Fouquet : Quand la vanité mène tout droit au cachot
En cette journée pluvieuse du 9 mars 1661, le cardinal Mazarin vient d’avoir la bonne idée de mourir. Quelle bonne nouvelle pour Nicolas Fouquet! À l’âge de 47 ans, il profite ainsi d’une promotion éclair en devenant le premier conseiller de Louis XIV. En cela, il rend honneur à sa devise de toujours: « Quo non ascendum? », littéralement: « Jusqu’où ne monterai-je pas? ». Oui, la modestie n’est pas vraiment une qualité dont Fouquet souhaite s’embarrasser…
Pourtant, sur son lit de mort, Mazarin mit en garde le roi contre cet homme trop ambitieux. Ses fonctions de surintendant des Finances lui a en effet permis d’accumuler trésors et richesses. Certaines mauvaises langues insinuent même qu’il est devenu plus riche que le roi lui-même! Et son magnifique château de Vaux-le Vicomte qui n’a pas grand-chose à envier à celui de Versailles plaide en ce sens…
Fouquet ne le sait pas encore, mais c’est justement sa mégalomanie qui le conduira tout droit à sa perte…
Quelques mois après la mort de Mazarin, le 17 août 1661 précisément, Fouquet invite Louis XIV et sa mère Anne d’Autriche à une fastueuse fête, et il ne lésine pas sur les moyens pour en mettre plein les yeux au Roi! Les deux invités d’honneur viennent accompagnés d’une poignée d’amis… à peine 600. Une bagatelle!
Un buffet somptueux est servi par François Vatel, le maître de maison, à cette foule qui n’eut pas souvent l’occasion de participer à un tel festin. Tout contribue à faire la démonstration de la richesse et de la puissance de leur hôte. C’est bien simple, même Louis XIV en personne n’aurait pas les moyens d’organiser un événement si somptueux!
Et Le Brun, le décorateur de Fouquet, en rajoute une petite couche en expliquant au roi la signification des multiples statues des jardins du château, chacune à la gloire du surintendant qui se fait appeler « Monseigneur »!
En guise de digestif, en toute simplicité (sic), une comédie est jouée par Molière en personne, accompagnée musicalement par un orchestre dirigé par Lully… Et pour clore le spectacle, un gigantesque feu d’artifice est tiré pour le plaisir des yeux.
Quelle soirée délicieuse! Tous les invités sont ravis et littéralement hypnotisés par ce spectacle inouï. Tous? Non! Louis XIV, lui, se sent profondément humilié. Qui est-il, ce Fouquet, pour se permettre de faire de l’ombre au Roi-Soleil en personne, je vous le demande? Le roi est à ce point en colère que, selon certaines sources, il aurait même envisagé de quitter les lieux avant la fin du spectacle et c’est sa mère Anne d’Autriche qui l’en aurait dissuadé…
Le domaine de Vaux-le-Vicomte
Le roi fulmine. C’est décidé, il aura la peau de son conseiller. Il ne peut y avoir qu’un seul Soleil qui règne sur la France!
Naïvement, Fouquet enchaîne les maladresses. Est-il alors conscient qu’il est dans le collimateur royal? Sans aucun doute, et c’est probablement pour cette raison qu’il lance de grands travaux sur les murailles de son domaine de Belle-Ile-en-Mer, histoire de se garantir une retraite sécurisée au cas où la situation tournerait au vinaigre. Au passage, il aurait même pris contact avec Laurent Voulzy pour mettre son île bien-aimée en chanson, mais pour être totalement honnête cette question semble encore faire débat parmi les spécialistes.
Ces énormes travaux sont vécus comme la provocation de trop par Colbert et Louis XIV. Ce dernier décide de la jouer finaude. Et il a bien raison! Car Fouquet dispose d’amis puissants, et, surtout, possède la charge de procureur général qui ne le rend justiciable que devant le Parlement, et non devant la justice ordinaire… Et une grande partie des parlementaires sont justement des amis intimes de Fouquet… On comprend mieux pourquoi celui-ci se sent intouchable!
