Envie de flâner à Montmartre ? OK, suivez le guide !
– « Chose promise, chose due », Pierre. Nous revoilà à Montmartre pour déambuler dans les rues plus tranquillement ce matin et découvrir d’un peu plus près ce « village » ou du moins ce qu’il en reste!
– Oui! Mais ce serait plutôt: « Tout vient a point à qui sait attendre », non? Voilà bientôt quatre mois qui tu me fais languir. Je suis toujours resté planté au bord de la Place du Tertre!
– Ça n’en sera que meilleur, j’espère. Justement, commençons par elle qui est un peu le cœur de Montmartre. Et puis, nous nous baladerons dans les rues, en essayant de repérer les endroits les plus intéressants.
La Place du Tertre
Comme tu peux le voir, elle est plus modeste que sa réputation, avec ses 38 mètres sur 35 en moyenne.
– En effet, ce n’est pas la Place Vendôme, ni celle de la Concorde… Et peut-on donner un âge à cette vieille dame?
– Un espace, sans doute plutôt fréquenté alors par les poulets et les canards, existait déjà au XIVème siècle et longeait l’un des murs de l’abbaye bénédictine dont nous avons déjà parlé. Une plaque a été d’ailleurs apposée en 1966 célébrant le sixième centenaire de la place. Mais elle ne fut réellement délimitée et ornée par une plantation d’arbres qu’en 1635, ce qui lui donnerait tout de même au moins 482 ans.
– Et son nom, d’où vient-il?
– Probablement d’un lieu dit « Le Tertre », situé au sommet de la Butte. Logique quand on sait que le mot « tertre » désigne un monticule, une position élevée. Mais certains pensent que ce pourrait être dû au nom de Guillaume Dutertre, receveur des biens de l’abbaye au début du XVIème siècle. Une légende sans vrai fondement, en réalité.
– Historiquement, y a-t-il quelques faits plus particuliers qui ont marqué ce lieu?
– Eh bien, elle devait être régulièrement fréquentée, puisque l’on a jugé utile d’y dresser une potence de justice au XVIIIème siècle et d’y planter un arbre de la Liberté lors de la Révolution de 1848! En 1871, elle reçut une grande partie des 171 canons stockés sur la Butte par les gardes nationaux pour les soustraire à l’ennemi prussien.
– Ah oui, je me rappelle: le point de départ de la révolte de la Commune.
– Bravo! Il te reste quelque chose de notre première visite! Maintenant, jetons un coup d’œil sur les principaux bâtiments… Tu m’excuseras si je relis de temps en temps mes notes, je n’ai plus aussi bonne mémoire qu’à mes 20 ans…
Au numéro 2, à l’angle de la rue du Mont Cenis, se trouvait l’hôtel-restaurant du Tertre fréquenté par la génération de « la Bohème » au tout début du XXème siècle. Peintres et poètes tels Picasso, Vlaminck, Modigliani, Max Jacob et bien d’autres venaient y déguster le Vouvray servi par le patron Bouscarat.
– Apparemment, il n’en reste pas grand-chose?
– De quoi? du Vouvray? Non, malheureusement l’hôtel a été détruit en 1938, emportant avec lui toute une époque et de nombreux souvenirs de tous ces artistes. Comme tu le vois, il a été remplacé par un bâtiment en briques et pierres blanches, tout en hauteur et occupé au rez-de-chaussée par une brasserie dont le nom seulement est évocateur: « La Bohème ».
– Et moi qui croyais que le patron était fan d’Aznavour…
– L’un n’empêche pas l’autre, Pierre! Si tu écoutes attentivement les paroles, tu te rendras compte que la chanson d’Aznavour raconte l’histoire d’un peintre qui se souvient avec nostalgie de sa jeunesse passée sur les hauteurs de Montmartre…
– Je la réécouterai pour vérifier ça! Et là, à gauche en face, la maison au numéro 3 semble plus authentique, non?
– Tu as l’œil! C’est en effet ce bâtiment qui servit de toute première mairie à la jeune commune de Montmartre créée par la Révolution en 1790. Toute jeune et toute petite, puisque celle-ci ne représentait que le sixième de l’ancienne paroisse de Montmartre et ne comptait alors que 400 habitants.
