[Anecdote historique] L’origine de l’expression « Tout fout l’camp! »
« Eh! La France, ton café fout le camp! » se serait exclamée la Comtesse du Barry en s’adressant au roi Louis XV. Depuis, l’expression est devenue consacrée et reprise dans la littérature et le langage courant… Tout fout l’camp, soit, c’est pas nouveau! Mais pourquoi spécifiquement le café? Serait-ce une machination diabolique de George Clooney pour nous vendre plus de capsules What Else?
L’expression aurait donc été prononcée le 20 mars 1773 par la comtesse du Barry, maîtresse du roi Louis XV. Le café est alors un breuvage au raffinement extrême, apprécié par la seule élite qui a les moyens de s’en offrir. Nous qui sommes aujourd’hui habitués à obtenir une bonne tasse de café quasi-instantanément après seulement quelques opérations basiques, on peine à imaginer le mode opératoire laborieux qui a cours au XVIIIe siècle… Les grains de café doivent d’abord être torréfiés à la main dans une poêle puis moulus à l’huile de coude. Une fois réduit en poudre, le café doit ensuite être infusé 10 fois de suite dans de l’eau frissonnante. Et gare aux étourdis, car, selon le vieil adage, café bouillu, café foutu! Puis recommencez l’opération du début pour chaque nouvelle tasse…
Aussi étonnant que cela puisse paraître, Louis XV, en amateur éclairé, ne confiait à personne la délicate tâche de la préparation de son café journalier. Un beau matin, alors qu’il batifole avec sa jeune et belle Comtesse du Barry, il oublie sa mixture sur le feu qui menace aussitôt de déborder. Avec une distinction toute particulière, la favorite crie alors à son royal amant:
– Hé, la France! Prends donc garde, ton café fout le camp!
La formule tombe dans des oreilles indiscrètes et bientôt tout le château se moque de Louis XV qui se fait mener par le bout du nez par la du Barry et de la vulgarité de cette dernière. Il faut dire que cette simple phrase cumule les indélicatesses…
Portrait de la Comtesse du Barry par Marie Louise Élisabeth Vigée-Lebrun (1782)
Le tutoiement tout d’abord. On ne tutoie pas Sa Majesté, enfin! C’est totalement contraire à l’étiquette. Le sobriquet idiot ensuite. Louis XV surnommé par un méprisant « la France »? Sérieusement? Enfin, la grossièreté impardonnable dans la bouche d’une favorite royale. Dès lors, on comprend pourquoi le couple est à ce point moqué dans les couloirs du Château de Versailles! L’anecdote sert surtout à railler la « Comtesse » du Barry… De son vrai nom Jeanne Bécu, elle n’a en effet de « comtesse » que le nom, ses origines sont à trouver parmi les plus basses couches populaires (Ô mon dieu quelle horreur) de la capitale. Une roturière à la Cour et dans le lit du Monarque, non mais franchement, on aura tout vu! Tout le monde regrette déjà le charme et le raffinement de l’ex-maîtresse du roi, la marquise de Pompadour…
Dans ce contexte, on est donc en droit d’émettre de sérieux doutes sur la véracité de l’anecdote. N’assiste-t-on pas plutôt à une stratégie de dénigrement de la du Barry rondement menée par ses détracteurs? La plus ancienne trace de cet épisode remonte en effet à 1775, soit deux ans après les faits, sous la plume d’un certain Pidansat de Mairobert qui ne se prive pas de coucher sur papier tout son dégoût pour la favorite. On a vu plus fiable comme source historique, vous l’admettrez!
Franchement, soyons sérieux… la Comtesse n’était peut-être pas fute-fute, mais aurait-elle pour autant risquer de s’attirer les foudres de son royal amant en le tutoyant et en l’affublant d’un sobriquet ridicule? On peut en douter!
Portrait de Louis XV par Louis Michel Vanloo, XVIIIe siècle
L’histoire aurait pu en rester là et le café de la France qui fout le camp classé au rang d’une simple légende historique. Pourtant, un historien du nom de Charles Vatel (1816-1885) relance le débat. Il a découvert dans le cahier de comptes d’un tailleur parisien des années 1770 des commandes passées par un certain La France, un valet de la Du Barry. Il était apparemment de coutume à la Cour du roi d’appeler les serviteurs par le nom de leur région d’origine. « La France » serait donc tout simplement le surnom donné à un domestique originaire… d’Ile-de-France.
Et tout s’éclaire enfin! Le tutoiement, le surnom, le relâchement,… la favorite s’adressait à son domestique et non au Roi, tout simplement!
Peu de gens connaissent aujourd’hui cette anecdote ma foi fort savoureuse. Pourtant, l’expression de la du Barry est paraphrasée à d’innombrables reprises, aujourd’hui encore! Ainsi du livre de Jean Thévenot publié en 1988 intitulé Hé! la France, ton français fout le camp! ou d’un conseiller général en 2009 quittant une commission départementale en colère et s’exclamant « Poste, ton service fout l’camp! »
Comme quoi, notre patrimoine historique et culturel reste profondément ancré, et on ne va pas s’en plaindre!
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Djinnzz
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Passionnant et plein d’humour, comme d’habitude! 🙂
Nan mais allô quoi. Du café ça peut pas foutre le camp d’toute façon.
N’importe quoi cette du Barry. (et avec un nom pareil, quoi, elle se prend pour un éléphant?)
Oui mais pourquoi l’expression « foutre le camp »?
Aucune idée, j’imagine que cette expression fait partie du langage fleuri depuis un bon petit moment!
Sûrement un rapport avec « lever le camp », le verbe « lever » s’étant transformé en un verbe un peu plus familier…
Bravo Djinnzz !
Dans le »Petit Larousse Illustré de 2002 (!) j’ai trouvé :
Lever le camp = ficher le camp ‘familier) = foutre le camp (très familier) !
En somme ne pas rester où l’on doit être. Le café doit rester dans le récipient où il est préparé. Par suite, manque d’attention ou distraction, il se met à bouillir et déborde du récipient.
Il est comparable à une troupe qui fuit en désordre, »il fout le camp » !
Merci pour l’article, intéressant comme d’habitude. Amitiés.
Eh bien! en voilà un verbe qui dit tout et son contraire et qui est foutrement intéressant!!!
http://www.cnrtl.fr/definition/foutre
Effectivement, je n’aurais pas cru qu’il y ait tant de choses à dire sur ce verbe!
Super! Merci pour ces précisions!
c’est etonnant !merci beaucoup pour l’information
Dans la phrase qui nous fait savoir que la Du Barry n’était pas » fute-fute » vous écrivez : aurait elle pour autant RISQUER de s’attirer les foudres… Est-ce réellement le moyen de briller en société ?