Charles V le Sage, un roi comme on n’en fait plus
Charles V, c’est un peu le mec parfait par excellence, le genre de gars à qui tous les chefs d’Etat aimeraient ressembler. Paradoxalement, c’est également un roi très peu connu malgré son rôle essentiel dans la modernisation des institutions de ce qui deviendra la France.
La preuve que la parfaititude n’est pas héréditaire, c’est que le père et le grand-père avant lui de Charles V n’ont pas spécialement brillé par leur intelligence… le grand-père, c’est Philippe VI, et la simple évocation de la bataille de Crécy (1346) qui eut lieu sous son règne suffit à nous faire un portrait peu flatteur du bonhomme…
Le père, c’est Jean II. Lui, 10 ans après celle de Crécy, c’est dans la bataille de Poitiers qu’il s’illustre, à l’issue non moins ridicule: cette fois, non content de perdre la bataille alors qu’il est en supériorité numérique, notre roi chéri est fait prisonnier par les Anglais et emmené outre-Manche! S’ensuit la signature du traité de Brétigny en 1360, un véritable désastre pour le royaume de France: la Guyenne, le Poitou, le Limousin, la Gascogne et j’en oublie sûrement passent sous domination anglaise. Le roi Jean II est alors libéré, certes, mais doit surtout laisser deux de ses fils en otage au roi anglais pour s’assurer qu’il paye bien dans les 3 ans un tribut de 3 millions d’écus! Vae victis, se serait écrié Brennus…
(et ne me demandez pas combien ça fait en euros, j’en sais fichtrement rien! En tout cas, c’est une somme que l’on pourrait qualifier… d’énorme.)
Le Royaume de France après le traité désastreux de Brétigny… En gros, tout ce qui est rouge ou rose, c’est aux Anglais. La Bretagne (en blanc) est… pro-anglaise. C’est la merde, quoi. (merci Wiki pour la belle carte toute propre)
Autant dire que, quand Charles V reçoit l’onction du sacre à Reims le 19 mai 1364, il sait qu’il a du pain sur la planche pour redonner au royaume de France sa grandeur d’antan!
… s’ensuit la terrible famine de 1349 durant laquelle on est obligés d’avoir recours au cannibalisme pour survivre.
D’autant que des facteurs « extérieurs » ne facilitent pas vraiment les choses… La peste noire, tout d’abord, qui sévit en Europe depuis 1347. Les morts s’entassent et les survivants, impuissants, ne peuvent que prier leurs morts. Paralysé par le fléau, le pays ne produit plus rien: plus de semis, plus de récolte, plus de labourage. Rien. S’ensuit la terrible famine de 1349 durant laquelle, à en croire certains témoignages de l’époque, on est obligés d’avoir recours au cannibalisme pour survivre. Fichtre.
Les symptômes de la peste noire (illustration de 1411) (et bon appétit bien sûr)
Puis vient une nouvelle épidémie de peste en 1360… Puis le terrible hiver de 1364 où un froid polaire s’abat sur la France… cette deuxième moitié du XIVe siècle est décidément bien difficile… en quelques années, entre les guerres, les famines et les épidémies, on estime que près de la moitié des habitants du royaume sont décimés!
C’est donc dans un contexte particulièrement difficile que Charles V arrive au pouvoir. Mais il a un atout militaire dans son jeu qu’il compte bien utiliser immodérément: un certain Bertrand Du Guesclin! Ce stratège de génie lui sera d’un grand secours pour bouter les Anglais hors de France…
Une stratégie novatrice
Ses prédécesseurs, on l’a vu, étaient plutôt du style à rassembler une grosse armée et à foncer dans le tas, et gloire à celui qui se fait buter le premier. Bon, les cuisante défaites de Crécy, de Poitiers, de l’Ecluse (et j’en passe!) montrent les limites d’un tel raisonnement.
Charles V, et c’est novateur pour l’époque, préfère la notion très moderne de guérilla: harrasser l’ennemi par des petits groupes très mobiles, éviter les corps à corps inutiles et, quand c’est nécessaire, enjoindre la population locale à se replier dans les grandes villes. C’est donc des villages fantômes que les troupes anglaises conquièrent…
Autre idée en voilà qu’elle est bonne, il parvient à convaincre des bandes de pillards (les célèbres Grandes Compagnies) qui sévissent un peu partout dans le royaume, s’attaquant à la population et troublant la paix intérieure, de s’engager pour une noble cause et de partir vers les Pyrénées pour reconquérir le royaume de Castille. Le charisme de Du Guesclin suffit à faire rentrer dans le rang ces pécores indisciplinés.