– Côté nord, se confondant avec le début de la rue Norvins, tu peux voir deux restaurants qui se disputent le record d’ancienneté sur la place: le Cadet de Gascogne et La Mère Catherine qui, elle, se vante de ses possibles 225 ans d’existence!
– Tiens! Regarde entre les deux restaurants: la boutique du « Singe qui lit ». Voilà un nom amusant! Sait-on d’où il vient?
– Il se pourrait que ce nom ait été donné par l’ancien patron Emile Boyer qui fut ouvrier typographe. En argot, un « singe » peut désigner ce métier. Cette boutique était au début du siècle précédent, un vrai bric-à-brac, mi-épicerie, mi-brocante. Elle proposait également des dessins et aquarelles de Gen Paul, peintre et dessinateur de Montmartre, décédé en 1975. Leur présentation attirait l’attention, car ils étaient accrochés à un fil par des pinces à linge. La boutique a connu ensuite plusieurs changements et elle propose maintenant essentiellement des colifichets et autres souvenirs classiques pour touristes. Seul le nom de l’enseigne a été conservé.
– Et de l’autre côté de la place ?
– Une boutique consacrée à Salvador Dali occupe le n°11. Mais, si cela t’intéresse, un musée Dali se trouve à quelques pas, rue Poulbot. On passera devant.
Comme tu avais pu le constater lors de notre première visite, le centre de la place est habituellement complètement submergé par les cafés et les multiples peintres et dessinateurs qui te proposent de te tirer le portrait pour un bon prix ou de te vendre les petits dessins et tableaux banals de la Butte.
– Il y en a un peu moins ce matin, mais je vois qu’il faut pratiquement venir en hiver pour avoir une meilleure idée du cachet de la place?
– Oui, c’est vrai, quand elle est un peu moins envahie…
Allons donc poursuivre notre visite dans des rues plus authentiques.
La rue Norvins
– Norvins, c’est le nom d’un baron, auteur notamment en 1829 d’un ouvrage à la gloire de Napoléon 1er, dont il contribue largement à forger la légende. La rue qui porte son nom est encore bordée de maisons villageoises, mais elles sont aujourd’hui occupées par des restaurants et autres boutiques marchandes. « Le Consulat » et « La Bonne Franquette » se virent fréquentés aussi par les peintres et poètes. Mais fin du XIXème, début du XXème, c’est sous le nom de « Aux Billards en Bois » que ce dernier attirait les artistes venus pour boire, jouer et, bien sûr, trouver l’inspiration pour leurs futures œuvres!
– Nous voici à l’angle de la rue des Saules. Retourne-toi vers le Sacré-Cœur. Tu vas sans doute avoir une impression de « déjà-vu », non?
– Oui, en dehors des croûtes pour touristes qui fourmillent dans ces rues, je crois avoir vu des tableaux d’artistes reconnus représentant cet endroit sous des angles similaires…
– Oui, entre autres, ceux de Maurice Utrillo et Bernard Buffet, chacun selon son style!
– Histoire de te faire marcher un peu plus, nous allons revenir en arrière en contournant la Bonne Franquette et prenant la rue Saint-Rustique, pratiquement parallèle à la rue Norvins et qui nous ramène vers le Sacré-Cœur.
– Je suppose qu’elle a un intérêt particulier?
– C’est l’une des rues pittoresques de Montmartre, très étroite et encore relativement épargnée par les boutiques à touristes. Ancien chemin de terre au XVème siècle, elle est devenue rue Notre-Dame au XVIème et a pris, en 1867, le nom de Saint-Rustique, l’un des compagnons martyrs de Saint-Denis que nous avions évoqué la dernière fois. Elle reflète encore un peu l’ambiance du Vieux Montmartre.
Parvenus à la Place Jean Marais, prenons à gauche la rue du Mont Cenis et ses escaliers qui vont nous mener à gauche à nouveau jusqu’à la rue Cortot au niveau de cette grande tour qu’est le Château d’Eau de Montmartre.
