La Tour de Babel
Le tableau de Bruegel l’Ancien, peint en 1564, représente une vision pour le moins particulière du mythe de la Tour de Babel ! Comme souvent chez cet artiste, le diable se cache dans les détails…
Si vous en avez l’occasion, courez voir ce tableau hors du commun au musée d’Histoire de l’art de Vienne (Autriche) ! Mais si la perspective de parcourir plusieurs centaines de kilomètres pour admirer un tableau ne vous enchante guère, la suite devrait vous intéresser…
Ce qu’en dit la Bible
La légende de la Tour de Babel est racontée dans la Genèse, premier livre composant l’Ancien Testament. Les Babyloniens, dirigés par le roi Nemrod, entreprennent la construction d’une gigantesque tour dont l’ambition est d’aller côtoyer les cieux. Mais ce chantier est vécu par Dieu comme un véritable affront ! Afin de remettre les hommes à leur place, il détruit la tour. Et pour éviter qu’un tel projet puisse de nouveau voir le jour, il crée la « confusion » des langues : dès lors, chaque peuple aura sa propre langue et les hommes ne sauront plus communiquer entre eux.
Analyse de l’œuvre
La tour de Babel a nourri l’imagination des artistes depuis des siècles ! C’est Jan van Scorel, en 1520, qui fut le premier à l’imaginer de forme circulaire, avec un cheminement en spirale pour accéder au sommet. Bruegel – et d’autres après lui – semblent s’en être inspiré…
Quand on la regarde de près, on se rend compte que l’architecture de la tour est absurde : des couloirs ne débouchent sur rien, des pans de murs sont placés anarchiquement, les matériaux de construction ne sont pas les mêmes d’un côté ou de l’autre (briques et pierres taillées sont utilisées indifféremment), etc. En somme, seule compte la finalité du projet : accéder aux cieux !
La tour est bâtie selon des cercles concentriques qui s’empilent les uns sur les autres. Est-ce un clin d’œil aux neuf cercles de l’Enfer de la Divine Comédie (1321) de Dante ou une simple coïncidence ? Difficile d’en être sûr !
L’interprétation de Bruegel
Un peu comme dans son tableau sur le mythe d’Icare (La Chute d’Icare, 1558) dans lequel le héros tombe à la mer sous l’œil paisible d’un berger, le peintre gomme ici encore l’aspect tragique de l’histoire. Les hommes vaquent paisiblement à leurs occupations, les navires continuent leurs activités commerciales tandis que prospère la ville en arrière-plan. Au milieu de ce paysage calme et bucolique, qui devinerait que la tour en construction va bientôt tomber ?
On remarque tout de suite dans l’œuvre de Bruegel l’avancement anarchique des travaux : des pans de murs entiers restent inachevés, sans soutiens. Pire ! Les étages supérieurs sont construits avant même d’avoir consolidé les fondations, encore à l’état de chantier à certains endroits. Dans leur précipitation pour accéder aux cieux, les hommes en oublient l’essentiel et s’apprêtent à en payer le prix…
Ce qu’on retiendra surtout, c’est cette effervescence des hommes : le tableau grouille de vie et chaque petite scène de travail représente des techniques de construction pratiquées à l’époque. On peut par exemple voir des hommes actionner une énorme roue en marchant à l’intérieur pour élever de lourdes pierres : il s’agit d’une « cage à écureuil », une machine de levage régulièrement utilisée pour bâtir les cathédrales, par exemple.
Bruegel, un Diderot avant l’heure ? Oui, sans aucun doute… il fera d’ailleurs de nouveau preuve de cette volonté « encyclopédique » dans son tableau Le Dénombrement de Béthléem qui fourmille lui aussi de détails, sur les différents métiers d’artisanat cette fois.
En premier plan, Nemrod contrôle l’avancement des travaux aux côtés d’un architecte à la tête ronde et caricaturale. Le roi reçoit un hommage appuyé de certains tailleurs de pierre qui s’agenouillent devant lui. Cette tradition, qui n’existe bien sûr pas en Europe, est utilisée intelligemment par l’artiste pour rappeler les origines orientales du mythe.
Eh oui, l’histoire de la Tour de Babel se passe en Babylone, c’est à dire dans l’Irak actuelle. Pourtant, le paysage du tableau de Bruegel est loin d’être irakien ! Le peintre a effectivement choisi de situer son tableau dans les Flandres, probablement à Anvers, peut-être pour adresser une sorte de mise en garde à l’attention du gouvernement de son pays, à l’économie florissante : « rappelez-vous de la Tour de Babel ! », semble-t-il dire…
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Djinnzz
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Gare aux réactions partisanes ! Les questions sur la prétention des Hommes et leur volonté de faire des choses légèrement incontrôlables, ou qui les dépassent est toujours d’actualité (bioéthique, nucléaire blablabla). Et vouloir que les Hommes restent à leur place ne veut pas forcément dire que Dieu voudrait les garder dans l’ignorance (il y a même des éléments qui tendent à suggérer le contraire, mais je ne connais pas trop, et c’et pas le sujet). Et puis ce serait encore une fois représenter Dieu comme un humain qui aurait des sentiments et donc une absence de « fair-play » (on est censé être à son image, mais pas forcément physiquement, et l’inverse n’est pas dit).
