Le siècle de Périclès, un siècle un peu court et pas si brillant que ça
Périclès gouverne Athènes de 461 à 429 avant Jésus Christ. Le chef d’Etat athénien a tellement marqué son époque que l’on n’hésite pas aujourd’hui à parler du « siècle » de Périclès – siècle qui a donc duré exactement 32 ans. C’est un peu court pour un siècle, certes, à croire que les historiens ne sont pas matheux pour deux sous. Certains petits malins cultivés rétorqueront qu’il n’a même duré que 29 ans, les dernières années du règne de Périclès étant entachées par un scandale de détournement de fonds publics – même les inventeurs de la démocratie ayant une fâcheuse tendance à confondre leur porte-monnaie avec celui de leurs administrés.
Périclès, donc, était un des plus grands chefs d’Etat de la Grèce antique. Pour vous en convaincre, avez-vous déjà entendu parler du siècle de Thrasybule, du siècle de Pisistrate ou du siècle de Solon? Non! Si ça c’est pas une preuve…
Le bougre partait quand même avec une sacrée longueur d’avance sur ses concitoyens. Avoir pour mère Agaristè et pour père Xanthippe, y’a pire comme ascendance. Si vous en doutez encore, dites-vous que Xanthippe, c’est LE stratège les plus malin de son époque. Et Agaristè fait partie de la puissante famille des Alcméonides dont les membres soutiennent dur comme fer qu’ils descendent directement de Poséidon. Ma foi, s’ils en sont convaincus, ne les contrarions pas.
Buste de Périclès, grâce auquel on comprend mieux son surnom de « Tête de Cône » ou « Tête d’oignon », celui-ci souffrant effectivement d’une déformation du crâne… C’est pas bien de se moquer du physique!!!
Le contexte : La Méditerranée assise sur une poudrière!
Les guerres médiques viennent de se terminer, avec l’issue heureuse qu’on leur connaît. 300 Spartiates se sont fait trucider pour la bonne cause aux Thermopyles; un mec s’est, paraît-il, coltiné 42 bornes à pied pour annoncer à ses compatriotes la victoire de la bataille de Marathon (-490); et le brave Thémistocle est parvenu in extremis à couler la flotte perse durant la bataille navale de Salamine (-480).
Après cela, chacun retourne à ses occupations…
Malgré la défaite cuisante de Xerxès Ier, la menace perse reste toujours présente et les dissensions entre cités grecques toujours aussi importantes. En -476, les dirigeants athéniens ont alors une idée de génie: et si, au lieu de passer leur vie à se taper dessus, les cités grecques faisaient la paix et qu’elles prêtaient un serment d’aide mutuelle? En voilà une chouette idée!
Ainsi naquit « la Ligue de Délos », du nom d’une île des Cyclades qui abrite un sanctuaire d’Apollon.
Plus de 200 cités décident d’adhérer à la Ligue, principalement celles situées le long des côtes de la mer Egée et en Asie mineure. L’objectif est clair: mutualiser des fonds pour construire et entretenir une armée composée de plus de 200 navires de guerre et 40.000 hommes. Toutes les cités adhérentes alimentent le trésor de la Ligue, précieusement conservé sur l’île de Délos.
Sparte, l’ennemie intime d’Athènes, ainsi que nombre de cités du Péloponnèse, décident de ne pas prendre part à cette mascarade. Car, derrière les beaux discours à base de liberté, d’égalité, et de fraternité entre cités (et vas-y que j’t’endors), tout le monde a bien compris qu’Athènes ne poursuivait qu’un seul objectif: se rendre maître de toute la Grèce. Mais avant cela, la cité a besoin d’un homme fort, un homme capable de les gouverner tous…
Périclès entre en scène
« Périclès gouverna Athènes pendant plus de 30 ans. Ou plutôt le peuple gouverna Athènes, car Athènes était une démocratie. Quant à lui, il se contentait de dire au peuple ce qu’il fallait faire. »
La première chose que fait Périclès le démocrate lorsqu’il arrive au pouvoir en -461 est d’ostraciser (synonyme de bannir, mais en plus classe) son plus dangereux rival, Cimon (chef de la faction conservatrice). Rien à voir avec Cimon le magicien, quoi qu’il fût un peu magicien sur les bords lui aussi pour avoir réussi à ramener à Athènes les ossements de Thésée, le mythique pourfendeur du Minotaure. Balèze, le mec, et on comprend tout de suite pourquoi Périclès s’en méfiait autant.
