La chanson de Roland…
Tout, tout, vous savez maintenant tout sur la vie sexuelle de Charlemagne. Mais parce qu’il n’y a pas que le sexe dans la vie (si, si, je vous jure!), intéressons-nous aujourd’hui à une des plus grandes légendes de l’Histoire de France dont la glorieuse chanson a traversé les siècles: la bataille de Roncevaux et la mort de son célèbre héros Roland. Le rapport avec Charlemagne? Vous allez vite le saisir!
La soumission des Saxons à Charlemagne, par Ary Scheffer (1840)
Nous sommes en l’an de grâce 777. Celui qui n’est pas encore l’empereur Charlemagne vient de remporter une grande bataille contre les Saxons. Les frontières nord-est de son royaume étant maintenant à eu près consolidées (il ne le sait pas encore, mais il devra composer avec une révolte saxonne dès l’année suivante), le regard du monarque se tourne vers l’Espagne alors sous domination musulmane…
Le contexte politique espagnol est explosif. L’émir de Cordoue et celui de Saragosse se livrent une lutte à mort, sur fond de confrontation entre les dynasties musulmanes des Omeyyades et des Abbassides. On imagine donc facilement la surprise de notre bon vieux Charles quand il voit arriver dans son palais de Paderborn (dans l’Allemagne actuelle) l’émir de Saragosse Sulayman ibn al-Arabi qui lui demande humblement son aide pour détruire l’influence de son rival Abd al-Rahman al-Daklil!
Pourquoi Charlemagne refuserait-il cette proposition? Il ne voit en réalité que des avantages à cette alliance. Mieux, il espère bien que cette campagne militaire lui permettra d’étendre ses frontières. Après tout, une fois Abd al-Rahman vaincu, qui l’empêchera de mettre la pâtée à al-Arabi? Bouter les musulmans hors d’Espagne, voilà une perspective qui enchante le roi chrétien!
Mais, ce dont Charlemagne ne se doute pas, c’est qu’al-Arabi ne joue pas tout à fait franc-jeu avec lui… L’aide qu’il demande au roi des Francs fait partie d’une machination diabolique! Pour la comprendre, il nous faut entrer un peu plus dans le détail des relations entre les deux émirs ennemis.
statue d’Abd ar Rahman Ier en Espagne. Source.
Récapitulons les enjeux.
À ma gauche, l’émir de Saragosse Sulayman al-Arabi, fidèle à la dynastie de Abbassides.
À ma droite, l’émir de Cordoue Abd al-Rahman Ier, fidèle à la dynastie des Omeyyades.
Al-Arabi le sait, il est en fâcheuse posture face à la puissance de Cordoue contre qui il ne peut rivaliser militairement. Alors, quand il capture l’émissaire envoyé par Cordoue, le général Talaba, censé entamer les pourparlers avec lui, il commence à prendre peur… A-t-il pris la bonne décision? Comment va-t-il réussir à contenir la fureur d’ Abd al-Rahman qui risque de s’abattre sur lui à tout moment?
Un éclair de génie lui traverse l’esprit… Et s’il rejetait la responsabilité de ses agissements sur Charlemagne? Après tout, il lui suffirait d’attirer l’armée franque jusqu’aux portes de Saragosse pour prouver à Cordoue qu’il est en proie à une invasion de l’ennemi chrétien! Ni vu, ni connu, j’t’embrouille!
Sans perdre une minute, il se rend aux côtés de Charlemagne. Le pauvre bougre, aveuglé par ses victoires récentes et croyant en sa toute-puissance, ne se méfie pas une seconde et mord à l’hameçon! Pour ferrer le poisson, al-Arabi promet même de lui livrer des otages dès son entrée en Espagne… Notre bon vieux Charles est donc bien loin de se douter du piège implacable dans lequel il se jette les yeux fermés!
Parviendra-t-il à se tirer de ce mauvais pas? Le suspense est à son comble! La suite, au prochain numéro…
…mais non, je plaisante. Ce n’est pas mon genre de vous laisser sur votre faim comme ça, voyons!
Soutenu par le Pape, donc, Charlemagne s’apprête à lancer ses troupes contre les Infidèles espagnols. Il décide de diviser son armée en deux. Il prend la tête de la première, direction Pampelune via un col que vous connaissez bien: le col de Roncevaux! Mais, chut, laissons les événements se dérouler tranquillement… La seconde armée se dirige vers Barcelone via la Catalogne.
À peine pose-t-il un pied en Espagne que Charlemagne sent bien que la situation lui échappe. Entre les Vascons, les Mozarabes (nom donné aux chrétiens vivant sur le sol de la péninsule ibérique) les Ommeyyades, les Abbassides, les chrétiens convertis et j’en passe, le roi Franc a bien du mal à y voir clair! Pourtant, il n’est pas encore l’heure de se poser des questions et, gardant pleinement confiance en l’émir al-Arabi, il continue sa route vers Saragosse… Sans doute la jonction de ses deux armées juste avant d’arriver à destination lui redonne un peu confiance… Mais cela sera-t-il suffisant? Permettez-moi d’en douter…
Arrivé aux portes de Saragosse, comme promis, al-Arabi lui remet des otages, dont le général Talaba, bien sûr! Charlemagne n’a pas conscience à quel point ce cadeau est empoisonné. Petit à petit, le piège se referme sur le futur empereur. Dès qu’il s’approche des remparts de la ville, quelle n’est pas sa surprise de trouver portes closes et d’essuyer une volée de flèches! Son ancien « allié » se transforme en ennemi à combattre… Charlemagne comprend, mais bien trop tard, qu’il est tombé dans un piège. Il faut maintenant réagir et prendre les bonnes décisions.
