Depuis les années 80, c’est toujours la même histoire : chaque premier mai, on a le droit à une récupération politique de la figure de Jeanne d’Arc, notamment par le Front National. Il n’y a absolument aucune raison historique à cela, aucune action marquante de sa vie n’ayant eu lieu un premier mai. Et puis, le 8 mai est déjà la « Fête nationale de Jeanne d’Arc et du patriotisme », en souvenir de la libération d’Orléans par l’armée française le 8 mai 1429, sous le commandement de la Pucelle d’Orléans.
(qui n’était d’ailleurs pas d’Orléans mais de Domrémy… allez comprendre)

Pourquoi a-t-on donc besoin de commémorer sa mémoire une semaine avant sa fête nationale ? Tout simplement parce que Jeanne d’Arc est devenue une figure iconique à qui l’on fait dire à peu près ce que l’on veut…

Avant elle, c’est à Clovis que le FN rendait hommage. Il est vrai que ce roi est un très beau symbole des valeurs de la France… Ce n’est pas un hasard si le 25 décembre 498, jour de son baptême, fait partie des dates de l’Histoire les plus enseignées à l’école ! Mais si, rappelez-vous… N’avez-vous pas appris que, grâce à ce geste fort de Clovis, tous les Francs se convertirent au Christianisme, signant l’acte de naissance de la France ?
Ce serait une bien belle histoire, bien sûr, si seulement c’était vrai… Car parler de « France » au Ve siècle est totalement anachronique. À cette époque, et encore pour très longtemps, on a bien d’autres chats à fouetter que de se réclamer de la « nation » française… Mais si vous voulez mon avis, la vraie raison pour laquelle le Front National (et les autres) ont arrêté de parler de Clovis à tout bout de champ, c’est qu’il ne vend pas vraiment du rêve… Difficile de fédérer un parti politique autour de son nom, jugez plutôt :

Pour moi, le match est gagné d’avance…

Notez bien qu’un troisième larron aurait aussi pu participer au concours des personnages historiques à qui on peut faire dire n’importe quoi… J’ai nommé Charles Martel ! C’est bien lui qui, comme tous les écoliers le savent, « arrêta les Arabes à Poitiers » en 732. Mais la ficelle eut sans doute était jugée trop grosse…

(au cas où vous en douteriez, c’est légèrement plus compliqué que ça… cf. l’article : Les Arabes arrêtés à Poitiers… Dommage ?)

Parce qu’il n’y a pas d’autres candidat(e)s sérieux, on ressort donc Jeanne d’Arc des cartons. C’est qu’elle est très pratique, cette brave Jeanne. D’abord, et cela ne vous aura sans doute pas échappé, c’est une femme. Flatter les féministes ne mange pas de pain et permet de glaner quelques voix ici et là :

Elle n’avait pas attendu l’égalitarisme des sexes pour monter à cheval et manier l’épée. Elle n’avait pas espéré la parité pour commander aux hommes et prendre la direction d’une armée. Elle n’avait pas attendu la libération de la femme pour donner sa vie à la libération de la France. Quel exemple pour toutes les femmes de France !

C’est pas moi qui le dis, mais Marine Le Pen, le 1er mai 2015. Avant d’ajouter…

À l’instar de Jeanne, nombreuses sont les femmes illustres qui ont marqué le roman national de leur empreinte.

(sous-entendu, « je veux en être ! »)
(mouais, oubliez ce que j’ai dit un peu plus haut sur les ficelles un peu trop grosses…)

Il faut dire qu’elle séduit à peu près tout le monde, la Jeanne.
À gauche, on pense à ses origines modestes… Une paysanne qui aide un roi à garder son trône, c’est un beau modèle de réussite !
À droite, elle est érigée en symbole protecteur d’un pays assailli par les étrangers. Eh oui, quand le pays est livré à « l’Étranger » (ici, les Anglais) par les politiques (ici, la noblesse), c’est le petit peuple (ici, Jeanne d’Arc) qui prend les armes et sauve la nation française…

Ceci dit, la propagande autour de la Pucelle d’Orléans ne date pas d’hier… Rappelons-nous de la propagande du régime de Vichy qui, après le bombardement de Rouen durant la « semaine rouge » (du 30 mai au 5 juin 1944), placarda une affiche au slogan on ne peut plus clair : « les assassins reviennent toujours sur le lieu de leur crime ». L’image d’une Jeanne d’Arc qui plane au-dessus d’une ville en flamme nous rappelle que c’est dans cette même ville de Rouen que Jeanne, aux mains des Anglais, mourut sur le bûcher…

En réalité, c’est Michelet qui, en 1841, transforma radicalement la figure de Jeanne d’Arc. Dans son livre V de l’Histoire de France, tout y est : l’héroïne incarnant le peuple, les origines modestes et provinciales, son manque de culture, sa naïveté religieuse,…
C’est Michelet qui écrit :

Souvenons-nous toujours, Français, que la patrie chez nous est née du cœur d’une femme, de sa tendresse et des larmes, du sang qu’elle a donné pour nous.

L’historien a, une fois de plus, oublié sa rigueur scientifique au fin fond de son placard… Mais la formule fait mouche ! Plus de 150 ans plus tard, on nous ressert la même rengaine…

En idéalisant la figure de Jeanne d’Arc, le Front National s’inscrit donc seulement dans la continuité d’un long mouvement de réappropriation de l’Histoire. Seuls les imbéciles se laisseront prendre au piège. Rien de bien nouveau sous le soleil de mai…