assistons au début comme à un mystère, et qui se livre à nous, à la fin, comme une libération. Leur amour impossible s’est réalisé grâce au film, le moyen pour un cinéaste de voir mieux, de transcender toutes ses peurs. Mais aussi un moyen mémoriel de pouvoir revivre à l’infini ce qui s’échappe si vite le temps d’une journée. Tout comme dans Sans contact, le film, l’acte de filmer est prépondérant, comme l’unique témoin d’un réel incontrôlable. Finalement, le personnage principal de ces films, c’est surtout le film lui-même (« la matière filmique » comme dirait Max René).
Car la seule unité du film, repose sur ce film en super 8 qu’il a fait d’elle, auquel nous assistons au début comme à un mystère, et qui se livre à nous, à la fin, comme une libération.
Et puis, la ville. Cette construction. Attentive au générique (qui révèle parfois certains secrets dans les films de Max René), les lieux et jours de tournages m’ont intriguée. Le réalisateur me l’a confirmé, la majorité du film a été tourné à Marseille et à Lyon, et on peut y trouver certains plans de Lille, Luxembourg ou Paris. Son idée était de construire une ville imaginaire, presque parfaite sur un plan urbanistique, une cité vallonnée faite d’eau, de nature, de soleil et d’art. Cette ville qui lui ressemble, Elle, l’énigme dont nous survolons la mystérieuse perfection.
Et puis, j’avais comme la sensation, à la lecture du film, de voir deux femmes différentes à l’image. Entre les fragments Super 8 et les vues subjectives numériques, en y regardant de près, quelque chose ne collait pas. Et deux noms apparaissent sur le générique de fin, deux Marjorie. « La majorité du film s’est tourné durant un voyage en deux temps que j’effectuais entre Lyon et Marseille. Et le hasard me faisait rencontrer deux amies du même prénom. Je ne le ai pas inventées, elles existent, mais elles ne forment plus qu’un dans le film. »
Et pourtant, parfois il devient impossible de savoir ce qui est vrai ou faux, ce qu’il a fabriqué, fantasmé… C’est le propre du travail de Max René, perturber l’identité de son œuvre, la frontière sensible entre le réel, la fiction et la forme documentaire. À mon sens, c’est pour lui le meilleur moyen d’atteindre l’intime, thème fondamental inhérent à sa démarche. Et de revoir toute la question de la subjectivité de l’image, qu’il s’agisse de celle du spectateur ou de celle du réalisateur lui-même. (6)
Son idée était de construire une ville imaginaire, presque parfaite sur un plan urbanistique, une cité vallonnée faite d’eau, de nature, de soleil et d’art.
Par exemple, j’ai mis un moment à remarquer une chose troublante, les deux premiers films de cette trilogie se déroulent le 7 mars. Max s’explique : « J’ai moi-même découvert assez tard cette coïncidence (car il s’agit bien d’une coïncidence). Alors j’ai décidé de la placer dans le film. […] La vie nous réserve des surprises, certains diront des signes… » À un an d’intervalle, jour pour jour, Max filme ces deux histoires que sont Sans contact et Une Journée avec Elle. Rien, cette fois n’aurait été prémédité ou monté, c’est le simple fait, encore une fois, du hasard. Max a cette capacité de savoir saisir les instants magiques et d’en user à son avantage.
Voilà ce que j’aime dans le cinéma de Max René, cette aptitude à laisser les films, dans leur histoire et leur texture, vous emporter. Ni comme des films auxquels vous seriez contraints à investir le récit pour y croire, ni non plus comme des films face auxquels vous vous sentiriez totalement objectifs. Il s’agit de films mentaux, non-hermétiques, justement perméables à toutes les interprétations de la vie et de l’imaginaire. Le genre d’histoires dans lesquelles tout le monde se retrouve un peu. (7)
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Notes
(1) Le dernier volet de la trilogie (Where are you Marilyn?) devrait sortir prochainement.
(2) Terme inventé par Alain Cavalier pour définir un incessant capteur de réel, un cinéaste (du) quotidien.
(3) Pour Ex Machina, son premier court métrage, il me parlait de peau, pour Sans contact, de matière mémorielle… Son approche indéniablement plastique du cinéma le place comme un fabriquant d’image tout particulier, une sorte de croisement cinématographique entre Bacon et Renoir.
