L’Arc de Triomphe a bien failli être un éléphant!
Napoléon décide d’ériger un arc de triomphe à la gloire de sa Grande Armée en 1806, au lendemain de son écrasante victoire à Austerlitz face aux Autrichiens et aux Russes. Dans un premier temps, l’Empereur désire l’intégrer sur la place de la Bastille. Mais cet emplacement n’est pas du tout du goût de son ministre de l’Intérieur, un certain Nompère de Champagny, qui lui souffle à l’oreille une idée pour le moins saugrenue: pourquoi ne pas l’ériger dans le quartier de Chaillot? Ce quartier alors totalement désert profiterait de ce somptueux monument pour se développer: il y a fort à parier que de magnifiques bâtisses ne tarderont pas à sortir de terre aux alentours…
L’idée ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd et Napoléon s’imagine déjà en architecte d’un somptueux quartier impérial qui rayonnera bientôt sur l’Europe entière. Mais il hésite encore sur le monument central de ce futur quartier impérial. Doit-il construire un deuxième arc de triomphe (il a déjà ordonné la construction de l’arc de triomphe du Carrousel, encore visible aujourd’hui face à la pyramide du Louvre) ou doit-il donner le feu vert à un projet un peu fou: celui d’un éléphant gigantesque dont l’intérieur serait aménagé en musée à la gloire de l’Empereur? Oui, vous ne rêvez pas, l’avenue des Champs-Élysées est passée à deux doigts d’être surmontée par un immense pachyderme!
Arc de triomphe du Carrousel, face à la Pyramide du Louvre
Finalement, Napoléon, soucieux de s’inscrire dans la continuité des plus grands empereurs romains, penche en faveur d’un arc de triomphe. Mais le projet de l’éléphant-musée n’est pas abandonné pour autant et il ordonne sa construction quelque jours plus tard place de la Bastille. C’est d’ailleurs ce même monument que décrira Victor Hugo 50 ans plus tard dans Les Misérables en des termes peu glorieux:
« [L’éléphant] était là dans son coin, morne, malade, croulant, entouré d’une palissade pourrie souillée à chaque instant par des cochers ivres (…) Il était immonde, méprisé, repoussant et superbe, laid aux yeux du bourgeois, mélancolique aux yeux du penseur. Il avait quelque chose d’une ordure qu’on va balayer et quelque chose d’une majesté qu’on va décapiter. »
…et le monument abandonné sert d’abri de fortune à son jeune héros Gavroche:
« O utilité inattendue de l’inutile! charité des grandes choses! bonté des géants! Ce monument démesuré qui avait contenu une pensée de l’Empereur était devenu la boîte d’un gamin. Le môme avait été accepté et abrité par le colosse. Les bourgeois endimanchés qui passaient devant l’éléphant de la Bastille disaient volontiers en le toisant d’un air de mépris avec leurs yeux à fleur de tête : – À quoi cela sert-il? »
A noter d’ailleurs que l’éléphant que décrit Victor Hugo ici est la version en plâtre achevée en 1814 et détruite en 1846. La version finale, censée être en bronze, ne sera jamais exécutée. Les Parisiens l’ont échappé belle! C’est finalement la colonne de Juillet qui sera érigée sur les fondations du pachyderme en hommage aux Trois Glorieuses de la révolution de juillet 1830.
L’éléphant triomphal de l’architecte Ribart (1758), éléphant creux dont la trompe fait office de fontaine pour irriguer les jardins des Champs-Elysées. Le projet est repris plus tard par Napoléon.
Fermons ici la parenthèse pachydermique et revenons-en à notre arc de triomphe. La première pierre de l’édifice est posée le 15 août 1806, jour de l’anniversaire de Napoléon. Curiosité surprenante: on ne sait alors toujours pas à quoi ressemblera le monument! Chaque architecte se bat pour faire valider SON projet. Quatre ans plus tard, alors que Napoléon s’apprête à épouser Marie-Louise, les travaux n’ont guère avancé… Qu’à cela ne tienne! Pour en mettre plein la vue à la future impératrice, Napoléon ne recule devant rien et ordonne de clouter des planches tout autour du monument inachevé et d’y peindre le futur arc en trompe-l’œil…
L’ensemble de ce trompe-l’œil éphémère coûtera une petite fortune! (…) Il sera démonté au lendemain de la cérémonie…
L’ensemble de ce trompe-l’œil éphémère coûtera une petite fortune! Exactement 511 345,29 Francs selon le rapport au Roi édité par le Ministère du Commerce et des Travaux Publics le 31 décembre 1833. Il sera démonté au lendemain de la cérémonie… (source: Google Books)
Livre des comptes de l’arc de triomphe, rapport de 1833
Hélas, trois fois hélas pour l’orgueilleux empereur, il ne verra jamais son arc de triomphe achevé. Alors qu’en 1814 le Bellerophon l’amène sur l’île de Sainte-Hélène, on interrompt les travaux et on songe même à détruire les piliers déjà sortis du sol…
Il faut attendre le 9 octobre 1823 pour que Louis XVIII se décide à continuer les travaux. Bien sûr, hors de question de le destiner à la mémoire de l’ancien « tyran »… Étonnamment, le roi de France décide de consacrer le monument en l’honneur de la victoire d’une petite bataille de rien du tout que le duc d’Angoulême vient de remporter face aux Espagnols. Quoi qu’il en soit, les travaux reprennent, et c’est ce qui importe le plus!