L’armée de Charlemagne contre les Sarrazins, miniature d’un manuscrit du XVe, bibliothèque nationale de Turin
Le plan d’al-Arabi fonctionne à merveille! L’armée de Cordoue avance promptement pour libérer le général Talaba des mains des Francs. Pour parfaire l’illusion et retrouver bonne grâce aux yeux d’Abd al-Rahman, al-Arabi est même arrêté par l’armée de Charlemagne. Dans ce contexte, comment le puissant émir de Cordoue pourrait bien lui en vouloir? Al-Arabi jubile…
Pour le roi Franc, par contre, l’heure n’est pas à l’excès de zèle. Prise en étau, son armée doit se tirer de ce mauvais pas le plus promptement possible. Il divise de nouveau son armée en deux, chacune reprenant le chemin qu’elle avait emprunté à l’aller. Charlemagne doit donc repasser à travers le pays basque où les Vascons l’accueillent bien moins chaleureusement qu’à l’aller! Qui est-il, ce roi Franc, pour tenter de bouleverser le délicat équilibre entre leur peuple et les Musulmans? La population locale se pose la question.
Deux armées à ses trousses et un territoire hostile à traverser! Mais que diable est-il donc allé faire dans cette galère! Notre bon Charles ne perd néanmoins pas espoir. Pour montrer qu’il n’est pas là pour faire de la figuration, il rase la ville de Pampelune et pille quelques richesses au passage. Au moins n’est-il pas venu pour rien!
Al-Arabi et le général Talaba sont toujours les captifs du roi chrétien. Mais les fils de l’émir de Saragosse organisent une opération éclair et parviennent à délivrer leur père. Quant à Talaba, bien sûr, ils le laissent bien sagement aux mains de Charlemagne: il en sait beaucoup trop sur les petites manigances d’Al-Arabi et pourrait aller se plaindre auprès de l’émir de Cordoue!
Mort de Roland en 778, par Michallon Achille-Etna
L’armée franque traverse sans encombre le col de Roncevaux. Mais pour l’arrière-garde – dirigée par un certain Roland… – c’est une toute autre histoire! Les chemins des Pyrénées ne sont pas bien pratiques lorsqu’on doit traîner des chariots remplis du butin de Pampelune… Le col de Roncevaux est l’endroit parfait pour ses ennemis – une alliance de fortune composée des hommes d’al-Arabi et de brigands basques – qui monte une embuscade en bel uniforme en belle et due forme. L’arrière-garde n’a absolument aucune chance de remporter l’escarmouche et se fait massacrer.
Quelle importance pour Charlemagne? Absolument aucune! Le plus important est bien sûr d’être parvenu à s’extirper du piège espagnol sans y avoir laissé trop de plumes. Quelques hommes morts, quelques chariots remplis d’un peu d’or perdus, en voilà bien peu pour lui entamer le moral! En attendant, il a d’autres chats à fouetter: il vient d’apprendre que les Saxons sont en train de mener une révolte. Ah… Les Saxons. Enfin un ennemi simple à combattre!
La brèche de Roland. Selon la légende, c’est Roland qui aurait fendu la montagne d’un coup d’épée avant sa mort!
Qu’on se le dise, la bataille du col de Roncevaux est un épisode d’une importance moindre. Pourtant, elle est glorifiée par les chroniqueurs de l’époque. Sous la plume d’écrivains médiévaux bien peu soucieux d’écrire des fariboles, Roland devient un héros de guerre qui succomba de ses blessures après avoir tué des centaines – que dis-je, des milliers! – que dis-je, des centaines de milliers! – de Sarrasins armés jusqu’aux dents à l’aide de son épée mythique Durandal! D’un troufion obscur de l’armée franque, il devient le neveu de Charlemagne en personne!
Deux siècles après l’épisode, en 1065, voilà même une chanson à son nom… ouf, l’honneur chrétien est sauf! La propagande est en marche…
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Cool!!!!!
Super histoire, je ne la connaissais pas du tout.
Tous les trucs qui me paraissaient chiants avant passent super bien avec vous.
Vous devriez être sponsorisés par l’éducation nationale 😀
Tchuss
Juste pour corriger:
« Mais les fils de l’émir de Cordoue organise une opération éclair et parvienne à délivrer leur père. »
–>
« Mais les fils de l’émir de Cordoue organisent une opération éclair et parviennent à délivrer leur père. »
Effectivement… Heureusement que vous êtes là pour corriger mes fautes!! 🙂
Extrêmement intéressant. La chanson de Roland et son épée Durandal sont un peu moins connues que la légende d’Arthur et son épée Excalibur, mais il existe des similarités entre les deux légendes à bien des égards.