D’une pierre, deux coups. Voilà la paix intérieure retrouvée et une armée à moindre coût constituée… puisqu’on vous dit que c’est un malin, ce Charles V! Dès 1374, soit 10 ans à peine après son sacre, les territoires sous domination anglaise se réduisent comme peau de chagrin. Du Guesclin fait décidément du bon boulot, à tel point que Charles V lui confie l’épée de connétable de France (en 1370). A cette époque, un connétable n’est pas un fabriquant de sardines en boites de conserve mais, en gros, le chef suprême de l’armée du pays. La classe.
Du Guesclin fait connétable par Charles V
A force de coups d’éclats, en 1374, c’est un véritable coup dur pour le roi d’Angleterre Édouard III: son fils aîné, le Prince noir qui guerroie contre les Français depuis plusieurs années, passent de vie à trépas. C’est l’héritier tout désigné de la couronne d’Angleterre qui s’éteint… L’héritier du trône est maintenant Richard, un gamin de 10 ans. Édouard III consent une trêve. Bon, OK, il admet qu’il vient de perdre une bataille, mais il n’a pas encore perdu la guerre! Celle-ci durera encore presque un siècle…
Un réformateur moderne
La trêve contre l’Angleterre permet à Charles V de souffler un peu et d’administrer intelligemment le pays. On lui doit notamment deux ordonnances majeures qui redoreront le prestige du pouvoir royal pour les siècles à venir:
– il établit enfin officiellement des règles de succession à la couronne claires et précises. Finies les gué-guerres familiales pour savoir qui va prendre les rênes du pays à la mort de chaque roi. A partir de maintenant, on clarifie les règles: le trône revient à l’héritier mâle le plus proche, et le domaine royal devient indivisible. Point barre.
– Charles V fixe également l’âge de la majorité pour les futurs rois de France. Finies les régences à rallonge, sources d’instabilité et d’affaiblissement du royaume. Dorénavant, un roi sera en âge de gouverner à partir de 14 ans (l’usage était plutôt aux alentours de 20 ans avant ça). Et oui, les gamins de 14 ans d’aujourd’hui jouent encore à Pokemon dans leur cour de récré… Autre temps, autre mœurs!
Un économiste qui sait où il va
Exit les monnaies frappées par un peu tout le monde. Depuis 1360, le Roi de France est le seul habilité à battre monnaie et son joli minois apparaît sur toutes les pièces aux quatre coins du Royaume. Niveau prestige, ça en impose pas mal. Surtout, la monnaie devient enfin stable et Charles V en profite pour renforcer et rationaliser la fiscalité (pas folle la guêpe).
Le franc-or à l’effigie de Charles V (on a fait mieux depuis niveau dessin des visages, je vous l’accorde)
Ultime soubresaut d’un roi sur son lit de mort, le 16 septembre 1380, Charles V décide d’alléger les impôts qui pèsent sur le peuple et supprime le fouage, le plus impopulaire des impôts. Très courageux que tout cela, mais c’est bien sûr le prochain roi, Charles VI, qui devra en assumer les conséquences et se passer d’une rentrée d’argent très confortable!
Un intellectuel réputé
Un article sur Charles V ne serait pas complet sans la mention de son immense savoir (ou du moins, c’est la réputation qu’il s’est forgée). Dès 1367, il transforme le Louvre en Palais Royal et y crée une bibliothèque immense, forte de milliers de manuscrits. Aristote, Saint-Augustin, Traités d’Histoire, d’astrologie,… la soif de savoir de notre bon roi est insatiable. Hélas, tous ces chefs d’œuvre seront dispersés après sa mort…
« On ne peut trop honorer les clercs qui ont sapience, tant que sapience sera honorée en ce royaume, il continuera à prospérité, mais quand déboutée y sera, il décherra. » Purée, quelle clairvoyance! Ce Charles V, je l’adore!