La rue Cortot
– « Cortot »? C’est qui cet illustre inconnu?
– Détrompe-toi. S’il est peu connu par son nom, il l’est par certaines de ses œuvres! Jean-Pierre Cortot a notamment sculpté le « Triomphe de 1810 » de Napoléon sur l’Arc de Triomphe. Il est aussi l’auteur du fronton de l’Assemblée Nationale et l’on peut admirer au Louvre son soldat de Marathon annonçant la victoire. Il est également l’auteur de la statue équestre de Louis XIII, place des Vosges. Son nom fut donné à cette ancienne « Petite rue Saint-Jean », vingt ans après le décès de l’artiste en 1843.
– Merci pour ma culture! On continue?
– Montmartre n’a pas abrité que des peintres et écrivains, mais aussi des musiciens, comme c’est le cas au n°6 où Erik Satie vécut dans un logement minuscule entre 1890 et 1898. Il a été ainsi le proche voisin de Suzanne Valadon dont il tomba amoureux et pour laquelle il composa plusieurs œuvres musicales dont « Les danses Gothiques ».
Je vais te faire faire ensuite un bond de plus de 300 ans en arrière. Au 12 de cette rue, au fond du jardin, se trouve une maison du XVIIème siècle qui est le plus vieil hôtel de Montmartre. On dit, mais sans certitude, que l’un de ses premiers propriétaires aurait été Claude Roze de Rosimond, comédien à l’Hôtel de Bourgogne qui interpréta les rôles de Molière et mourut, comme lui, en jouant le Malade Imaginaire en 1686.
– Et plus récemment ?
– Laisse-moi deux petites secondes le temps de relire mes fiches… Ah, oui, voilà! Le n° 12 fut habité ou fréquenté à partir de 1875 par plusieurs peintres. Le premier fut Renoir qui y peignit notamment son fameux Moulin de la Galette et la Balançoire. Beaucoup d’autres tels Suzanne Valadon, Dufy, Poulbot, Utrillo… y vécurent. Ce dernier, alcoolique invétéré y fut pendant une période enfermé ici par sa mère et il n’hésitait pas, quand il n’était pas satisfait, à balancer par la fenêtre chevalet, toiles et cartes postales qui atterrissaient sur le trottoir…
Comme tu peux l’imaginer, la maison, la rue, les jardins furent maintes fois peints par ces artistes.
Depuis 1960, le Musée du Vieux Montmartre a ouvert en ces lieux pour présenter l’art et l’histoire de ce quartier. Il rassemble des tableaux, affiches, photographies … signés par les plus célèbres peintres. Les jardins « Renoir » qui l’entourent ont été reconstitués en 2012 sur la base des toiles réalisées par Renoir pendant son séjour en ces lieux.
– Ah! J’ignorais même que Montmartre eût son musée!
– Heureux de t’apprendre toutes ces choses, cher Pierre! En poursuivant la rue Cortot, nous arrivons au carrefour de la rue des Saules. Juste en face, à l’angle avec la rue de l’Abreuvoir, se trouve la fameuse « Petite Maison Rose » qui, bien qu’assez banale, fut peinte et repeinte par Utrillo et bien d’autres. Elle abrita alors de nombreuses réunions festives et culinaires et connut de bons clients tels que Utrillo, Gen Paul et même Albert Camus. Elle est, semble-t-il, connue dans le monde entier. Malheureusement, je trouve que son cachet est fortement atténué par les constructions plus modernes et massives qui l’enserrent.
– Le bâtiment récent qui lui fait face a remplacé la maison aux murs aveugles où a vécu Aristide Bruant, l’auteur-compositeur que nous avons déjà évoqué lors de notre première visite.
On va descendre maintenant la rue des Saules pour aller jeter un coup d’œil sur la fameuse vigne en poussant jusqu’à la rue Saint-Vincent, le patron des vignerons.
La rue des Saules et le Clos Montmartre
– Les anciennes vignes de Montmartre, déjà présentes au Xème siècle, étaient pour la majeure partie la propriété des Dames de Montmartre, c’est à dire des religieuses de l’abbaye. Elles étaient présentes sur une douzaine d’emplacements.
