La controverse de Valladolid… ou pourquoi réduire les Indiens en esclavage, c’est mal, mais pas les Africains
Préambule
Mardi dernier, j’ai posté une courte publication sur Facebook sur la controverse de Valladolid:
Vous avez été nombreux à réagir, et pas toujours positivement!
Honnêtement, je ne m’attendais pas à ce déchaînement de violence. Les arguments qui m’ont fait le plus bondir ont été ceux du genre:
« Les indiens se défendaient la ou les africains se vendaient entre eux pour de la pacotille »
(3615 cliché raciste, bonjour)
« toujours les occidentaux les méchants et les noirs et arabes si gentils .. marre de leur discours »
(« leur » discours ?)
(encore un coup des Illuminati ?)
« On parle toujours de l’esclavage subiT par les noirs, sans jamais parler de celui subiT par les blancs, et aussi terrible ! »
(j’imagine que ce commentaire fait référence à la traite des esclaves de Barbarie – un peu plus d’un million d’Européens furent réduits en esclavage sur le littoral maghrébin aux XVIe et XVIIe siècle)
(on en parlera un jour sur le blog)
(mais pourquoi diable chercher à tout prix à mettre une échelle dans l’horreur?)
« l’auteur ne connaît pas le commerce triangulaire? »
(tiens, cette technique pour discréditer son opposant, on en a parlé dans 15 techniques infaillibles pour prendre votre interlocuteur pour un con…)
Donc, en gros, tu parles de l’esclavage au XVIe siècle et tu te fais traiter de lobbyiste-complotiste anti-Occident…
#ToutVaBien
Ceci dit, il est vrai que ma publication sur Facebook n’était pas assez détaillée. Par souci de concision, elle use de raccourcis qui ne sont pas fondamentalement faux, mais pour le moins réducteurs.
La controverse de Valladolid est un sujet suffisamment important pour qu’elle mérite un long article, et pas un simple post de quelques lignes… Aujourd’hui, on répare cette erreur.
C’est parti pour une plongée dans le XVIe siècle !
Le Nouveau Monde vient tout juste d’être découvert par un certain Christophe Colomb (1492). Le choc est immense, à peu près équivalent à celui qu’on aurait aujourd’hui si on découvrait que Mars était une planète luxuriante et hospitalière, peuplée par des gens bizarres qui ressemblent (un peu) à des humains.
Comment réagirions-nous ? Difficile à dire…
Au XVIe siècle, époque beaucoup moins évoluée que la nôtre, comme chacun sait (hum, hum), on choisit la guerre. Méticuleusement, doucement mais sûrement, la population indigène est décimée par les maladies que les Européens apportent sur le continent américain, la rougeole et la variole
(ce qui peut être considéré comme la première utilisation d’une arme bactériologique à grande échelle)
ainsi que par des massacres en bonne et due forme.
Notez bien que tous les Indiens ne sont pas tués
(on n’est pas des monstres, quand même)
et les survivants des massacres sont enrôlés de force dans le système de l’encomienda mis en place à partir de 1503: on les regroupe par centaines et on les oblige à bosser par centaines dans les mines et dans les champs.
ATTENTION ! Cela n’est pas considéré par la Couronne d’Espagne comme de l’esclavage, mais comme du travail forcé. Une nuance subtile permettant de se donner bonne conscience… aux Indiens, ça leur fait une belle jambe.
Les années passent, et certains prêtres dominicains (Antonio de Montesinos et Pedro de Cordoba principalement) se disent que, quand même, c’est pas très gentil ce qu’on fait subir aux Indiens…
Une lutte politique intense s’engage entre les colons et les missionnaires catholiques.
Antonio de Montesinos va jusqu’à menacer d’excommunication les Espagnols qui font travailler de force les indigènes. Ambiance…
En 1512, sous la pression de l’Église, le roi Ferdinand II d’Aragon met fin à l’encomienda.
Youpi ? Non, ne crions pas victoire trop vite… car il crée dans la foulée le système des repartimientos. Le principe est à peu près le même, mais les esclaves (pardon, les travailleurs forcés) obtiennent un certain nombre de droits: on leur paye (un peu) leur travail et on leur accorde (un peu) de repos. Mais on les fait toujours (beaucoup) travailler.
