À bord du Titanic: quand le destin joue des tours à ce pauvre Masabumi Hosono…
Vous souvenez-vous de Tsutomu Yamaguchi, le seul homme qui survécut à la fois au bombardement d’Hiroshima puis à celui de Nagasaki et qui fut élevé au rang de héros national? Eh bien, le Japonais dont nous allons parler aujourd’hui est à peu de choses près son antithèse absolue! Lui aussi survécut à une tragédie mondialement célèbre, mais contrairement à son compatriote, le Japon tout entier le couvrit d’opprobre lors de son retour au pays…
Masabumi Hosono (細野 正文 pour les intimes), c’est son nom, est un petit fonctionnaire parmi tant d’autres travaillant pour le ministère des transports japonais. Il a une quarantaine d’années lorsque, en 1910, son employeur l’envoie en Russie pour y étudier l’infrastructure ferroviaire du pays et, pourquoi pas, y trouver une source d’inspiration adaptable au Japon. Pendant deux ans, il travaille minutieusement pour mener à bien sa mission. Puis vient l’heure de rentrer au bercail. Il fait un crochet par Londres puis se rend à Southampton pour embarquer à bord… du Titanic! Nous sommes le 10 avril 1912 et Masabumi Hosono est le seul Japonais à embarquer sur le gigantesque et tristement célèbre navire.
« (…) lors d’un combat entre un bateau à 7.5 millions de dollars de l’époque et un iceberg, c’est toujours l’iceberg qui gagne. »
Point besoin de faire durer le suspense, la suite, tout le monde la connaît. Quatre jours plus tard, le commandant du Titanic démontre au monde entier que lors d’un combat entre un bateau à 7.5 millions de dollars de l’époque et un iceberg, c’est toujours l’iceberg qui gagne.
Masabumi Hosono, seul Japonais à bord du Titanic
1324 passagers et 889 membres d’équipage à bord, forcément, ça fait beaucoup de monde à sauver… Mission d’ailleurs quasi impossible quand on sait que la capacité des canots de sauvetage n’excède pas 1178 personnes au total. Pire! Dans la panique générale, la plupart des canots s’éloignent du navire en perdition à moitié vide… Le lecteur optimiste pensera néanmoins qu’ils étaient également à moitié pleins, ce qui est déjà pas mal.
Les femmes et les enfants d’abord!
À ce stade, il y a deux écoles:
– À bâbord, le capitaine Edward Smith et son second sont assez ouverts d’esprit. Même s’ils accordent la priorité aux femmes et aux enfants, bien sûr, ils acceptent toutefois que quelques hommes se faufilent sur les canots.
« Toute personne ayant le malheur de se balader avec une paire de testicules se voit invariablement refuser l’accès aux canots de sauvetage. »
– À tribord, le premier officier William Murdoch mène les opérations d’évacuation en appliquant sans aucune nuance la doctrine « les femmes et les enfants d’abord! ». Toute personne ayant le malheur de se balader avec une paire de testicules se voit invariablement refuser l’accès aux canots de sauvetage.
Masabumi Hosono n’a décidément pas de bol. Lui qui a cassé sa tirelire pour s’offrir un billet de deuxième classe, il se voit refuser l’accès au pont où s’organisent les opérations de sauvetage. La raison? Avec sa gueule de métèque aux yeux bridés, les membres de l’équipage sont persuadés qu’il fait en réalité partie des grouillots voyageant en troisième classe. Pas question de lui donner une chance de survivre en lui donnant accès aux canots!
Dans la cohue générale, il arrive tout de même à se faufiler sur le pont. Ouf! Enfin un peu d’air pur. Mais le fonctionnaire japonais n’est pas au bout de sa peine. Alors qu’il espère pouvoir embarquer sur un canot, il tombe nez à nez avec ce crétin de Murdoch qui lui en interdit l’accès! N’ayant pas le bon goût d’être ni une femme ni un enfant, il doit se préparer à faire le grand plongeon. Surtout, il doit se préparer à mourir.
La mort du Loup?
La scène est terrible, et Masabumi Hosono nous la décrit lui-même alors que, rescapé du naufrage, il rédige un courrier à son épouse bien aimée. En bon Japonais qui se respecte, il est bien décidé à mourir dignement, tel le loup dans le poème d’Alfred de Vigny. « Souffre et meurs sans parler. » Voilà un commandement qui lui semble tout à fait en accord avec la dignité japonaise.
Seul face à la mort, il est bientôt tiré de sa torpeur par le cri d’un officier: « Y’a de la place encore pour deux ici! » Aussitôt, il voit l’homme qui se tient à ses côtés se ruer sur le canot en question. Une dernière chance de survivre se présente maintenant et Masabumi Hosono compte bien la saisir. Peut-on décemment l’en blâmer? Par chance, l’officier a beaucoup à faire et ne fait pas attention à cet étrange Japonais qui prend place parmi les femmes et les enfants. Il faut dire que Masabumi prend soin de cacher son visage dans sa veste et regarde fixement par terre.
