Enquête sur les Lollards, secte sataniste du XIIIe siècle
Les Lollards: voici un mouvement religieux peu connu! On trouve en effet très peu d’informations sur ce mouvement sur le net… Pourtant, il mérite largement qu’on s’y attarde, au moins le temps d’un article!
La principale source d’informations sur le sujet est le Dictionnaire des Hérésies, daté de 1845. On a du bol, il est justement consultable gratuitement et en intégralité sur Google Books… (clic sur le lien)
On y apprend que les Lollards est le nom donné à une « secte », dirigée par un certain Gaultier Lollard (ou Walter Lollard, selon les sources), dont les thèses sont particulièrement scandaleuses pour l’Église catholique.
Selon ce prédicateur, Dieu commit une injustice en renvoyant Satan et les anges déchus du royaume des Cieux.
On a d’ailleurs déjà parlé de Satan (ou plutôt d’un satan, sans le S majuscule) dans un des articles les plus partagés et commentés d’EtaleTaCulture… Preuve que le sujet passionne encore les foules!
(lire l’article de la discorde: Satan n’est pas celui qu’on pense)
Lollard pense que Michel, Gabriel, et tous les autres anges qui ont combattu aux côtés de Dieu doivent être punis pour avoir injustement voué les anges déchus aux flammes de l’Enfer: la damnation de leur âme sera éternelle. Bientôt, nous explique-t-il, Lucifer et son armée de démons reviendront conquérir le royaume des cieux.
Brrr…
Lollard rejette donc en bloc tous les principes fondateurs de l’Église. L’hostie, la transsubstantiation, le baptême, le mariage… Selon lui, rien n’est vrai, tout est bâti sur un mensonge. Dieu n’a aucun pouvoir, seul le Diable mérite de régner sur les Hommes.
Il faut croire que Gauthier Lollard était particulièrement bon orateur, car il parvient à se faire un grand nombre de disciples. Les adeptes affluent de toute l’Allemagne, de l’Autriche de Bohême et même, bientôt, d’Angleterre. Comme tout bon gourou, il structure son organisation: il choisit ses douze plus fidèles disciples et en fait les apôtres de sa nouvelle Église. Parmi eux, deux vieillards sont particulièrement importants: chaque année, font-ils croire à tous, ils pénètrent au Paradis où Hénoch en personne leur transmet une partie de son pouvoir.
Qu’Hénoch soit mêlé à cette histoire, cela n’a rien d’un hasard. En effet, c’est un patriarche antédiluvien (comprendre: un personnage, descendant direct d’Adam, qui vécut avant le Déluge) dont on connaît l’histoire grâce au Livre d’Hénoch. Ce texte est apocryphe, c’est-à-dire non reconnu par les canons de l’Église (il fut retiré des texte canoniques lors du concile de Laodicée en 364). Donc, si vous ouvrez une Bible, vous ne le verrez pas apparaître… pour autant, il eut une influence considérable chez les Chrétiens, notamment au Moyen-Age… (texte intégral à lire ici)
Dans ce livre, on apprend comment 200 anges descendirent sur terre pour s’accoupler avec des femmes humaines. Les enfants qui naquirent de cette union contre-nature étaient gigantesques et monstrueux. Ils portent le nom de « nephilim », dont une des traductions possibles est « Géants ».
Ils dévoraient tout ce que le travail des hommes pouvait produire, et il devint impossible de les nourrir. Alors ils se tournèrent contre les hommes eux-mêmes, afin de les dévorer. (Hénoch, 7,12-13)
Alors les archanges Michel, Gabriel, Raphaël, Suryal et Uriel durent intervenir pour que cesse cette infamie.
(je dis « archange », c’est-à-dire « chef des anges », alors que les textes bibliques n’établissent pas de hiérarchie entre les anges. C’est la tradition, au fil des siècles, qui introduira cette notion)
(mais passons!)
Suivant l’ordre de Dieu, ils exterminèrent ces « enfants de fornication, ces rejetons des vigilants, du milieu des hommes » (Hénoch, 10,13).
(note: le tableau de Raphaël ci-dessus illustre certes le combat de l’archange Michel contre le Démon, mais plutôt selon la description mentionnée dans l’Apocalypse de Saint-Jean)
(à ce propos, le combat contre les 200 anges décrits dans le Livre d’Hénoch se passe au tout début de l’humanité (avant le déluge), alors que celui de Michel contre le Démon se déroule durant l’Apocalypse, c’est-à-dire à la toute fin)
(la boucle est bouclée)
(ça sert à rien de savoir ça, mais je trouve le symbole puissant)
(Bref.)
En plus d’avoir uni son sang à celui des humains, Azaziel, un des 200 anges rebelles, avait enseigné aux hommes à faire des épées, des couteaux, des boucliers, des cuirasses et des miroirs.
Aux yeux de Dieu, cette trahison est intolérable.