Intelligent, brillant, fin stratège… Charles V donna à la France une réelle bouffée d’oxygène en pleine guerre de Cent ans. Force est d’admettre qu’il ne l’a pas volé, son surnom de « Sage ». Et dire que, quelques années après sa mort, le royaume sera dirigé par son fils, Charles VI, dont les crises de démence dévastatrices mèneront le royaume de France au bord du chaos… Mais chut, ne parlons pas trop fort. Nous risquerions de réveiller la petite Jeanne, une bergère qui dort à poings fermés dans la petite ville de Domrémy, attendant son heure…
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Voilà un modèle à suivre pour le président des « Sans-Dents »
Bravo pour ce magnifique article, encore une fois ! Et merci pour le fait que vous écriviez des articles avec un rythme aussi soutenu ! 😉
Un sujet aussi chiant qu’un roi inconnu de la Guerre de 100 ans rendu super agréable à lire… 😕
Génial
… et je n’ai pas encore eu l’occasion de vous dire à quel point je suis content que la publication reprenne (et à un rythme soutenu apparemment!)
Ce qui est fou, sur ce site, c’est que les articles les plus intéressants sont aussi les moins commentés…
Oui, mais le nombre de commentaires n’est pas un indicateur de la qualité d’un article. Il y a beaucoup d’articles qui, une fois que tu les as lu, n’amènent pas de commentaires particuliers.
Comme ici, j’apprends la biographie de Charles V, OK, c’est intéressant, mais je trouve qu’il n’y a rien à ajouter…
D’autres thèmes, comme ceux sur la religion, sont plus ouvert aux débats et donc aux commentaires.
Enfin je trouve 🙂
Les rois de France étaient probablement gais car on dit qu’ils avaient le pouvoir de guérir les écrous, elles… (Marc Escayrol)
😛
Petite précision pour corriger un anglicisme trop souvent rencontré :
« la notion très moderne de guérilla: harrasser l’ennemi par des petits groupes très mobiles ».
L’emploi de « harasser » est incorrect. Le bon terme est : « harceler » (to harrass en anglais).
Tout d’abord, merci pour cet article qui m’a fait découvrir un grand roi dont je n’avais encore jamais entendu parler il y a quelques minutes à peine… (mais qu’ai-je donc appris en cours d’histoire-géo à l’école ?)
Puisque l’on en est aux corrections sémantiques initiées par Chaz, j’ai pour ma part tressailli en lisant :
> près de la moitié des habitants du royaume sont décimés
Le verbe « décimer », dont les cinq premières lettres sont identiques à celles de « décimale » (ce n’est pas un hasard :Þ), signifie qu’un dixième des personnes du groupe considéré sont tuées ; donc, si la moitié du royaume est décimé, cela ne représente qu’un vingtième du royaume : je doute que cela soit l’intention réelle de cette phrase, j’imagine qu’il fallait plutôt lire « près de la moitié des habitants du royaume meurent » (un peu trop sobre) ou « […] passent de vie à trépas » (plus dans le style de l’article) ou « […] mangent dorénavant les pissenlits par la racine » (plus imagé) ou…
merci pour cet article génial que j’ai consulté pour mon devoir d’histoire (qui soit dit en passant est très très ennuyeux). Si j’ai une bonne note ce seras grâce à vous . je ne pensais pas qu’un jour j’aurais trouvé qu’un site d’histoire était bien mais celui ci est vraiment bien, je l’ai recommandé a d’autres personnes de ma classe
Le règne de Charles V fut survalorisé, entre autres par Christine de Pizan, du fait même qu’il fut encadré par deux règnes calamiteux : celui de Jean II le Bon défait par les Anglais et fait prisonnier à Poitiers et celui de Charles VI le Fou dont on retient qu’il fut marqué par la meurtrière querelle des Armagnacs et des Bourguignons, par la désastreuse défaite d’Azincourt et par le traité de Troyes. L’erreur de perspective est de faire de Charles V le roi du redressement. Le vrai réparateur fut Charles VII après le passage de Jeanne d’Arc. Le règne de Charles V fut donc une embellie, mais provisoire et illusoire. C’est ce que je vais démontrer dans le second volet de mon travail sur Charles V.
François Sarindar, auteur de Charles V le Sage, Dauphin, duc et régent (1338-1358)