Démocrate convaincu, Périclès croit dur comme fer que tous les citoyens doivent participer à la vie politique de la cité. A croire que les beaux discours sont l’apanage des hommes politiques, sa définition de la démocratie que nous rapporte l’historien Thucydide nous mettrait presque les larmes aux yeux :
« L’État démocratique doit s’appliquer à servir le plus grand nombre ; procurer l’égalité de tous devant la loi ; faire découler la liberté des citoyens de la liberté publique. Il doit venir en aide à la faiblesse et appeler au premier rang le mérite. (…) »
Et bla, et bla et bla…
C’est beau, non? Bon, dans les faits, la réalité est moins prosaïque… Alors même qu’elle ne concernait déjà qu’une minorité de la population, Périclès limite l’accès à la citoyenneté aux personnes ayant une filiation athénienne par leurs deux ascendances, celle du père étant suffisante auparavant. Il en fera d’ailleurs lui-même les frais quelques années plus tard, son dernier fils, né de son mariage avec Aspasie, une courtisane étrangère de Milet, ne pouvant accéder au statut de citoyen! Autant dire que la « démocratie » athénienne est bien loin de l’idéal moderne que l’on s’en fait… Selon le bon mot de Will Cuppy, « Périclès gouverna Athènes pendant plus de 30 ans. Ou plutôt le peuple gouverna Athènes, car Athènes était une démocratie. Quant à lui, il se contentait de dire au peuple ce qu’il fallait faire. »
Athènes prend ses aises (mais c’est pour la bonne cause)
Vers -454, l’empire perse est au plus mal: le roi Xerxès Ier s’est fait assassiner par son propre ministre et les Égyptiens profitent de cette instabilité politique pour réclamer leur indépendance. Périclès envoie son armée pour porter assistance aux Egyptiens, espérant en finir une bonne fois pour toute avec ces foutus Perses. Mal lui en prend! L’expédition athénienne se solde par une défaite lamentable au pied d’une forteresse ennemie dans le delta du Nil…
Parthénon, Propylées, Erechtéion,… rien n’est trop beau pour faire rayonner la ville… sur le compte de ses vassaux!
Paradoxalement, cette menace sert in fine les intérêts de notre cher démocrate. En effet, la même année, il fait transférer le Trésor de la Ligue de Délos à Athènes, argumentant sur l’insécurité de l’île de Délos en cette période de troubles avec le puissant voisin perse. Se faisant, Périclès joue enfin cartes sur table et l’hégémonie d’Athènes sur les autres membres de la Ligue est maintenant officielle: que certaines cités se révoltent et la répression se fera désormais dans le sang! Cinq ans plus tard, notre brave Périclès se sent suffisamment fort pour puiser en toute impunité dans le Trésor de l’Alliance au seul profit d’Athènes: il entreprend la reconstruction des temples de l’Acropole qui avaient été détruits lors de la mise à sac d’Athènes par les Perses pendant la seconde guerre médique. Parthénon, Propylées, Erechtéion,… rien n’est trop beau pour faire rayonner la ville… sur le compte de ses vassaux! Il continue également la construction des Longs Murs, fortifications protégeant Athènes et le port du Pyrée, avec sans doute déjà une petite idée derrière la tête… Mais comme dirait Ménélas dans La Belle Hélène, « n’anticipons pas »…
Les Longs Murs athéniens (sa construction démarre en 461 avant JC)
Bon, par la même occasion, il lègue à l’humanité un patrimoine tellement exceptionnel qu’on lui pardonnerait presque ce détournement de fonds d’une ampleur inédite…
Un combat fratricide s’annonce
Cette folie des grandeurs n’est pas sans énerver ses détracteurs. Le paysage politique se résume alors à deux grands courants: les démocrates, dirigés par un Périclès généreux avec le peuple et voulant étendre le concept de démocratie, et les conservateurs, Thucydide en tête (le petit-fils de l’historien Thucydide, pas pratique du tout!), qui accusent les premiers de populisme et de gaspiller l’argent public. Entre les deux hommes s’engage un combat acharné qui s’achèvera en -442 devant l’ecclésia: à l’issue d’un discours fort applaudi, et contre toute attente, Périclès parvient à se débarrasser de son rival… Comme Cimon avant lui, Thucydide Junior est ostracisé.
