La première Croisade : trois cultures qui s’entrechoquent
Trois acteurs, sinon rien
On a souvent tendance à imaginer les Croisades comme la confrontation entre deux mondes bien distincts, le choc entre Orient et Occident, entre Chrétienté et Islam. En réalité, une troisième entité occupe la scène, et non des moindres : le monde byzantin.
Dans les deux siècles qui précèdent le début de la première croisade, Byzance – ou plutôt Constantinople – connaît une période de faste et de prospérité.
En 1054, année du schisme entre les Églises d’Orient et d’Occident, la séparation définitive entre Rome et Byzance est consommée. Qu’on se le dise, du point de vue des Byzantins, les Chrétiens d’Occident sont au moins aussi barbares que les Musulmans !
L’appel de l’empereur byzantin met le feu aux poudres
En mars 1095, l’empereur byzantin Alexis Ier Comnène demande de l’aide au pape Urbain II contre les Turcs seldjoukides qui se pressent aux portes de son empire. Même si les relations entre les chrétiens de Rome et ceux de Byzance sont plutôt tendues, Alexis espère que son ancienne alliée lui viendra en aide.
Contre toute attente, Urbain II non seulement répond à cet appel, mais va faire preuve d’un excès de zèle plutôt inattendu ! À l’heure de la reconquista espagnole (les souverains chrétiens tentent de chasser les émirs musulmans installés dans la péninsule ibérique), le pape voit ici une occasion en or d’anéantir une bonne fois pour toute ces ennemis de la foi chrétienne.
Quelques mois à peine après la demande d’aide de son homologue orthodoxe, voilà Urbain II prêcher aux quatre coins de la France pour une lutte armée contre les Infidèles et la reprise de Jérusalem !
Son appel à la « Croisade » (le terme n’a été inventé que tardivement) rencontre un succès inespéré ! Les chevaliers occidentaux qui guerroient de façon anarchique depuis des siècles sans vraiment savoir pourquoi voient en ce projet un but ultime à leur existence. Délivrer le tombeau du Christ des mains des Infidèles ! Peut-on rêver mieux pour racheter tous ses pêchés ?
La Croisade, une guerre juste
Si vous pensez que cette volonté unanime de se croiser est un prétexte facile pour les hommes de l’époque pour massacrer, violer et s’enrichir en toute impunité, vous commettez une grave erreur d’appréciation. Les sentiments qui animent la chrétienté sont à n’en pas douter sincères et la Croisade est perçue comme un « mal nécessaire », une guerre juste.
Par contre, dans l’euphorie générale, personne ne songe ne serait-ce qu’une seconde à l’avenir des territoires une fois reconquis… On verra bien le moment venu, n’est-ce pas ? Inch’Allah ! Ce manque de vision politique porte en elle les germes d’un sanglant échec…
Un engagement qui coûte cher
Partir à l’autre bout du monde connu n’est pas une mince affaire en cette fin du XIe siècle. On estime à environ 6 ans de salaire d’un chevalier le coût moyen pour partir en Croisade. Autant dire que, la plupart du temps, il faut vendre tous ses biens pour financer le périple. Il faut également dire adieu à sa femme et ses enfants, abandonner toute sa vie pour se tourner vers une mission à l’issue incertaine. Seul moteur d’un engagement si lourd : une foi à toute épreuve, bien sûr ! Mais la récompense est à la hauteur de la tâche, l’Église promettant au soldat de Dieu l’absolution totale de tous ses pêchés. Une aubaine en cette époque marquée par la superstition et la peur des punitions divines !
La Croisade des Indigents
Les chevaliers et l’aristocratie européenne ne sont pas les seuls à vouloir prendre part à la grande aventure. Le petit peuple veut également être de la fête ! Emparée d’une fièvre mystique, une foule immense se forme derrière Pierre l’Ermite, un prédicateur au charisme exceptionnel, à la foi inébranlable et à l’éloquence inimitable. Faisant fi de toutes les contraintes matérielles qu’un voyage vers l’Orient implique, il enjoint les hommes (et les femmes, et même les enfants !) à le suivre sans tarder vers la Terre Sainte. Exaspéré d’attendre les chevaliers qui tardent à se mettre en selle, il mène sa propre Croisade avant l’heure.