– Elles ont disparu depuis longtemps sous les constructions, m’avais-tu dit. Et la vigne actuelle date de 1933, non?
– Tu as bonne mémoire! Elle a été replantée sur le dernier terrain vague de la Butte qui avait été préalablement transformé en square par Poulbot. Elle a malheureusement le défaut d’être exposée plein nord et elle ne couvre plus qu’à peine 1600 m².
– Dans ces conditions, j’imagine que la production ne doit pas être merveilleuse!
– C’est vrai! Elle est d’une qualité plutôt médiocre. Ce qui n’empêche pas les quelques centaines de bouteilles annuelles d’être vendues fort cher, tu t’en doutes! Mais les vendanges donnent tout de même lieu à une fête annuelle à la mi-octobre, ouverte par le « Président de la République de Montmartre .
– Un peu « vintage » tout ça, non?
– Quoi?
– « Rétro », si tu préfères!
– Sans doute, mais la tradition revit à travers de telles manifestations. Moi, je trouve ça chouette. Bon, allez, traversons la rue Saint-Vincent maintenant, pour regarder l’un des plus célèbres cabarets de Montmartre…
– Attends, je parie que c’est le « Lapin Agile », non?
– Bravo! Le Lapin Agile, lui aussi peint et repeint sous toutes ses coutures par Utrillo et bien d’autres.
La rue des Saules et le Lapin Agile
– Son histoire mériterait une longue présentation, tant il a connu d’aventures, d’artistes et de visiteurs célèbres… Construit tout à la fin du XVIIIème siècle il devint une auberge au nom très accueillant de « Au Rendez-vous des Voleurs » qui se transformera en « Cabaret des Assassins » en 1869. Sur ses murs sont alors accrochés en effet des gravures représentant des assassins célèbres.
– Quel programme! Et que veint faire le lapin agile dans tout ça?
– En 1880, le caricaturiste André Gill réalise la nouvelle enseigne du cabaret: un lapin portant un chapeau vert et une écharpe rouge en train de s’échapper de la marmite dans laquelle il devait être cuit, sa patte droite présentant une bouteille de vin. Le cabaret se vit alors attribuer le surnom de « Au Lapin à Gill » qui ne tarda pas à se transformer en « Au Lapin Agile ».
L’enseigne serait en fait symbolique: le lapin étant André Gill lui-même ayant échappé à la répression (la casserole) qui a suivi la Commune (écharpe rouge) à laquelle il avait participé.
– Et tu m’as dit qu’il a été fréquenté par de nombreuses célébrités ?
– Aristide Bruant, lui-même chansonnier, écrivain et interprète de chansons populaires, amène bien des artistes comme Toulouse-Lautrec et Courteline au cabaret qu’il rachètera d’ailleurs en 1913, afin d’éviter sa démolition.
En 1903, Frédéric Gérard, vendeur de produits des quatre saisons en compagnie de son âne, va participer à la gérance du cabaret et le faire devenir un haut lieu de la bohème artistique de Montmartre. Chanteur lui-même, il offre volontiers repas et boissons aux artistes désargentés en échange d’un poème, d’un tableau ou d’une chanson.
Apollinaire lit des poèmes d’Alcools, Picasso y peint la Femme à la Corneille, Charles Dullin fait ses débuts en récitant des poèmes de Baudelaire et Villon.
Mais les soirées sont parfois troublées par des malfrats de tout genre et les rixes et coups de feu ne sont pas rares. Pierre Mac Orlan en parlera dans son roman « Quai des Brumes ».
– Eh! On retrouve alors les assassins et les voleurs d’autrefois! Et cette belle période a duré longtemps?
– La mobilisation générale contre l’Allemagne le 1er août 1914 va marquer la fin de cette période d’indépendance et de vie intense du Lapin Agile autour des artistes d’avant-garde. Après la guerre, le point central de la création se déplace à Montparnasse.
En 1922, les rencontres informelles et souvent improvisées d’autrefois cèdent la place à des « veillées » organisées avec des artistes choisis par le nouveau patron et payés par lui. Les habitués tels que Pierre Brasseur et Georges Simenon et visiteurs occasionnels tels Rudolph Valentino, Charlie Chaplin… contribuent à la renommée du Lapin.
