Les fous rires inquiétants de Yué Minjun
Vous n’avez pas pu passer à côté de Yué Minjun, artiste chinois d’une cinquantaine d’années devenu célèbre en 1999 grâce à son exposition à la biennale de Venise.
La marque de fabrique de cet artiste hors norme? Le rire! Tous ses personnages arborent sans exception un visage souriant et radieux. Des condamnés placés en ligne face à un peloton d’exécution? Morts de rire! Un homme décapité tenant sa propre tête entre ses mains? Ah ha ah! Qu’est-ce qu’on se marre!
Mais, comme le laisse deviner le nom donné à l’exposition actuelle à la fondation Cartie qui lui est consacrée, L’Ombre du Fou Rire, un vrai malaise se cache derrière l’hilarité apparente. « On rit si souvent pour se dissocier. On paraît approuver, mais pour mieux dénoncer (comme le faisaient déjà les bouffons à la cour du Prince). Le rire est masque. Il est ainsi une stratégie du rire, en Chine, notamment du grand rire répété, à gorge déployée, haha xiao-xiao, dont la visée offensive est de décontenancer”, dixit François Jullien dans le catalogue de l’exposition (dont un extrait est consultable ici).
Execution, de Yué Minjun – tableau s’inscrivant en digne successeur du Tres de Mayo de Goya! L’artiste s’est toujours défendu de voir une analogie quelconque entre le mur rouge de son tableau et celui de la Tiananmen… par peur de la répression du Parti chinois, bien sûr
Derrière tous ces personnages qui se bidonnent se cachent donc une critique acerbe et à peine voilée de la société chinoise, passée et actuelle. Devant ce bonheur simulé, comment ne pas penser aux affiches de propagande de Mao? aux références à la révolution culturelle? à l’exil forcé de nombre de Chinois? C’est d’un passé douloureux dont il est question ici et l’artiste l’aborde avec pudeur et intelligence.
Yué Minjun, untitled, 1994 – Le céphalophore de l’artiste est sans doute son tableau le plus célèbre
Malheureusement, comme tous les artistes qui usent jusqu’à la corde un filon juteux, les sourires caractéristiques des toiles de Yué Minjun finissent par être bien prévisibles, voire lassants. Mais qu’importe. En adoptant un point de vue décalé et original, il a su viser juste, susciter la curiosité et, au final, provoquer l’émotion. Chapeau, l’artiste.
Envie d’en savoir plus? Vous avez jusqu’au 17 mars 2013 pour courir voir l’exposition L’ombre du Sourire à la Fondation Cartier pour l’art contemporain. Habitant en province, je n’aurai pas personnellement l’occasion d’aller la découvrir. Vos impressions dans les commentaires me feraient donc le plus grand plaisir!
Bystander, de Yué Minjun – un homme rit alors qu’il se noie sous le regard amusé des passagers d’un bateau qui le prennent en photo
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Je dois être un peu co-conne parce que j’en avais jamais entendu parler, moi, de ce Yué Minjun.
C’est vrai que le rire peut être une arme incroyable et permet de faire passer des messages « en douceur ». Ce Yué Minjun n’a donc rien inventé de ce côté-là.
Mais c’est vrai qu’il se dégage vraiment quelque chose de ses toiles. J’aime bien 🙂
C’est coloré, plein de vie… et ça parle pourtant de la mort. Une sorte d’oxymore en peinture, en somme! (t’as vu, moi aussi je connais des jolis mots! 😆 )
L’oxymore en peinture… J’aime bien, comme expression. Je retiens! 😉
Vous avez juste oublié de dire que les têtes qui rigolent sont un auto-portrait: l’artiste se représente lui-même dans ses toiles.
Bon article sinon
Il y a un juste point que je voudrais souligner. Yue Minjun est l’artiste asiatique le plus reconnu du 20è siècle. Il est considéré comme le principal acteur du réalisme cynique et a le record du tableau le plus chers acheté 4,2 millions d’euros.