La voyez-vous, cette foule immense de plus de 15.000 personnes qui traverse l’Europe et qui grossit de jour en jour ? Ces miséreux aux pieds meurtris par une marche interminable, qui ne comprennent pas dans quoi ils se sont embarqués, sans aucune discipline, sans un sou de bon sens, traînant avec eux leur femmes et leurs mouflets ? C’est sûr, la « Croisade » de Pierre l’Ermite ne peut pas bien se finir…
Tant bien que mal, ils arrivent à Cologne, puis traversent tout le Saint Empire romain germanique, la Hongrie et arrivent enfin aux portes de l’empire byzantin, un exploit en soi !
On s’en doute bien, l’empereur Alexis voit d’un très mauvais œil cette horde de mendiants qui s’apprête à rentrer sur son territoire. Arrivés à Constantinople, les disciples de Pierre l’Ermite sont impatients d’en découdre avec les Infidèles. Voilà des mois qu’ils sont sur la route sans avoir croisé le moindre Sarrasin à se mettre sous la dent… Et les impies sont là, à quelques kilomètres à peine de la ville, et on les empêche d’aller se battre ! Tant bien que mal, Pierre parvient à maintenir ses troupes en place. Mais le 21 octobre 1096, alors que ce dernier s’est absenté, ses hommes lui désobéissent et marchent sur Nicée, ville fortifiée conquise quelques années plus tôt par les Turcs Seldjoukides. Sans surprise, les ennemis ne font qu’une bouchée de cette troupe indisciplinée. C’est un véritable massacre. Plus de 22.000 hommes et femmes meurent sous les flèches et les coups de masse des Sarrasins.
Tout ça pour ça !
Pierre l’Ermite, absent lors de cette débandade, accuse le coup et attend maintenant l’arrivée des Croisés, des vrais, à Constantinople.
Les Croisés, les vrais
Pendant ce temps, la chevalerie européenne se prépare avec soin. On prépare soigneusement son itinéraire, on décide des lieux d’escale, on gère l’intendance.
On estime qu’entre soixante et cent mille hommes vont ainsi se mettre en marche. Tous ne sont pas des combattants, loin de là. Fermez les yeux et imaginez les centaines de chariots, les milliers de chevaux, de bœufs, de mules, de moutons qu’il faut pour approvisionner et nourrir tout ce petit monde. Un véritable casse-tête d’intendance pour une des expéditions les plus importantes jamais réalisées.
Plusieurs groupes principaux se forment qui se rejoindront tous à Constantinople avant de marcher sur Jérusalem, destination finale de l’expédition.
S’il en est un qui s’inquiète de cette effervescence, c’est bien le Basileus Alexis. S’il avait su que sa simple demande de renforts à Urbain II se transformerait en une masse gigantesque de guerriers et d’indigents qui déferlent sur son empire, il y a fort à parier qu’il se serait abstenu… Dans leur habituelle arrogance, les Byzantins considèrent les soldats d’Occident comme idiots et vulgaires. Point question de se mélanger avec cette piétaille qu’ils méprisent presque autant que les Sarrasins !
Par respect, tous les chefs de guerre croisés passeront par le palais d’Alexis à leur arrivée à Constantinople pour lui prêter serment d’allégeance. Cette mascarade est bien sûr empreinte d’une hypocrisie profonde…
Enfin de l’action !
En mai 1097, soit un an et demi à peine après l’appel à la Croisade d’Urbain II, l’armée franque s’apprête à entrer en action. Leur première cible ? Nicée. La même ville où se sont fait massacrer les Indigents neuf mois plus tôt. Fort heureusement pour eux, la terreur change maintenant de camp… Francs et Byzantins coopèrent à merveille et la ville assiégée tombe rapidement.
Sans tarder, les Croisés reprennent la route vers la Terre Sainte. La grande armée est divisée en deux pour faciliter le ravitaillement à travers le désert. Bohémond de Tarente part d’un côté et Godefroy de Bouillon de l’autre. À l’affût du moindre mouvement des troupes ennemies, les Turcs comptent bien mettre cette division à leur profit…
La bataille de Dorylée
Le sultan Qilidj Arslan fait fondre ses troupes sur celles de Bohémond. L’issue de la bataille est incertaine, mais par chance le baron franc a eu le temps de dépêcher un émissaire qui part au triple galop prévenir Godefroy de Bouillon du piège dans lequel ils sont tombés… Quelques heures plus tard, ce dernier arrive sur les lieux de la bataille et prend l’armée turque en tenailles. C’est la débandade dans les rangs ennemis. Arslan panique et s’enfuit sans demander son reste.