Bilan: c’est mieux… mais pas top non plus.
Les années passent… 25 ans plus tard, le 9 juin 1537, le pape Paul III condamne enfin l’esclavage des Indiens, par la lettre Veritas ipsa puis par la bulle Sublimis deus. Il n’y va pas avec le dos de la cuillère, écrivant qu’une telle pratique est inspirée par l’Ennemi du genre humain… c’est-à-dire Satan en personne! Il précise également que l’esclavage est interdit non seulement pour les Indiens, mais pour toutes les populations chrétiennes et non-chrétiennes. Néanmoins, il ne cite pas nommément le peuple africain… les dirigeants européens feignent donc de croire que l’interdiction papale de l’esclavage ne s’applique pas aux Noirs… nous y reviendrons.
En attendant, la bulle Sublimis deus fait l’effet d’une bombe… Même Charles Quint marque son soutien à la décision papale et légifère pour la faire appliquer. Mais le massacre des Indiens continue, leur réduction en esclavage (pardon, en travail forcé) aussi…
Au milieu du XVIe siècle, un homme veut tout changer. Il s’agit de Bartolomé de las Casas, un prêtre dominicain. Un grand homme!
(depuis, pour lui rendre hommage, on a nommé l’astéroïde 13052 de la grande ceinture d’astéroïdes Las Casas)
(la classe)
Bartolomé est écœuré du traitement que les Colons infligent aux Indigènes. En 1539, il écrit la Brevísima relación de la destrucción de las Indias, publié en 1552.
Bon, avouons-le, ce livre n’est pas d’une fiabilité historique absolue: le prêtre dominicain cède aux facilités du manichéisme, amplifiant et caricaturant les effets néfastes de la colonisation. C’est dommage… la malhonnêteté intellectuelle devrait toujours être évitée, même quand elle aide à servir une noble cause. Mais sa caricature semble tout de même avoir du bon, ou du moins permet-elle de réveiller les consciences.
Dommage collatéral du bouquin: les Espagnols du XVIe siècle sont, encore aujourd’hui, considérés comme des hommes intolérants et obscurantistes. Ils sont auréolés d’une « légende noire » alors que, franchement, ils ne sont ni pires ni meilleurs que d’autres nations placées dans une situation identique.
C’est dans ce contexte que Charles Quint et le pape Jules III (successeur de Paul III) organisent la controverse de Valladolid qui durera d’août 1550 à mai 1551.
Le but est d’apporter une réponse définitive à toute une série de questions:
« Qui sont les Indiens : des êtres inférieurs ou des hommes au même titre que les Européens? »
« Les Espagnols peuvent-ils dominer le Nouveau Monde et dominer les indigènes? »
À noter que la question de l’existence de leur âme n’est pas spécifiquement posée, puisqu’elle fut définitivement tranchée, comme on l’a vu, par Paul III dans sa bulle Sublimis deus.
Les enjeux de la controverse de Valladolid sont énormes! Des réponses apportées dépendra le sort de l’expansion économique de l’Espagne dans le Nouveau monde… Le temps que ces questions soient tranchées, Charles Quint suspend donc la colonisation de l’Amérique.
Le débat oppose principalement deux grandes gueules du moment: Bartolomé de las Casas (76 ans – on le connaît déjà) et Juan Ginès de Sepulveda (60 ans – un autre homme d’Église espagnol)
Juan Ginès de Sepulveda vs. Bartolomé de las Casas
Vision de Sepulveda: ce qui joue en la défaveur des peuples natifs du Nouveau Monde (notamment les peuples précolombiens), c’est leur propension aux sacrifices humains et à l’anthropophagie.
Ainsi, il semble logique de les placer sous la tutelle des Espagnols, puisqu’ils sont incapables de se gouverner eux-mêmes sans contrevenir aux règles naturelles de la morale. N’est-ce pas le devoir des Espagnols d’apporter auprès des peuples barbares le souffle de l’évangélisation et de sauver les futures victimes des sacrifices humains ?