Comme Prométhée qui fut condamné à la souffrance éternelle pour avoir enseigné les secrets du feu aux hommes, Azaziel reçut une peine exemplaire. Les pieds et les mains liés, il est jeté dans les ténèbres, condamné à ne plus voir la lumière du jour. Puis, il est plongé dans les profondeurs d’un feu qui le tourmentera sans cesse, pour l’éternité.
Dieu fait ensuite tomber une pluie diluvienne pendant 40 jours et 40 nuits… C’est le Déluge, duquel seul Noé, choisi par Dieu, survivra avec comme mission de repeupler la terre.
Cette description très détaillée des châtiments qui attendent les anges déchus de Dieu a largement contribué au développement de la conception moderne de l’Enfer, même si ce mot n’est jamais prononcé dans l’Ancien Testament.
(par contre, il l’est plusieurs fois dans le Nouveau Testament, notamment dans l’évangile de Matthieu:« Tout homme (…) qui traite de fou son frère mérite d’être puni par le feu de l’enfer »)
Hénoch, simple mortel, est appelé aux côtés de Dieu pour assister à ce Ragnarok hébreu… Pas étonnant, donc, qu’il tienne une place centrale chez les Lollards!
L’Église ne pouvait rester de marbre face à cette hérésie. L’Inquisition arrêta Lollard, le passa à la question et, devant son obstination à vouer un culte aux puissances des Ténèbres, le condamna à être brûlé sur le bûcher.
Quelles furent ses dernières pensées? Implora-t-il son Seigneur de venir le sauver? Au contraire, souhaitait-il la mort pour trouver une place de choix aux côtés du maître de l’Enfer? Guetta-t-il l’arrivée deux ex machina d’un démon fendant les cieux pour le sauver des flammes?
Non, j’imagine qu’il ne pensa rien de tout ça. Il est beaucoup plus probable qu’il se soit d’abord dit « Ouille, c’est chaud » avant de hurler de douleur, à s’en faire exploser les cordes vocales.
Après sa mort, en 1322, la secte fut rapidement dissoute, ses disciples traqués et brûlés. Mais il y eut des rescapés, notamment en Angleterre… Privés de la présence rassurante de leur gourou, ces derniers se trouvent un nouveau maître spirituel en la personne de John Wyclif (ou Wycliffe) (ou Wycliff) (en fait, vous l’écrivez bien comme vous voulez)
C’est lui:
Les thèses de ce dernier sont éloignées de celles de Lollard. Avec lui, pas de vénération du Diable ou de ses démons. Mais le point commun entre les deux hommes est leur haine farouche envers le clergé: Wyclif dénonce la corruption de l’Église et soutient que les vrais Chrétiens n’ont pas besoin de la hiérarchie de l’Église pour vivre sereinement leur croyance. Il rejette également le principe de transsubstantiation et souhaite un retour à la pauvreté évangélique.
(c’est bon, me regarde pas comme ça. La transsubstantiation, c’est la croyance selon laquelle le pain et le vin lors de l’eucharistie sont le corps et le sang du Christ)
(je veux dire, sont VRAIMENT le corps et le sang du Christ, pas juste un symbole)
(en lien avec ce qu’a déclaré Jésus durant la Cène en présentant du pain et du vin à ses douze apôtres: « Ceci est mon corps (…) ceci est mon sang »)
Peu à peu, le mot « lollard » devient simplement synonyme d’hérétique, sans aucun lien avec la secte du même nom. Une confusion entre la secte de Gauthier Lollard et le mot lollard, tiré du néerlandais « lollaert » signifiant « murmurer », se crée. Bien pratique, le mot permet maintenant de désigner, avec une connotation péjorative, tous les ennemis de l’Église catholique…
Le 4 mai 1415, les thèses de Wyclif sont officiellement déclarées hérétiques lors du concile de Constance. Néanmoins, il parvient à éviter le bûcher… normal, il est mort plus de 30 ans auparavant! Par contre, Jan Hus et son ami Jérôme de Prague, deux autres agitateurs tchèques proches des idées de Wyclif, n’ont pas la chance d’être morts: ils seront tous les deux brûlés vifs.
La condamnation à mort de Jan Hus en fit un martyr ce qui eut l’effet inverse de celui désiré: cela renforça le cœur de ses partisans. L’Église hussite était née. Mais c’est une autre histoire…
Compléments
Pour ceux qui ont eu la flemme d’ouvrir le lien Google Books en début d’article (le Dictionnaire des Hérésies)
(oui, vous êtes nombreux dans ce cas, ne mentez pas)
(je vous connais! haha)
voici le texte intégral à propos de Lollard:
(merci qui?)
🙂
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Djinnzz
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Encore (et toujours) merci.
Très intéressant, merci !
Il ne faut pas prendre pour argent contant ce que l’inquisition affirme de ses adversaires. Les lollards étaient liés aux Vaudois et leur doctrine était évangélique et conforme à celle de Wycliffe. Ces histoires de démons étaient inventées pour terroriser le bas peuple. Pour tuer son chien il faut dire qu’il a la rage.