Le roi évite donc de s’engager dans un combat frontal à l’issue incertaine… Il préfère inviter Fouquet à Versailles, l’air de rien. En tête à tête dans son bureau, il fait alors à son ennemi une proposition alléchante: le poste de chancelier!
Devenir premier officier de la couronne, voilà une perspective qui flatte l’ego du bonhomme… Seul obstacle: pour être nommé chancelier, Fouquet doit vendre sa charge de procureur… ce qu’il s’empresse de faire et donne, au passage, la modique somme d’un million de livres (pas des bouquins!) au roi. Et voilà notre Fouquet, satisfait du devoir accompli, qui attend patiemment que le roi tienne sa promesse…
L’écureuil, thème omniprésent à Vaux-le-Vicomte, symbole de la famille Fouquet
Les jours passent. Et Fouquet, mon brave Fouquet, ne voit toujours rien venir. Il ne voit que le soleil qui poudroie et l’herbe qui verdoie…
On imagine tout ce qui doit se passer dans l’esprit du malheureux Fouquet… Pourtant, bien qu’inquiet, il se croit toujours intouchable. C’est donc l’esprit serein qu’il se rend auprès du roi qui l’a convoqué dans son château de Nantes. La discussion se passe bien, et les deux hommes échangent des rapports cordiaux. Louis XIV le rassure même sur sa nomination en tant que Chancelier qui ne devrait pas tarder…
Le cœur plus léger, il sort du bureau du roi… et est arrêté immédiatement par un certain mousquetaire nommé d’Artagnan! Le fourbe de Louis XIV jubile et se félicite du piège qu’il a tendu à son ennemi!
S’ensuit un procès que le roi pense gagné d’avance. Mais… il y a encore un os! Le juge qui s’occupe de l’affaire fait un excès de zèle et mène un réel travail d’investigation, le con! Ses conclusions sont sans appel: même si l’on ne peut nier que Fouquet se soit fortement enrichi de par ses fonctions de surintendant des finances, il ne peut être prouvé des malversations très importantes… Après tout, Mazarin lui-même avait accumulé plus de 35 millions de livres (toujours pas les bouquins!) de fortune personnelle, ce qui représente une somme bien plus importante que la fortune personnelle de Fouquet, estimée à seulement 15 millions de livres (pas les bouq… bon, OK, je crois que vous avez compris). Quant aux accusations, plutôt farfelues, de traîtrise et de plan de rébellion, elles tombent à l’eau faute de preuves. p>
En décembre 1664, après 3 ans d’instruction, le verdict tombe. Le juge se contente de confisquer tous ses bien et de bannir Fouquet du Royaume. Le bougre l’a échappé belle: sur 20 magistrats, 9 votèrent pour la peine de mort…
Nicolas Fouquet
En apprenant la nouvelle, Louis XIV rentre dans une colère noire! Pour lui qui a tant manigancé pour avoir la tête de Fouquet, cette sentence est un véritable camouflet!
Sans perdre une minute, il se sert de ses prérogatives pour transformer le bannissement en détention à perpétuité dans la forteresse de Pignerol. Fouquet y mourra une quinzaine d’années plus tard.
Il comprit, mais un peu tard, qu’on ne peut faire d’ombre au Soleil.
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Quel plaisir de lire ce que vous écrivez!
On vous lit comme un roman et c’est bien plus digest qu’un livre d’histoire. On a l’impression de se « culturer » sans travailler!
Bravo bravo bravo!!!!
J’en veux encore plein d’autres!!!
J’étais déjà au courant de la cabale contre ce pauvre Fouquet.
Il n’était pas pire que les autres de son époque, il a simplement eu la malchance de se mettre à dos Louis XIV à cause d’une soirée un peu trop fastueuse.
Ca me ferait presque penser à des hommes politiques d’aujourd’hui 😕
Je connaissais l’histoire, mais vous lire est toujours très agréable.
Deux mois que je ne suis pas passé dans le coin et j’ai des dizaines d’articles de retard!!
Concernant Fouquet, il me semble que sa devise était plutôt « Quo non ascendet », ie. « Jusqu’où ne montera-t-il pas? ». Bon, la différence est mince mais je souhaitais le souligner. Ce n’était d’ailleurs pas sa devise personnelle mais celle de sa famille.