Las Casas réplique en montrant la grandeur de ces mêmes civilisations qui possèdent des temples et des infrastructures incroyablement complexes, preuves de leur grandeur et de leur capacité à se gouverner eux-mêmes. Et puis, n’est-ce-pas un peu fort de café de reprocher la cruauté des peuples précolombiens, alors que les peuples du Vieux-Monde se sont, eux aussi, distingués par leur capacité à semer la mort et le malheur à grande échelle?
Il ne s’agit ici que d’une infime partie des débats de la Controverse… pour une étude détaillée, je vous invite à lire La controverse de Valladolid ou la problématique de l’altérité de Michel Fabre, chercheur à l’université de Nantes, sur le site cairn.info.
Bilan des débats
Il est plutôt en faveur des peuples natifs d’Amérique: leur « humanité » est reconnue. Certes, ils restent des Barbares aux yeux des Européens, mais ils le sont au même titre que nous l’étions dans le passé: des êtres imparfaits qui attendent simplement d’évoluer, de grandir.
Les tuer? Pas de problèmes! Au même titre que les guerres existent en Europe durant lesquelles les Chrétiens s’entre-tuent…
Les réduire en esclavage? Non, hors de question!
Mais un besoin croissant de main-d’œuvre se fait évidemment sentir en Amérique. Les regards se tournent alors vers l’Afrique… On feint d’ignorer la bulle papale Sublimis deus, qui est pourtant très claire sur le sujet:
le Christ, qui est la Vérité elle-même, (…) a dit aux prédicateurs de la foi: « Allez enseigner toutes les nations ». Il a dit toutes, sans exception, car toutes sont capables de recevoir les doctrines de la foi.
TOUTES les nations, compris? Et si cela n’était pas assez clair, le Pape en rajoute une couche concernant le peuple amérindien, au cœur des débats au moment où il rédigea la bulle:
Nous considérons quoi qu’il en soit, que les Indiens sont véritablement des hommes et qu’ils sont non seulement capables de comprendre la Foi Catholique, mais que, selon nos informations, ils sont très désireux de la recevoir.
Manque de bol, le Pape ne cite pas nommément les Africains… De ce texte censé être fondateur d’un monde réconcilié, les esclavagiste retiendront donc surtout que, puisque les Africains ne sont pas cités, ils sont exclus d’office du texte. Une mauvaise foi évidente qui justifiera pendant les siècles à venir pourtant toutes les horreurs de l’esclavagisme et du commerce triangulaire…
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faire des raccourcis, avancer des théories biscornues et spéculer, sur une histoire qui a bouleversé le monde, c’est faire preuve de tripotage, d’intoxication et de manipulation, dans le seul but de calomnier et de nuire à une société, qui a permit de très grandes avancés pour l’humanité. Vous vous devez d’être factuel, conjoncturel et non idéaliste
Alors pour ce qui en est de la la traite des esclaves de Barbarie ? Ça sent les commentaires limites à pleins nez mais j’ai hate de lire l’article. Merci pour celui-ci et pour l’introduction qui m’a bien fait rigoler.
excusez-moi de vous parler sur un tel ton, mais il me semble que cet article est un sommet de parti pris aculturé. Le véritable but de la controverse de Vallaloid? Faire admettre aux yeux du monde entier que les Amérindiens sont bien des hommes, et qu’ils ne peuvent donc pas être traités comme des animaux. Et de plus, réfléchissez 5 minutes: pour l’Européen du XVe siècle, est ce qu’un indien vaut mieux qu’un africain? Non. Dans ce cas, est ce que interdire l’esclavage des indiens sous entend que celui des Africain est immoral? Oui
C’est exactement ce qui est écrit ici. Même si je ne trouve pas drôle les fréquentes tentatives de l’auteur pour faire des traits d’humour sur le sujet.
Et bien, moi je trouve le site très bien fait et utile pour les personnes qui veulent avoir une information résumée sur un sujet d’histoire. L’humour me plaît, et l’objectivité n’existant pas, les problématiques sont bien posées et laissent ouverte la controverse.
Merci à l’auteur 🙂