D’ailleurs, il me semble que c’est Chrétien de Troyes qui a popularisé Arthur à peu près à la même époque où la chanson de Roland a été écrite.
Apparemment, le Moyen-Age avait besoin de héros à glorifier! (faut dire qu’ils n’avaient pas Secret Story, eux. Ils devaient bien s’emmerder.)
[Et pour les bouchés, ma dernière phrase était ironique :cool:]
Entre les Abd-el-Machin et les al-Arabi-malekoum, j’ai eu un chouïa dumal à suivre…
En gros, si j’ai bien compris, je résume la situation:
Saragosse veut faire comme les grands et s’opposer à Cordoue. Sauf qu’au dernier moment, il se chie dessus et il a peur des représailles.
Du coup, il appelle Charlie pour montrer que c’est pas sa faute à lui, c’est la faute aux putains de bouffeurs de camembert.
Charlie il y voit que du feu et il s’enfuit la queue entre les jambes. Il traverse les Pyrénées (en zigouillant 2-3 basques au passage qui gardaient avec amour leur troupeau de brebis)
Lui il passe, mais ce con de Roland est à la traîne et se fait zigouiller à Roncevaux, mais Charlie il s’en bat les couilles parce que lui il en est sorti vivant.
Histoire de se remonter le moral, il s’en va guerroyer de nouveau contre les Saxons.
J’ai juste? Vous voyez, ça servait à rien de vous prendre la tête à en écrire 3 tartines, quand c’est moi qui explique, on comprend tout de suite mieux!!!!!!!
Personnellement, j’aurais plutôt nommé cet article « Les origines de la chanson de Roland ». En effet, à aucun moment vous ne mentionnez ne seraitce qu’une seconde le contenu de la chanson de Roland qui est bien différent de l’histoire originelle qui s’est réellement passée:
1. La trahison de Ganelon : Ganelon, beau-frère de Charlemagne et beau-père de Roland, jaloux de la préférence de Charlemagne envers son neveu auquel l’empereur a confié l’arrière-garde de ses armées, trahit Roland. Il intrigue avec le calife Marsile, roi des Sarrasins pour s’assurer de la mort de Roland.
2. La bataille de Roncevaux : Roland et son compagnon le chevalier Olivier meurent dans la bataille ainsi qu’un grand nombre de Sarrasins et de Francs.
3. La vengeance de Charlemagne sur les Sarrasins : Roland avait sonné du cor pour alerter Charlemagne mais quand ses armées arrivent pour secourir l’arrière-garde, le comte est déjà mort. Charlemagne venge alors son neveu en battant les Sarrasins avec l’aide de Dieu.
4. Le jugement de Ganelon : Après la bataille, Charlemagne fait juger Ganelon qui est condamné à mourir écartelé.
L’histoire est totalement romancée, voire même grotesque à certains moments. Ceci dit, je ne remets en rien en question la qualité de l’article, juste que le contenu n’est pas représentatif de son titre…
J’ajouterai que Sulayman al-Arabi ne s’en sort pas indemne: de retour chez lui, il est trahi et assassiné par un de ses amis Husayn de Saragosse.
Comme quoi, il y a une justice!
Personnllement, quand je vois la puissance des Omeyyades (qui possédaient la quasi-totalité de la péninsule ibérique), j’ai du mal à comprendre comment l’émir de Saragosse a même osé penser qu’il pouvait vaincre.
Je croyais que Chares Martel avait arrêté les arabes en 732 à Poitiers.
Ah, non, on me dit dans l’oreillette qu’il les a arrêtés seulement à moitié!
Euh, je crois qu’il y a un échange:
« Al-Arabi et le général Talaba sont toujours les captifs du roi chrétien. Mais les fils de l’émir de Saragosse organisent une opération éclair et parviennent à délivrer leur père. »
et non pas
« Mais les fils de l’émir de Cordoue »
(À ma gauche, l’émir de Saragosse Sulayman al-Arabi, fidèle à la dynastie de Abbassides.)
Bien vu, John! C’était pour voir si vous suiviez! 😛
Je corrige de ce pas…
Est ce que c’est possible de mettre le temps de l’ action du livre la chanson de Roland
C’est ce qu’on dit toujours ça 😮
J’adore!
Merci
« ouf, l’honneur chrétien est sauf! La propagande est en marche… » jusqu’à ce que la propagande actuelle la remplace…
« les chrétiens vivant en Espagne… » Vous voulez dire les Espagnols? Qui mettront 400 ans à se débarrasser de l’occupation musulmane.
Bonjour . Auxerre , fin de l’expédition en Espagne, est sur la longitude du Cap D’Agde . Vos prenez une carte de la région , vos mettez 20k dans votre sac sur votre dos et vous vous dites étant à Saragosse , quelle foute vais je prendre pour aller au Cap d’Agde (ou Auxerre). Marci de la réponse . Lire ensuite pourquoi Roncevaux est il en France? Sur google