[Analyse d’une œuvre] Whaam! de Roy Lichtenstein (1963)
Roy Fox Lichtenstein (1923 – 1997), fait partie de ces artistes qu’on aime ou qu’on déteste. Dans la plus pure tradition du Pop Art, il s’inspire des codes de la publicité et des bandes dessinées pour produire ses œuvres. Vous savez, le Pop Art, ou « Art populaire », ce courant artistique qui met en avant les objets de la vie quotidienne pour les sublimer – et écorner un peu au passage la société de consommation (ça fait cliché dit comme ça, mais l’intention est louable!).
Bon, que les choses soient claires entre nous. J’ai déjà eu l’occasion de vous l’expliquer, je n’aime pas l’art contemporain (mince, on dirait Schtroumpf Grognon, mais j’assume). Mais ce tableau de Roy Lichtenstein, j’aime bien. Et je vous explique pourquoi!
En 1963, Roy Lichtenstein lit une bande dessinée nommée All American Men of War dans laquelle il est question de guerre, de patriotisme américain exacerbé (comme toujours) et de combats aériens. Une planche attire particulièrement son attention et il décide de la copier de s’en inspirer pour créer WHAAM!, qui deviendra son œuvre la plus célèbre.
Parce que la taille, ça compte (si, si), l’artiste choisit un format gigantesque: 4 mètres de large par 1 mètre 70 de haut, divisé en deux panneaux de taille identique (les malvoyants le remercient).
Sur le tableau de gauche, un avion de l’US Air Force. Une bulle nous apprend les pensées du pilote de l’avion. « I pressed the Fire control… and ahead of me the rockets blazed through the sky », « J’ai pressé le bouton de tir… et devant moi les roquettes fendaient les airs ».
Sur le tableau de droite, un avion ennemi, en train d’exploser. Le WHAAM! écrit en lettres démesurées sonne comme une épitaphe pour le pilote en perdition. L’explosion est belle, presque hypnotique. Les flammes rouges et jaunes sont déposées en aplats et réhaussées d’un liserai noir. La légèreté du dessin pour exprimer la violence… le contraste est saisissant.
Vive la guerre! Vive la mort! Vive l’Amérique! semble dire le diptyque. La violence est ici édulcorée, on ne FAIT pas la guerre, on JOUE à la guerre, à grand coup de WHAAM, de SHEBAM, de POW, de BLOP et de WIZZ…
Les techniques propres à la bande dessinée sont respectées par l’artiste: trait noir pour le contour des formes, trame en pointillés (l’artiste s’est servi d’une brosse appliquée à travers une grille pour donner l’effet propre aux vieilles BD tirées à bon marché). Lichtenstein utilise du Magna, une marque de peinture acrylique à la texture très lisse qui s’efface facilement et sans faire de trace avec de l’essence de térébenthine, permettant ainsi de corriger facilement les imperfections. Il dira plus tard de son travail: « Je pense que mon travail est différent de la bande dessinée, mais je n’appellerais pas ça une « transformation » ; quoi qu’il signifie, je ne pense pas que ce soit important pour l’art ». Mouais, fausse modestie si vous voulez mon avis.
La bulle en haut à gauche du tableau nous permet de comprendre le vrai but recherché par l’artiste. Étrangement, en lisant ces quelques mots, je ne peux pas m’empêcher de penser à l’incipit de L’Etranger de Camus:
Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J’ai reçu un télégramme de l’asile : « Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués. » Cela ne veut rien dire. C’était peut-être hier.
L’asile de vieillards est à Marengo, à quatre-vingts kilomètres d’Alger. Je prendrai l’autobus à deux heures et j’arriverai dans l’après-midi. Ainsi, je pourrai veiller et je rentrerai demain soir. J’ai demandé deux jours de congé à mon patron et il ne pouvait pas me les refuser avec une excuse pareille. Mais il n’avait pas l’air content. Je lui ai même dit : « Ce n’est pas de ma faute. » Il n’a pas répondu. (…) Après l’enterrement, au contraire, ce sera une affaire classée et tout aura revêtu une allure plus officielle.
Et, durant encore de longues pages encore, le narrateur se contente de relater ses actions de façon impersonnelle. Aucune émotion, aucune empathie face à la mort de sa maman. Et donc, forcément, Camus suscite incompréhension et malaise chez le lecteur. Le même procédé est ici utilisé par Roy Lichtenstein… à la différence près que l’artiste a repris à la virgule près le texte présent dans la bande dessinée d’origine! Et, au fond, qu’une telle banalisation de la violence, qu’une telle froideur, soient lues quotidiennement par des millions de bambins, c’est sûrement ça le plus inquiétant…
Roy Lichtenstein fut accusé de plagiat et, d’une certaine façon, cette accusation est fondée. Mais, paradoxalement, c’est justement là que réside le génie de l’artiste. Reproduire une planche destinée initialement aux bambins et, par un traitement graphique particulier, en faire ressortir un message politique fort et susciter le malaise chez le spectateur. « Plus mon travail est fidèle à l’original, plus il est critique et lourd de sens » déclarera-t-il pour faire taire les critiques. Chapeau l’artiste.
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Djinnzz
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Vos « analyses d’une oeuvre » sont toujours un régal à lire.
Merci pour tout!
J’avais déjà vu ce tableau sans en penser grand chose.
Grâce à vous, mon regard a changé!
C’est ouf tout ce qu’on peut dire sur un simple tableau.
bonsoir palaouf, moi aussi, je suis actuellement en art plastiques, et je prends de grands risques des vous ecrire, bref, chere palaouf, votre commentaire m’a changé la vie, j’ai adoré l’ecriture, je suis fan!!! merci pour tout, c’etait ouff!!
L’artiste Richard Prince est en train d’utiliser le même procédé et fait sensation (ou du moins suscite le débat).
Aujourd’hui, ce n’est plus la bande dessinée qui est populaire, c’est les réseaux sociaux, dont Instagram.
Il a volé des clichés mis en ligne par des utilisateurs et en a fait des tirages papier qu’il met en vente 100.000$
http://www.lexpress.fr/culture/des-cliches-voles-sur-instagram-vendus-100-000-dollars-dans-une-galerie_1682246.html
Je découvre ce site via La chaîne Youtube.
il y a vraiment de tout, c’est très intéressant et surtout facile à lire.
Je suis déjà fan 🙂
Dans votre analyse vous parlez d’un avion ennemi abattu par l’avion americain
or l’avion de droite est un autre avion américain c’est un f-86 sabre
Sur la BD l’avion abattu est un mig-17:avion soviétique et l’avion américain un f-86!
bonjour a tous je voulais vous dire que cette oeuvre n’est pas belle et qu’elle ne merite aucune vue grace a mon hack je vais detruire ou decomposer comme vous le voulais ce cite merci pour les petit commentaires je sais que je suis une star bisous sur votre pied 😉