Devenu le chef incontesté de l’arène politique athénienne, Périclès n’a pourtant pas vraiment le temps de se réjouir. Il sait qu’il aura bientôt à affronter un autre ennemi, autrement plus farouche. La Ligue du Péloponnèse, emmenée par Sparte, est bien décidée à défendre son indépendance face à une Ligue de Délos qui prend un peu trop son aise. La guerre est désormais inévitable.
Chacun avance ses pions prudemment, et il n’est pas étonnant que les premières batailles rangées ne soient pas décisives. C’est sur l’aspect géopolitique que, une fois de plus, Périclès se distingue: il signe en -433 le décret mégarien, sorte d’embargo commercial interdisant à la ville de Mégare, alliée de Sparte, de commercer dans les ports de la Ligue de Délos. Dure décision quand on voit l’étendue de la zone géographique interdite (en jaune sur la carte un peu plus bas)!
De leur côté, les Spartiates exigent bien sûr le retrait immédiat de ce décret mais aussi l’expulsion de la famille des Alcméonides (souvenez-vous, c’est la branche maternelle de Périclès qui pense descendre directement de Poséidon).
Spartiates et Athéniens, on s’en doute, campent sur leur position…
La Guerre du Péloponnèse
La division de la Grèce à la veille de la Guerre du Péloponnèse (-431). Voir en grand
En -431, le conflit éclate au grand jour. Les Spartiates marchent sur l’Attique et Périclès, loin de vouloir affronter l’ennemi sur le champ de bataille, convainc toute la population de se réfugier derrière les Longs Murs, une double fortification entourant Athènes et le port du Pirée. Convaincre toute la population de se réfugier dans une zone aussi exiguë n’a pas dû être une mince affaire et les conditions de vie furent, on l’imagine, déplorables! Et les Spartiates, dans le même temps, de mettre à sac tout le reste du pays… Ce refus du combat armé n’est pas du goût de tout le monde et il faut tout le talent oratoire du chef d’Etat pour parvenir à éviter un soulèvement de la population. Notamment, une oraison funèbre que prononce Périclès en hommage aux civils athéniens morts de ne pas avoir pu rejoindre à temps les Longs Murs fera date.
L’oraison funèbre de Périclès, par Philippe Foltz (1877)
Manque de bol, ce que n’avait pas prévu Périclès, c’est qu’une épidémie de peste (ou de typhus, cette question n’est pas encore définitivement tranchée par les historiens) décimera plus d’un tiers de la population athénienne un an plus tard, dont Périclès lui-même en septembre 429. Ce qui n’empêchera pas la Guerre du Péloponnèse de faire rage encore une trentaine d’années, jusqu’à ce que les deux belligérants soient totalement ruinés.