(4) Etude des processus de création et du rapport de l’auteur à l’œuvre.
(5) Le film est dédié à Johan van Der Keuken et Noshka Van Der Lely (femme du cinéaste). Lorsque j’ai interrogé Max René sur cette dédicace, il m’a répondu: « Van der Keuken a changé radicalement ma façon de voir et de faire des images. Et je me souviens encore de la sensation très forte que j’ai ressenti en voyant Face Value pour la première fois. Et puis, quand j’ai découvert comment il travaillait avec sa femme sur ses films, je suis tombé amoureux de cette relation qu’ils avaient. » Lorsque l’on voit la scène d’introduction de Face Value, on comprend tout de suite le lien qui unit Max René à Van der Keuken: l’acte de voir comme une nécessité.
(6) Ayant eu la chance de voir une première version de Where are you Marilyn?, je peux maintenant confirmer que Max René est engagé dans une réflexion autour du journal filmé. Le dernier film de la trilogie est comme la cristallisation de cette notion de réinterprétation des mondes; mondes intérieurs et extérieurs, imaginaires et réels, absents de corps et chargés d’architectures… C’est également l’aboutissement d’une première réflexion autour du langage, du regard, de l’image… Beaucoup de choses sont donc encore à écrire autour de cette trilogie, comme le rapport du texte à l’écran, les différentes implications du « je », la dimension évolutive du cadre, de la narration… Mais je réserve justement tout cela pour le prochain article… à suivre!
(7) Actuellement, Max René travaille à la réalisation d’une nouvelle trilogie de journaux filmés…
Cet article a été réalisé suite à un entretien que j’ai pu avoir avec Max René.
Avec son accord, j’ai pu poser sur le papier et synthétiser sur ces pages ma propre analyse mêlée à nos échanges.
Captures écran d’Une journée avec elle, Max René
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Djinnzz
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L’article donne vraiment envie, on s’attend à quelque chose d’exceptionnel et… on regarde le film et… c’est le drame…
J’ai pas du tout accroché pour ma part
J’ai trouvé l’article et le film très beaux. Tendre, intime et poétique…
je vais me renseigner sur ce réalisateur. Merci pour la découverte!
Pareil.
C’est du cinéma intellectuel, ça change des sorties ciné surmédiatisées et vides de sens… Une belle découverte!
Ce qui me fait marrer, c’est qu’on a l’impression en lisant l’article que Max René est une star du ciné, et qu’on on tape son nom sur Gogole, c’est le vide intersidéral… (sa page Allociné est très vide!)
Sinon, je peux pas être objectif, ça m’a soulé au bout de 2 minutes (genre une intro en écran noir pendant 1 minute 30, autant faire de la radio et pas du cinéma)
Raj, ce n’est pas parce qu’un réalisateur n’est pas une star d’Hollywood que l’on n’a pas le droit de parler de lui. C’est la puissance d’internet de pouvoir permettre ce genre de diffusions d’un projet qui nous tient à coeur.
Si ce type de cinéma ne vous convient pas, tant pis et ce n’est pas grave. Mais ne dénigrez pas pour autant son auteur! Avec un raisonnement comme le vôtre, on en vient à ne créer uniquement des oeuvres adaptées et formatées au grand public, c’est à dire du pur « divertissement » (qui ne divertissent pas à mon avis mais plutôt abrutissent). Il n’y a qu’à voir 99% des 350 chaînes de télé du câble ou du satellite qui diffusent en boucle des épisodes de Joséphine Ange-Gardien ou des Experts Miami…
Heureusement que certains gens de talent ont l’envie et le courage de sortir des sentiers battus.
Pour ma part, j’y retrouve un certain style contemplatif à la mode asiatique, façon Kim Ki-duk, et en même temps une inspiration très « Nouvelle Vague ». Sans être un chef-d’oeuvre, je vous l’accorde (encore que, pour en juger, il faudrait visionner l’ensemble du triptyque en cours de réalisation d’après l’article, ce genre d’oeuvres ne pouvant souvent être comprise que dans leur intégralité), c’est du bon cinéma d’art et d’essai.
Bof, bof…
Excellente lecture, merci beaucoup !!!