Comme vous dites, les voies du Seigneur sont impénétrables !
Pour le reste, encore un bel article, et ça fait du bien de voir que des gens oeuvrent pour la culture et la connaissance (je tenais à le dire pour mon premier commentaire ici).
( Je suis pas du tout religieux, patapay § )
Tu as tellement raison , société corrompue jusqu’à la moille !!! Honte à ce monde empli d’Homme Puérile , brulez tous au tant que vous êtes
Bonjour ChoseTruc (je l’aime bien, ce pseudo)!
Je suis assez d’accord avec votre analyse.
Parfois, insérer un peu de provoc’ dans un article n’est pas un mal pour susciter le débat! 🙂
Je tiens à préciser que je respecte énormément la religion (j’ai même une croix autour du cou – si ça c’est pas une preuve 🙂 ).
Par contre, force m’est de constater que les textes sacrés (notamment l’Ancien Testament), s’ils sont pris au pied de la lettre, présentent souvent le Seigneur
comme un Dieu vengeur, manipulateur et mysogyne…
Concernant le débat sur l’avancée technologique, je suis également assez d’accord avec vous, et je reprendrais la célèbre citation de Rabelais, étonnament lucide pour l’époque (XVIè siècle):
« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme »
En tout cas, merci pour vos compliments – ça motive! 🙂
Et j’espère à bientôt dans les commentaires! (on peut se tutoyer, d’ailleurs…)
Bonjour,
Je vais y aller moi aussi de ma petite considération sur la chose, au risque de me voir un jour refuser l’accès aux commentaires tant je t’aurais cassé les pieds avec mes blabla…
Le dessein divin de vouloir garder les hommes dans l’ignorance ne serait peut-être pas ma lecture personnelle du texte aussi. Dans l’épisode de la Tour de Babel, ce serait plutôt du péché d’orgueil que Dieu cherche à éloigner les hommes. L’humilité ne doit peut-être pas être observée uniquement envers Dieu même. Le châtiment sera de forcer l’humanité à s’exprimer dans des langues différentes, et ce qui est dans un premier temps une sentence dramatique pour ces humains frappés de l’incompréhension face à autrui qui s’exprime alors par babillages et barbarismes (étymologie, quand tu nous tiens…), je préfère lire une leçon humaniste.
La pluralité des langues et des cultures qui en découlent* n’est-elle pas une invitation à découvrir ces autres dans leurs ressemblances (nous sommes tous des enfants de Dieu, tous unis par le même désir de transcendance) et leurs dissemblances avec nous? C’est une lecture personnelle, mais j’aime bien voir le côté positif et humaniste des choses.
D’ailleurs Djinnzz, encore une fois tu t’es débrouillé pour nous faire un article en accord avec mes révisions et l’article en préparation du jour, ou du week-end, la mini féria de mon village à débuté et je ne pense pas arriver à jouer l’ermite devant sont pc ce soir… Aujourd’hui je bossais sur les programmes de seconde en LEP et justement je me penchait sur tout ça; langues et cultures, l’Humanisme, Erasme et la langue du latin comme conjuration de l’épisode de la Tour de Babel…
Enfin, faut vraiment que t’arrêtes de jouer les télépathes, télé-pâtes ou télé-spaghetti (Désolée…fallait que je le sorte mon jeu de mots pourri du jour 🙂 )
Après, je suis tout à fait d’accord, mieux vaut ne pas prendre les écrits à la lettre et y voir plutôt un recueil de sagesses. Mais bon, je vous épargnerai mes considérations personnelles et philosophiques sur les textes sacrés.
Allez @+++
*Pour ceux qui sont intéressés par ce problème des liens qui unissent les langues et les cultures, je vous invite à lire cet article disponible sur erudit.org : “Les rapports entre la langue et la culture” de José Mailhot. http://www.erudit.org/revue/meta/1969/v14/n4/003540ar.pdf
C’est pas le meilleure site pour le explication sur la tour mais bon vous avez fait de votre mieux. Je suis quand même satisfaite du site 😉 .
En faite j’avait besoin de savoir beaucoup de chose car je suis en 5ème et je travaille sur les peintres. Ce site ma un petit peux aider mais pas beaucoup. 😐
je suggère que vous devriez améliorer votre suite. 🙂
Ah ah ah!
Se faire retoquer par une gamine de 12 ans: Fait.
A mourir de rire! 🙂
Ça va, je le vis bien 😉