D’après Mazarin, Fouquet avait deux défauts: « les bâtiments, et les femmes ». pour les bâtimlents, on pense bien sûr à Vaux-le-Vicomte. Pour les femmes, c’est parce qu’il a été le soupirant de Madame de la Vallière, maîtresse de Louis XIV. Ca n’a donc pas plu au Roi-Soleil, et certains historiens pensent même que c’est cet aspect-là et non son magnifique château qui a amené Louis XIV à vouloir la peau de Fouquet.
La fête du 11 juillet n’est à mon avis que la « goutte d’eau » qui a fait déborder le vase. Fouquet était dans le collimateur royal depuis déjà plusieurs mois voire années (mais ce point est encore débattu je pense).
Dernière anecdote pour la route: l’acte de décès de Fouquet n’a jamais été retrouvé… Une légende s’est donc forgée autour de la mort mystérieuse de Fouquet, certains accusant Louis XIV de l’avoir fait assassiner.
Bon article sinon, bien documenté et très agréable à lire!
Un rapport avec le Fouquet’s (le restau parisien)???
Aujourd’hui, c’est plutôt: « quand la vanité mène tout droit à la tête de l’UMP »… 😥
J’ai lu une version un peu différente concernant les raisons de la véritable haine que vouait Louis XIV à Fouquet. Cette raison est fort charmante et se nomme Louise de la Valliere…
Louis XIV a alors 20 ans et son sang bouillonne dans ses veines. Il multiplie les conquêtes et, après s’être amouraché d’Henriette d’Angleterre (accessoirement épouse de Monsieur, surnom donné au frère du roi), l’écho de son idylle pour Madame parvient jusqu’aux oreilles du mari cocu (donc de Monsieur, vous suivez toujours?).
Non pas que Monsieur s’en soucie, trop occupé qu’il est à s’occuper de ses mignons et à leur apprendre le vice italien… (la sodomie, quoi, appelons un chat un chat!). Mais quand bien même, se faire cocufier par son propre frère n’est jamais très glorieux. Alors Monsieur écrit au roi pour que cesse cette infamie.
La reine mère, Anne d’Autriche, soutient son fils cadet et demande elle aussi à Louis quatorze du nom de se trouver une autre maîtresse qui siérait plus à son rang…
Mais Louis et Henriette n’ont guère envie de se soumettre aux demandes de cette encombrante famille. Reste qu’il faut donner le change, au risque d’ écorner l’image royale. Henriette souffle une idée à son amant: et s’il feignait de tomber amoureux d’une autre courtisane, voilà qui ferait taire les ragots! Et de lui glisser à l’oreille le nom de Louise de la Vallière… Henriette juge cette dernière bien trop l’aide pour qu’elle puisse intéresser sérieusement son royal amant.
Erreur de jugement! Mauvaise intuition féminine! Sans le savoir, Henriette vient de jeter dans les bras de Louis XIV une demoiselle qu’il va bientôt aimer éperdument!
Bientôt, toute la cour est au courant de l’histoire d’amour entre le roi et Mlle de la Vallière qui vivent leur histoire d’amour au château de Fontainebleau. Fouquet apprend la nouvelle par son réseau d’informateur et, comprenant toute l’influence que la nouvelle maîtresse de Louis XIV exerce sur le roi, décide de s’en faire une alliée.
Hélas, il est fort maladroit dans son entreprise et, pensant qu’elle se fait courtiser à des fins peu orthodoxes par Fouquet, Mademoiselle va tout raconter au roi.
Louis XIV rentre dans une colère noire! Ce fourbe de Fouquet ose draguer sa maîtresse au nez et à la barbe de tous!
Peu de temps après, il fait arrêter son rival à Nantes…
Morale de l’histoire: c’est l’amour du roi pour La Valliere, et non l’argent, qui mena ce pauvre Fouquet à sa perte…
Évidemment, vous n’etes pas obligés de me croire…
Non c’est manque d’argent dans le trésor royal qui decide Louis XIV de faire arreter le malheureux Fouquet. Lisez plutôt le magnifique livre de Simone Bertiere sur le procès de Nicolas Fouquet