Abraham Lincoln, ou l’art et la manière de bien cacher son jeu
Alors qu’Abraham Lincoln, seizième Président des États-Unis, est en ce moment en haut de l’affiche médiatique (transformé en chasseur de vampires et de zombies dans deux films hautement intellectuels), intéressons-nous de plus près à son action politique qui l’a rendu si célèbre: l’abolition de l’esclavage.
Le nom de Lincoln est très souvent synonyme de grand homme, l’exemple parfait de l’humaniste convaincu, affirmant contre vents et marées le principe de l’égalité des races. Il est vrai qu’il est le premier homme politique américain à légiférer en affranchissant les esclaves du pays.
La vérité est-elle si prosaïque? La réponse est bien sûr non!
« Je dirai donc que je ne suis pas ni n’ai jamais été pour l’égalité politique et sociale des noirs et des blancs (…) il y a une différence physique entre la race blanche et la race noire qui interdira pour toujours aux deux races de vivre ensemble dans des conditions d’égalité sociale et politique(…) »
(intégralité de la citation à lire ici)
Oui, vous ne rêvez pas, ce discours est bien prononcé par Abraham Lincoln en 1858, alors qu’il fait campagne pour les élections sénatoriales. Et il récidive 4 ans plus tard, en 1862, quelques jours à peine après avoir signé la proclamation d’émancipation des esclaves, avec un discours destiné à la communauté noire. En gros, leur dit-il, ce n’est pas parce que vous êtes maintenant affranchis que vous devez vous considérer comme les égaux des blancs! Faut pas déconner, non plus…
Abraham Lincoln, seizième président des Etats-Unis
Mais alors, pourquoi, avec de telles convictions, s’être battu pour l’abolition de l’esclavage? Pour des raisons bassement politiques, évidemment…
Replaçons-nous dans le contexte de l’époque. La guerre de sécession fait rage depuis 1861. Cette guerre civile oppose l' »Union », c’est à dire les États du Nord dirigés par Abraham Lincoln à la « Confédération », nom donné aux 11 États du Sud dirigés par Davis Jefferson.
Or, la déclaration d’abolition de l’esclavage signée par Lincoln ne concerne que les États du Sud…
– Alors voilà… On va dire que l’esclavage est interdit.
– Quoi!? Mais non, t’es malade! Tu crois quand même pas que c’est moi qui vais faire ma vaisselle et cirer mes pompes!
– Ouais, t’as raison… Attend, j’ai une idée! On va dire que l’esclavage est interdit, mais uniquement chez nos ennemis!
– Yeah, Lincoln! T’es un génie, mec!
Sur plus de 3 millions d’esclaves que comptent les États-Unis, ce ne sont donc qu’à peine 200.000 d’entre eux qui recouvrent leur liberté… C’est mieux que rien, certes, mais avouez tout de même qu’on a vu politique plus ambitieuse! On comprend mieux la célèbre formule répétée à l’envi par les détracteurs du Président: « Abraham Lincoln a émancipé tous les esclaves à l’exception de ceux qu’il pouvait libérer! »
Loin d’être le héros humaniste décrit dans l’imagerie populaire – et dans la bouse cinématographique « Abraham Lincoln, Chasseur de Vampires », le Président américain est donc avant tout un fin stratège politique. Plus tard, afin de souder des États-Unis d’Amérique fragilisés par la sortie récente de la guerre civile, l’action de Lincoln est encensée et glorifiée. C’est bien connu, toute nation a besoin d’un héros.
L’Info du Jour qui te permet de briller en société
La proclamation d’émancipation a été réalisée en deux étapes: un premier décret signé le 22 septembre 1862 qui déclare libre tout esclave libre habitant sur le territoire de la Confédération sudiste non contrôlée par l’Union (sic). Le deuxième décret, daté du 1er janvier 1863, liste quant à lui explicitement les territoires concernés.
____________________________________
Vous avez aimé cet article ? Alors j'ai besoin de vous ! Vous pouvez soutenir le blog sur Tipeee. Un beau geste, facile à faire, et qui permettra à EtaleTaCulture de garder son indépendance et d'assurer sa survie...
Objectif: 50 donateurs
Récompense: du contenu exclusif et/ou en avant-première
Je vous remercie pour tout le soutien que vous m'apportez depuis maintenant 5 ans, amis lecteurs!
Djinnzz
PS: ça marche aussi en cliquant sur l'image juste en dessous ↓↓↓↓
C’est effectivement étonnant et votre article va à contre-courant de ce qu’il est couramment admis sur Lincoln.
J’ai été vérifié (je suis d’un naturel méfiant…lol) et cela a confirmé ce que vous disiez.
Comme quoi…
grandeur noire ,tiens exactement les memes propos
Je suis moins catégorique que vous concernant le film Abraham Lincoln chasseur de Vampires. Ce n’est certes pas le film du siècle d’année, mais ce n’est certainement pas une bouse cinématographique comme vous le dites.
Personnellement, j’ai passé un bon moment devant mon écran. Certes, quand je lis après que Lincoln était en réalité raciste (en cela qu’il ne considérait pas les races blanches et noires comme égales), cela donne un arrière-goût dans la bouche (dans le film, le meilleur ami de Lincoln est noir et c’est réellement par conviction qu’il proclame la déclaration d’émancipation des esclaves, non par calcul politique).
J’ai trouvé l’atmosphère de la guerre de sécession bien rendue. Avec un titre pareil, je m’attendais justement à un nanar de série Z… et j’ai été surpris. Bon jeu d’acteurs, une image travaillée, une mise en scène agréable… Qui, en plus, a le mérite de faire connaître un peu cette période de l’histoire de l’Amérique aux plus jeunes.
Donc, OK, le film est à des années-lumière d’être fidèle à l’Histoire. Mais le but du cinéma, c’est avant tout de vendre du rêve, pas d’être un livre d’histoire. Donc halte à l’élitisme: le cinéma d’action et de divertissement n’est pas forcément « une bouse ».
Voilà. C’est mon coup de gueule du Lundi matin. Je continue néanmoins à vous lire avec plaisir, rassurez-vous. J’ai d’ailleurs pour objectif d’augmenter mon niveau de culture générale et d’aller dire bonjour à Julien Lepers. 😉
Les propres paroles de Lincoln abandent dans ce sens:
« If I could save the Union without freeing any slave I would do it, and if I could save it by freeing all the slaves I would do it; and if I could save it by freeing some and leaving others alone I would also do that. What I do about slavery, and the colored race, I do because I believe it helps to save the Union.
Je traduis:
Si je pouvais sauver l’Union sans libérer aucun esclave, je le ferai, et je pouvais la sauver en les libérant tous, je le ferai aussi; et si je pouvais la sauver en en libérant certains et en en laissant d’autres, je le ferais également. Ce que je fais à propos de l’esclavage, et de la race colorée (sic), je le fais parce que je crois que cela contribue à sauver l’Union. »
Un discours cynique qui prouve que Lincoln n’est pas spécialement anti-esclavage, il y voit juste un effet d’aubaine politique.
*abondent, pardon
(et il manque un « si » dans la traduction, mais vous pourrez corriger par vous-mêmes)
C’est un article hyper intéressant, je suis en train de faire un expose sur Lincoln et ça m’aide beaucoup !