La Révolution de Juillet passe bientôt par là… Louis-Philippe Ier décide de rendre au monument sa destination première et de continuer son érection à la gloire de la Grande Armée napoléonienne. Le 29 juillet 1836, l’arc de triomphe est enfin terminé, trente ans après le début des travaux (que le lecteur songe au Colisée qui fut achevé en à peine deux années de travaux…). L’attente en valait certainement la peine!
Louis-Philippe Ier décide de rendre au monument sa destination première et de continuer son érection à la gloire de la Grande Armée napoléonienne.
Des anecdotes amusantes pour briller en société
1/ Le bas-relief le plus célèbre de l’arc de triomphe est aucun doute possible le Départ des volontaires de 1792, surnommé la Marseillaise, sculpté par François Rude. En 1916, au commencement de la bataille de Verdun, le glaive du personnage principal se désolidarise du bas-relief et tombe à terre. Mauvais présage! Pour ne pas entamer le moral de la population, on cache le bas-relief des yeux du public…
Le Départ des volontaires de 1792, surnommé la Marseillaise, sculpté par François Rude
2/ Le 16 avril 1919, le fou des airs Charles Godefroy tente un pari impossible: passer sous l’arc en avion! Il réussit cet exploit sous les yeux d’une foule médusée… Le but n’est pas ici seulement d’assurer le show. Ce vol se veut contestataire: les as de l’aviation sont contre la décision de faire défiler À PIED sous l’arc de triomphe les aviateurs de la première guerre mondiale…
Le vol de Charles Godefroy sous l’Arc de Triomphe en 1919
3/ …et ce défilé, justement, aura lieu quelques semaines plus tard. La vocation d’un arc de triomphe, c’est d’y faire défiler ses troupes au lendemain d’une victoire militaire. L’arc de l’Étoile ne connaîtra qu’un seul et unique défilé triomphal, le 14 juillet 1919.
4/ C’est le 28 juin 1921 qu’est inhumé le soldat inconnu. Deux ans plus tard, des intellectuels proposent de symboliser le sacrifice ultime des milliers de français par une flamme qui ne s’arrêterait jamais de briller. Depuis, la flamme ne s’est JAMAIS éteinte, même pas en 1940 quand les Allemands entrent dans Paris…
5/ Vers 1885, un couple de richissimes Américains, Monsieur et Madame MacKay, demandent le plus sérieusement du monde au préfet de Paris d’acheter le monument afin d’y organiser des fêtes privées… On s’en doute, il leur est opposé une fin de non recevoir!
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Djinnzz
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Un article très bien documenté et très bien écrit, comme d’habitude.
J’ai appris pas mal de choses sur cet arc de triomphe devant lequel je passe au moins une fois par semaine. Je le regarderai différemment à l’avenir!
Un éléphant au milieu de Paris, ça aurait été classe je trouve.
Si je me souviens bien, un éléphant de la mémoire immense et qui se visitait avait été mis en place en 1989 dans le Nord Pas de Calais pour fêter le bicentenaire de la révolution française. Je me suis toujours posé la question du rapport entre un éléphant et la Révolution…
Cet article donne un début d’explications…
Tiens, je viens de trouver un article d’archives de l’époque qui parlait de ce projet, pour ceux que ça intéresse: http://archives.lesoir.be/une-revolutionnaire-memoire-d-elephant-attendue-a-bruxe_t-19890719-Z01UUF.html
L’accomplissement de ce monument montre la grandeur d’esprit du peuple français. Un peuple qui met en premier lieu l’intérêt national au-delà des divergences internes. Une question: A quoi pensent les français quand ils voient ce monument, l’Arc de Triomphe? Est-ce qu’ils voient un soldat inconnu ou un des anciens présidents ?