La fin d’un Grand Homme, la fin d’un siècle qui n’aura duré qu’une trentaine d’années…
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Vous semblez avoir fait le choix de produire maintenant des articles de fond plutôt longs, loin des articles très courts (mais non moins intéressants) des débuts du site…
J’ai du mal à choisir ce que je préfère dans ces deux possibilités, alors peut-être qu’une alternance entre articles « courts » et articles « longs » satisferait tout le monde?
Bravo une nouvelle fois pour cet article fort instructif!
Le coup de la tête d’oignon, je connaissais!
Je ne savais pas par contre que Périclès était si controversé, persuadée que j’étais qu’il était un Grand Homme politique sans faille.
Mais existe-t-il seulement au travers de l’Histoire, antique ou moderne, UN SEUL homme politique qui n’ait pas ses défauts?
Le seul qui me vienne en tête est Alexandre le Grand.
Encore que, le fait qu’il n’ait pas eu de descendance a empêché de maintenir son immense empire.
Tous les autres grands de l’Histoire, qu’ils soient rois, empereurs, tsars,… ont commis des erreurs graves ou avaient de gros défauts, je suis d’accord avec vous. Pas de raisons que Périclès déroge à cette règle.
Le clin d’oeil à la Belle Hélène d’Offenbach m’a fait sourire!
J’imagine que je passe à côté de pleins d’autres références culturelles, c’est donc d’autant plus valorisant quand on en comprend une!
Je commence grâce à vos différents articles sur le sujet à avoir une bonne connaissance de la Grèce et de la Rome antiques, c’est super!
J’ai trouvé le sujet un peu bâclé. Il y aurait eu fort à dire.
Pas un mot sur son grand ami Phidias et les accusations de détournement d’or, pas un mot sur ses fils, sa femme, etc…
Dommage
Merci de ne pas relancer le débat maintes fois discuté dans les commentaires, et dont les origines remontent à la naissance de ce site!
Exhaustivité vs. vulgarisation,
Style encyclopédique vs. style décontracté
etc, etc…
EtaleTaCulture a une personnalité, et c’est ça qui le rend plaisir à lire.
Wikipedia est un projet génial permettant l’accès à la plus grande base de données culturelle de tous les temps.
Comparer les deux approches n’a tout simplement aucun sens…
Et, pour en revenir à cet article, je le trouve déjà suffisamment dense comme ça pour ne pas en rajouter sur son fils, sa femme, ou son ami!
L’écriture est parfois maladroite, mais le style est attachant.
Je garde l’adresse « sous le coude » pour voir comment tout ça évolue.
Cordialement,
Le Bandit Manchot
A bien des égards, cette fameuse ligue de Délos peut ressembler à la construction européenne actuelle…
« Trésor de guerre » commun, promesse d’aide mutuelle, dissensions en son sein (m’est d’avis que l’Angleterre ne serait pas contre de créer une Ligue du Péloponnèse version British!) et, quand il faut piquer dans la caisse, ça ne dérange personne…
J’ai à peu près le même plaisir coupable en vous lisant que lorsque je lis du Guy Breton… on sait que ce n’est pas écrit par un « vrai » historien, mais ça fait du bien de sortir un peu des sentiers battus!
Bravo à vous et bonne continuation, je vous lirai toujours avec un grand intérêt!
Votre site est le blog le plus brillant que je connaisse. Intelligence, humour, raffinement de l’analyse: tout y est.
Un seul mot à dire: bra-vo!
Pour info, l’opposant à Périclés ( né vers -500 ), boursicoteur criminel, est Thucydide du dème d’Alopèce, et non le petit-fils de l’historien Thycide ( -465 – 395 ), fils d’oloros, du dème d’Halinonte. Si c’était la seule erreur. Vous semblez détruire l’idée géniale de Démocratie, sans vous référer au contexte, est délectation.
Cet article montre beaucoup d’ignorance et un gros manque de lucidité historique… Un article entièrement à reprendre avec , entre autres, un peu plus de profondeur et de recul philosophique. Désolé de devoir dire une telle vérité désobligeante à son auteur.