Après la seconde guerre mondiale, ce sont des artistes tels que Alexandre Lagoya, Léo Ferré et Claude Nougaro qui s’y produisent.
– Et aujourd’hui?
– Le Lapin Agile poursuit ses veillées et se présente actuellement comme « Le cabaret de poésie et chanson française classique et nouveaux talents ». Il est souvent fréquenté par les touristes qui viennent écouter chanteurs et poètes dans une ambiance d’autrefois.
– Il faudra qu’on y passe une soirée, un de ces quatre… Et maintenant que veux-tu me montrer? On poursuit la rue des Saules en la descendant vers le nord?
– Non! Nous allons plutôt rebrousser chemin, non sans nous rappeler que derrière ce mur, face au cabaret, se trouve le cimetière Saint-Vincent où reposent Maurice Utrillo, Marcel Aymé, Eugène Boudin, Marcel Carné, Arthur Honneger et certains moins connus.
Nous tournerons dans la rue de l’Abreuvoir à l’angle de laquelle se trouve la « Petite Maison Rose » que nous verrons ainsi sous un autre angle.
La rue de l’Abreuvoir
Comme son nom l’indique, cette rue a pour origine un chemin de terre au tracé légèrement sinueux qui menait à un abreuvoir où les habitants conduisaient leurs bêtes. Elle est un peu particulière, cette rue. Elle ne comporte que 14 numéros pairs à droite et un seul impair (le 15 !) à gauche, ce côté étant bordé par un espace encore vert de l’ancien parc de la « Folie Sandrin » dont nous reparlerons.
Au n° 4, l’ancien habitant de cette grande villa ne peut nier sa passion pour Napoléon avec son enseigne à l’aigle impérial et ses statues présentant également des aigles.
Tu noteras cependant la présence d’un cadran solaire avec un coq et une devise: « Quand tu sonneras, je chanteray ».
– Avec un y?
– Mais oui, l’orthographe change au fil du temps!
– Il y un message subliminal?
– En fait, deux interprétations sont possibles: ou bien le coq attend le signal de la Savoyarde pour l’accompagner en chantant…
– Ah oui! La Savoyarde, le nom de la grosse cloche du Sacré Cœur!
– …ou bien il veut couvrir la voix de cette cloche qui lui rappelle trop la répression de la Commune par les Versaillais…
Au n° 15, l’inscription « Villa du Radet » rappelle que le Moulin du même nom se trouvait proche de cet endroit, avant d’être transporté en 1834 sur des madriers pour l’amener un peu plus bas à côté d’un autre moulin, le Blute-Fin. La villa elle-même est maintenant occupée par des artistes contemporains qui disposent chacun d’un atelier. C’est à cette extrémité de la rue que se trouvait l’abreuvoir, maintenant disparu. La rue se transforme alors en une petite place avec une statue que tu vas reconnaître facilement…
– Mais… on dirait bien le buste de Dalida!
– Eh oui! cette ancienne et célèbre habitante de Montmartre a eu droit à sa place et sa statue. Dis-moi. T’as des problèmes d’érection?
– Hein? Ça va pas? Qu’est-ce qui te prend?!
– Parce que ce serait le moment ou jamais de t’en occuper. Ha ha! Ne t’en fais pas! Bien sûr, une légende s’est vite créée autour de cette dévoreuse de mâles. Cette légende invite les hommes à la virilité défaillante à venir toucher les seins qu’elle exhibe avec fierté pour retrouver la force perdue.
– Ah, vraiment! Elle les aura bientôt tout patinés! Et je vais y contribuer… ça ne mange pas de pain! me dit-il en posant les deux mains sur l’intimité de la chanteuse.
– Bien!
Je ne pus réprimer un petit sourire.
– Continuons maintenant vers cette allée ombragée juste en face, l’allée des Brouillards, avant de tourner dans la rue Girardon.
La rue Girardon
– Nous retrouvons d’abord à gauche la villa occupée par des artistes, prolongée par un jardin vers la rue Norvins et à droite un espace vert en partie loti d’une « folie ».