« Héroïques, les huit musiciens attendront l’ultime instant avant d’arrêter de jouer. Pour le moment, Masabumi Hosono n’en a cure, car il est en vie. »
Tandis que le canot de survie numéro 10 s’éloigne doucement du Titanic, une oreille attentive pourrait entendre la musique mélodieuse de l’orchestre du paquebot parmi les cris de douleur et de détresse de la foule. Héroïques, les huit musiciens attendront l’ultime instant avant d’arrêter de jouer. Pour le moment, Masabumi Hosono n’en a cure, car il est en vie. Avec un peu de chance, il pourra bientôt serrer dans ses bras sa chère épouse et ses enfants qui l’attendent impatiemment chez lui. Bientôt. Il est deux heures du matin et le fonctionnaire japonais dérive sur un canot de fortune au milieu de l’océan. Tout autour de lui flottent débris et cadavres.
Un canot de sauvetage, photo prise depuis le navire de secours le Carpathia. (photo d’époque)
Plus de six heures plus tard, le Carpathia arrive sur les lieux du drame et récupère les rescapés. La fin du calvaire pour Masabumi Hosono? Non! Ne vous réjouissez pas trop vite car celui-ci ne fait que commencer…
Retour controversé au Japon
Tout se passe plutôt bien durant les premières semaines consécutives au drame. Il fait d’abord escale à New York, puis à San Francisco où des reporters locaux s’intéressent à son histoire, lui l’unique Japonais à bord du Titanic. Il hérite même d’un surnom dans la Presse locale: « the lucky japanese boy ».
Mais un autre survivant du naufrage, un certain Archibald Gracie, écrit un livre sur le sujet qui devient rapidement un best-seller. Et l’image du « Japonais chanceux » est largement écornée: Masabuni Hosono est traité de « passager clandestin » à bord du radeau de sauvetage N°10. Et une enquête diligentée par le Sénat américain enfonce le clou en révélant à l’opinion publique que le « héros » s’est en réalité fait passer pour une femme pour monter à bord du canot…
Outch!
Archibald Gracie, rescapé du Titanic, ayant écrit un livre sur le naufrage vu de l’intérieur.
Vient maintenant le moment tant redouté du retour au pays. Sans surprise et conformément aux principes très stricts de l’honneur japonais, le survivant du Titanic est traité comme un pestiféré. Il est licencié et vilipendé dans la Presse nationale. « Honte sur le pays! », « Le déshonneur porte un nom: Masabumi Hosono! », « Plutôt mourir que vivre sans honneur! ». Son nom apparaît même bientôt dans les manuels scolaires comme l’exemple parfait à ne pas reproduire…
Épilogue
Comment expliquer une telle réaction de la part de sa nation? Pourquoi si peu de compassion envers un homme qui a connu l’Enfer?
Difficile d’analyser cela de notre point de vue d’Occidental. Certains voient en Hosono le symbole de la perte des valeurs traditionnelles japonaises et du reniement du code de l’honneur des Samouraï. Surtout, face à la médiatisation internationale de ce fait divers, les autorités japonaises se sentent obligées de réagir violemment pour tenter d’éteindre l’incendie diplomatique.
Quoi qu’il en soit, Hosono mourut dans la honte et le déshonneur en 1939, à l’âge de 69 ans, à la veille de l’entrée en guerre du Japon dans le second conflit mondial. Peut-être cette guerre lui aurait-elle permis de laver enfin son honneur et de se racheter une bonne conduite aux yeux de sa nation?
J’ai personnellement du mal à lui en vouloir. La réaction de l’opinion publique serait-elle la même si une telle situation se reproduisait aujourd’hui? Peut-on décemment traîner dans la boue un survivant de l’Enfer? Peut-être. Le traitement médiatique a ses raisons que la raison ignore.
Note à mes lecteurs chéris: à ma grande surprise, vous avez été nombreux à vous plonger dans d’anciens articles du blog pendant les fêtes: on a battu des records d’affluence! Vous avez aussi laissé de nombreux commentaires et/ou mails auxquels je n’ai pas encore répondu… je m’y attelle bientôt!
Il a été difficile pour moi de suivre un rythme de publication régulier en 2013. Veuillez m’en excuser… vraiment, j’aimerais pouvoir écrire plus souvent et cela fait partie de mes bonnes résolutions pour 2014. Soyez sûrs en tout cas que je suis toujours autant motivé pour tâcher de vous proposer du contenu le plus intéressant possible!
Ah, oui, on me souffle dans l’oreillette qu’il faut également que je vous annonce la sortie (presque) imminente de l’#ETC Mag N°3. Restez connectés! 😉
____________________________________
Vous avez aimé cet article ? Alors j'ai besoin de vous ! Vous pouvez soutenir le blog sur Tipeee. Un beau geste, facile à faire, et qui permettra à EtaleTaCulture de garder son indépendance et d'assurer sa survie...