– Hein? Une folie?
– Oui!
– C’est ainsi qu’on appelait les résidences campagnardes que les nobles ou les grands bourgeois se faisaient construire à proximité des villes. Pompeusement appelée le « Château des Brouillards », cette demeure de style construite en 1772 fut habitée par Gérard de Nerval ou encore Renoir. C’était une « folie ». Les petits brouillards qui s’élevaient de l’abreuvoir par temps froid sont sans doute à l’origine de cette appellation quelque peu romantique.
– On peut entrer dans le square?
– Bien sûr, si tu veux. Le square Suzanne Buisson, résistante morte en déportation, est établi sur une partie de l’ancien parc du « Château » et comporte une petite fontaine surmontée d’une statue de Saint-Denis portant sa tête. La légende rapporte que Saint-Denis aurait nettoyé sa tête dans une fontaine contiguë à cet emplacement avant de poursuivre sa marche vers Saint-Denis. Nous en avions déjà parlé.
Au carrefour à gauche, on retrouve l’autre bout de la rue Norvins que nous avions assez vite abandonnée après la place du Tertre. Mais les derniers numéros de la rue ont été remplacés par la Place Marcel Aymé avec un mur traversé par une sculpture. Tu la vois?
– Oui, et il n’est pas difficile de comprendre l’allusion au roman de ce dernier: Le Passe-Muraille. Mais quel est le sculpteur?
– Je te le donne en mille.
– Non, je ne sais pas.
– C’est Jean Marais qui a ainsi représenté Marcel Aymé lui-même en Passe-Muraille.
– Ça alors! Je ne lui connaissais pas ces talents de sculpteur.
– Moi non plus, je dois te l’avouer…
Retour à la rue Norvins
Maintenant, nous allons provisoirement nous éloigner des moulins dont nous avons aperçu les ailes et remonter cette section de la rue Norvins jusqu’à l’angle avec la rue des Saules où nous étions tout à l’heure.
– Jusqu’à la Bonne Franquette alors ?
– Oui! Cette partie de la rue a conservé un air de village avec ses maisons qui se cachent derrière les jardins et les arbres. Avec un peu de chance, on entendra peut-être quelques oiseaux chanter.
Une autre « Folie » nous attend sur le côté gauche au n°22 derrière une grille: c’est la « Folie Sandrin ». Cette demeure campagnarde est devenue célèbre non seulement par son allure un peu pompeuse au milieu de maisons modestes, mais encore parce que, entre 1820 et 1847, elle a accueilli des personnes considérées comme folles que le Docteur Blanche s’efforçait de soigner par une écoute attentive. Gérard de Nerval fut l’un de ses hôtes les plus connus.
Face à cette « Folie », la Fontaine du Château d’Eau fut construite en 1835. C’est dans sa salle octogonale que se trouve le siège de la Commanderie du Clos Montmartre qui gère le vignoble.
– On peut pousser jusqu’à la rue Poulbot et l’Espace Dali que nous avons évoqués tout à l’heure?
– Je vois que tu commences à te repérer et que tu te rappelles de Francisque Poulbot, peintre et dessinateur des titis parisiens! C’est en 1967 que « l’Impasse Trainée » se vit baptisée « Rue Poulbot », vingt ans après le décès de celui qui fit beaucoup pour les enfants miséreux de la Butte. Elle ne comporte pas moins de cinq restaurants et c’est dans l’un d’eux, le « Tire-Bouchon » que Jacques Brel fit ses débuts dans les années 50.
Au n° 11, cet Espace présente l’unique exposition permanente en France consacrée totalement à Salvador Dali. Le musée comporte plus de 300 œuvres originales, en particulier des sculptures et gravures. Mais ce n’est pas à notre programme du jour!
Remontons vers la rue Norvins et rejoignons la Place Jean-Baptiste Clément. Je pense que ce nom te dit quelque chose, non?
– Euh… oui. Mais… pas moyen de m’en rappeler précisément.
– Mais si: ♫ Quand nous chanterons… ♪ Tiens voilà que c’est moi qui me mets à chanter maintenant…
– Ah oui! Le Temps des cerises!