Objectif: 50 donateurs
Récompense: du contenu exclusif et/ou en avant-première
Je vous remercie pour tout le soutien que vous m'apportez depuis maintenant 5 ans, amis lecteurs!
Djinnzz
PS: ça marche aussi en cliquant sur l'image juste en dessous ↓↓↓↓
*Bonheur*
**Sauts de joie**
La saison 2014 d’ETC s’annonce bonne! Champagne pour le premier article de l’année!
C’est toujours bon de retrouver au clavier les gens qu’on aime lire 🙂
Je vous souhaite une bonne année et merci pour cette belle histoire de survie, la petite histoire dans la Grande.
amha, la culture japonaise est très difficile à appréhender depuis l’Occident. Il faudrait en effet abandonner tous nos acquis et cesser de regarder ce peuple sous le prisme de notre propre culture.
La meilleure façon reste de découvrir de genre d’anecdotes pur se forger une opinion. L’honneur, le sens du sacrifice, etc sont tellement ancrés en eux que ce Japonais ayant suivi une autre voie pour survivre ne peut être que méprisé.
Bon article, je me suis régalé à le lire. Qui sait comment on pourrait nous-même réagir si on est confrontés un jour à une situation de danger de mort?
L’instinct de survie est quelque chose de fort, plus fort que l’éducation ou les la culture qu’on nous a inculqués.
Leonardo di Caprio a eu le bon goût, lui, de laisser sa place sur le bout de bois à sa chère et tendre!
Y’a pas, sont forts ces Américains!
Un petit bilan s’impose…
Le naufrage du titanic a fait environ 1500 morts et il y eut environ 700 rescapés. En moyenne, on avait donc 32% de survivre si on était à bord du bateau.
Mais, là où ça devient intéressant, c’est d’analyser le % de morts catégories par catégories de population…
Membres d’équipage:
24 % de rescapés, soit un peu moins que la moyenne. Ils ont donc eu un comportement exemplaire dont le récent commandant du Concordia aurait bien fait de s’inspirer par exemple…
Troisième classe:
Même proportion que les membres l’équipage, sauf que là ce n’est pas du courage, c’est juste qu’on leur a refusé l’accès aux canots comme c’est bien précisé dans l’article.
Les deux premières classes ont donc eu statistiquement un peu plus de chances de survie que les membres d’équipage ou les 3e classes.
Comparaison Hommes / Femmes / Enfants: La règle des « femmes et des enfants d’abord » a-t-elle bien été respectée?
Enfants: 50% (53 survivants sur 109 enfants au total)
Femmes: 75% de rescapées
Hommes: à peine 18%…
Donc, oui, la règle « les femmes et les enfants d’abord » a bien prévalu et le personnel de bord a été exemplaire.
C’était la parenthèse statistiques du jour 😉
Wow le japanese echappe a la mort jusqu’au bout…pooour se faire descendre par sa nation…le pauvre!!
Merci pour cet article, mais quelle culture!!! 😀
Je viens de voir « Stupeur et Tremblement » d’Amélie Nothomb (j’avais lu le bouquin il y a quelques années…mais j’avais déjà tout oublié 😳 ), et cet article m’a rappelé qu’effectivement, la société japonaise, si on n’y a pas grandi, on ne peut pas la comprendre. Ca doit être très frustrant de vivre au Japon quand on n’est pas Japonais (et même si on l’est).
Bonne année avec plein de supers articles en perspective!
Oui, j’ai vu le film il y a quelques années, il m’a beaucoup plu également.
Bonne année à vous également! 🙂
@Titan hic: Ce qui me semble le plus important, à moi, c’est la proportion de morts 1ere / 3e classe, ou la lutte des classes version catastrophe maritime!
Les femmes et les enfants ont embarqué les premiers, c’est vrai, mais en priorité celles de première classe parr rapport à la seconde ou troisième classe.
En première classe, seules 4 femmes et 1 enfant sont morts alors que 91 femmes et 55 enfants de 3e classe décédèrent….
Bref, ces statistiques ont quelque chose de nauséabond et voudraient dire que la vie humaine n’a pas le même prix suivant qu’on appartient à la « caste » des riches ou à celle des pauvres. Je suis curieux de savoir si une telle distinction entre les prix des billets s’opéreraient dans le cas d’une catastrophe identique aujourd’hui… Même si l’exercice de comparaison entre 2 époques si éloignées (seulement 100 ans mais que d’évolutions durant ce tout petit siècle!) n’est pas aisé.
Après il faut rappeler que les 3ème classes furent moins nombreuses a embarquer…parce que beaucoup se sont paumées.
Les panneaux indiquant le pont etait en anglais, les instructions aussi, beaucoup de 3èmes classes ne parlaient pas un mot.
Titanic par ci, Titanic par là. Maintenant faut que Tita se repose.
Belle histoire.Pauvre HOSONO: la vie est parfois injuste.
Comme dis le proverbe de chez nous : « De son vivant ,il avait envie d’une datte et à sa mort on la honoré par un un régime ou grappe de dattes ».