– Je ne chante donc pas trop faux! Jean-Baptiste Clément était un chansonnier montmartrois, communard et militant du Parti ouvrier socialiste révolutionnaire (POSR). Il a également été brièvement Maire du XVIIIème arrondissement pendant la Commune. Il a survécu à cette sombre période, puisqu’il est décédé en 1903. Il est également l’auteur de « la Semaine Sanglante » écrite peu après la répression de mai 1871. Il a habité sur cette place, juste au bout de la rue Lepic.
Avant de rejoindre la rue Lepic, jetons un œil sur la rue de la Mire et ses escaliers sur la gauche. C’est l’une des plus petites rues de Montmartre. Autrefois appelée « Petite rue des Moulins » car elle conduisait vers la partie de la Butte où ceux-ci étaient les plus nombreux, elle est devenue rue de la Mire en 1877 en raison de la « Mire du Nord » érigée plus haut près des moulins en 1736.
– La Mire du Nord????
– Oui, oui, la « Mire du Nord ». Nous allons y revenir très vite quand nous passerons près des moulins encore existants.
La rue Lepic est longue et commence au bas de la colline, Place Blanche, où se trouve le Moulin Rouge, pour se terminer à la place Jean Baptiste Clément où nous nous trouvons. Elle a en outre la particularité de former trois angles droits, comme une route de montagne.
Les Moulins
Cette partie de la rue que nous arpentons suit le tracé de l’ancien sentier qui longeait le pied des moulins. Ceux-ci y étaient nombreux sur ces terrains très exposés au vent. On en comptait, semble-t-il, jusqu’à trente au milieu des vignes à la fin du XVIIème siècle et en tout cas au moins douze à la fin du siècle suivant. Presque tous, construits en bois, ont fait place à des immeubles. Le plus ancien le « Moulin Vieux » est né en 1591 et a disparu en 1860.
Puisque nous passons sous leurs fenêtres, il faut mentionner que Courteline, passionné de Montmartre, y vécut bien des années, notamment au numéro 89 de cette rue entre 1890 et 1903 et que l’écrivain Céline fut également un habitant de Montmartre, en particulier au numéro 98 de la rue, à l’angle de la rue Girardon, presque en face du Moulin Radet entre 1929 et 41.
– Si j’ai bien compris, il y a donc deux moulins survivants devant lesquels nous allons passer: le Radet et le Blute-Fin? Et le Moulin de la Galette, où est-il dans tout cela?
– L’histoire de tous les moulins est assez compliquée: ils ont changé de nom, de propriétaire, de fonction, de place… et ils ont bien sûr souvent été reconstruits au fil des siècles.
– Alors, déjà, le premier que nous voyons maintenant, à l’angle des rues Lepic et Girardon, c’est le Radet ou non?
– Ben… oui et non !
– Grrr…
– En réalité, le « vrai » Radet a été démoli en 1924 et remplacé par l’ossature d’un moulin sans mécanisme et qui donc ne tourne pas. Ce « nouveau » Radet a été restauré en 1978 et en particulier en 2001 avec la rénovation de ses ailes. Il comporte un restaurant au rez-de-chaussée.
– Et le Blute-Fin?
– Il est situé un peu plus loin, au n° 75, sur un monticule, dominant la rue. Il a été construit en 1622 sous un autre nom, le Moulin du Palais, puis Bout-à-Fin. Il a été plusieurs fois rénové, mais, sans changer de place. Il a hérité de son nouveau nom en 1795.
– Oui, « Blute-Fin », quel drôle de nom!
– Pas tant que ça, en fait! Le verbe « Bluter » signifie tamiser la farine pour la séparer du son. Il « blutait » donc finement. Mais c’est vrai que nous n’utilisons plus guère ce terme!
– Bon et son lien avec le Radet alors?
– Les deux moulins ont été acquis par une famille de meuniers, les Debray, entre 1809 et 1812 pour moudre du grain et presser le raisin de la vigne. En 1834 le Moulin du Radet fut alors amené à côté du Blut-Fin, comme nous l’avons déjà vu.
Les Parisiens venant en promenade sur la colline se virent bientôt proposer au Radet des galettes de seigle avec un verre de vin ou de lait. Transformé ainsi en guinguette, le Radet devint le premier Moulin de la Galette.
– Et d’un !
– Plus tard, en 1870, l’un des successeurs de la famille Debray installe une nouvelle guinguette au Blute-Fin et y ouvre un bal qui devient vite très populaire. En 1895, le « Bal Debray » ravit le nom de Moulin de la Galette au Moulin Radet et devient le « Bal du Moulin de la Galette ». Les nombreux artistes qui peindront soit le Moulin, soit le Bal (Renoir, Utrillo, Van Dongen, Lautrec, Van Gogh, Picasso…) contribueront à sa notoriété.
– Et de deux !
– Finalement on peut considérer soit qu’il n’y a toujours eu qu’un seul moulin dénommé « de la Galette » dans une période donnée, soit que le « Moulin de la Galette » est en fait un ensemble avec ses deux moulins, ses jardins, sa ferme et son bal populaire. C’est ce qui est le plus proche de la réalité aujourd’hui.
Toutefois, pour corser l’affaire, on peut préciser que le seul moulin historique est l’ancien Blute-Fin, qu’il a toujours son mécanisme en état de marche et a conservé sa petite habitation aménagée dans son pied qui est en maçonnerie. Mais il ne se visite pas!
La Mire du Nord
Nous avions évoqué la « Mire du Nord » en passant près de la rue de la Mire. C’est le moment de la présenter.
Ce petit monument est caché aux yeux du public car implantée dans le jardin privé du Moulin de la Galette près du Radet. Il a d’abord été un simple poteau en bois placé en 1675 pour indiquer la position du méridien de Paris côté nord. En 1736, Jacques Cassini remplacera ce poteau par un petit monument de 3 mètres de haut composé d’un parallélépipède surmonté d’une pyramide coiffée d’une fleur de lys devenue un fer de lance en 1840. La Mire du Nord a été classée aux Monuments historiques en 1934.
Sa construction s’inscrit dans le cadre de la réalisation d’une description géométrique du Royaume et l’établissement de la première carte topographique à l’échelle de la France (Carte de Cassini) au XVIIIème siècle. De nombreux autres points d’observation ont été ainsi installés en France. La Mire du Nord va servir à l’observation du méridien de Paris allant de Dunkerque à Perpignan. Pour la petite histoire, le méridien de Paris avait l’antériorité sur celui de Greenwich, mais s’est fait ravir la place de méridien d’origine ultérieurement lors d’une conférence internationale à Washington en 1884.
– Il doit exister une « Mire du Sud » alors ?
– Tout à fait: elle a été placée dans les jardins de l’observatoire de Paris en 1806 avant d’être transférée au Parc Montsouris.
– Que ne découvre-t-on pas en visitant Montmartre! Je n’en reviens pas et je suis sûr qu’il reste beaucoup à faire en ces lieux si riches d’histoire et de culture.
– Pour le moment, je te propose, après cette longue pérégrination, de faire une pause au Moulin de la Galette, sur ce lieu des plus célèbres de Montmartre, avant de reprendre notre exploration.
– Oui, j’ai besoin de digérer un peu.
– Mais tu n’en es pas quitte pour autant…
Alors, à la prochaine!
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Magnifique ballade au cœur d’un quartier magnifique de notre belle capitale !
Cette découverte passionnée des secrets d’alcôve de la vile dans laquelle j’habite depuis plus de 30 ans et que je connais encore si mal m’a donnée envie, les beau jours arrivant, de chausser une bonne paire de chaussures et de suivre l’itinéraire proposé…
Je vous enverrais quelques photos si j’y pense et si je trouve quelques curiosités au passage !
eh bien pourquoi pas ? on peut toujours approfondir. en tout cas merci à Robert et Lilas pour leurs appréciations.
Ballade à travers Paris vraiment passionnante !
Je connais bien le quartier de Montmartre et j’ai pourtant appris plein de choses…
Merci pour nous offrir ce genre de publications. Votre site est géniale !