Dans le camp chrétien, on jubile ! La victoire de Dorylée fera date et sera longtemps considérée comme le symbole de l’invulnérabilité de l’armée franque. Dorénavant, « la réputation de sauvagerie des croisés les précédera partout » écrit Philippe Valode.
La prise d’Antioche
Les mois qui suivent sont éprouvants pour les troupes peu habituées au climat rude de la steppe anatolienne, au désert puis aux montagnes dangereuses qui se succèdent à un rythme effréné. Le 21 octobre 1097, enfin, l’armée se retrouve devant les portes d’Antioche, une des places fortes les mieux gardées de tout le monde musulman. Le siège qui va suivre s’annonce terrible ! Les pires ennemis des Croisés sont la faim et la chaleur. Dans ces conditions, il sera impossible de tenir longtemps… Surtout, l’armée franque désormais commandée par Bohémond ne dispose pas d’armes de siège. Sans armes adaptées, pressés par le temps, comment les Croisés peuvent-ils s’y prendre pour conquérir Antioche ? En mai 1098, Bohémond a un petit coup de pouce du destin. Un certain Firouz, un Arménien qui voue aux Turcs une haine profonde, est introduit auprès de Bohémond. Il a une déclaration fracassante à lui faire : il va lui offrir la ville qu’il connaît comme sa poche sur un plateau ! Il s’introduit par la ruse dans la cité assiégée et ouvre une fenêtre de la tour principale. À l’aide d’échelles, l’armée franque investit les lieux. Bientôt, des centaines d’hommes se répandent dans toute la ville et ouvrent les portes au reste de l’armée. Les Croisés seront fidèles à leur réputation d’êtres sanguinaires et se livreront aux pires exactions. Les cadavres jonchent le sol, des litres de sang se déversent sur les pavés. Quelques heures plus tard, c’en est fini d’Antioche.
Retournement de situation
Les Croisés s’installent dans la ville. Mais les nouvelles vont vite dans le désert syrien. À peine quelques jours plus tard, le 7 juin 1098, une armée turque immense entoure la citadelle. Les assiégeants sont devenus assiégés ! La situation s’éternise et les troupes de Bohémond, piégées dans Antioche, manquent de nouveau d’eau et de nourriture. Le moral des troupes est au plus bas ! La situation est désespérée… à moins d’un miracle, le rêve de reconquête de Jérusalem s’arrêtera ici…
Un miracle, c’est justement ce qui se produit en cette matinée du 10 juin. Un obscur moine du nom de Pierre Barthélémy découvre sous le sol d’une église de la ville une lance. Il prétend avoir eu une vision de Saint André et identifie l’objet à la Sainte Lance, celle qui a meurtri le flanc du Christ sur la Croix !
Cette découverte fait l’effet d’une bombe. Les soldats qui, hier encore, se traînaient lamentablement dans les rues d’Antioche sont tout ragaillardis. Dieu est avec eux ! En fin stratège, Bohémond profite de cette aubaine pour réunir ses troupes et lancer un assaut décisif contre les Turcs. Ceux-ci sont stupéfaits de voir la fougue et l’envie d’en découdre des bataillons croisés, eux qui s’attendaient à voir surgir de la citadelle des soldats à la mine déconfite et au moral complétement abattu ! Pourtant en large infériorité numérique, les soldats chrétiens remportent la bataille finale. Antioche est définitivement capturée. Allelujah !
Jérusalem !
Les 600 kilomètres qui séparent Antioche à Jérusalem ne seront pas les plus difficiles à parcourir. Les villes capturées s’enchaînent sans effort : Beyrouth, Saint-Jean d’Acre, Césarée… Le 7 juin 1099, un an presque jour pour jour après le triomphe d’Antioche, Jérusalem est enfin en vue. Les soldats en pleureraient presque. Ils ont réussi ! Malgré toutes les difficultés, ils foulent le sable que Jésus-Christ à fouler avant eux. Ils sont en passe de délivrer son Tombeau !
Avant de se réjouir, il faut mener l’ultime combat. Les Infidèles ne comptent pas offrir la ville sainte aux Chrétiens sans se battre. Mais que peuvent-ils contre la ferveur et la détermination sans faille de cette armée croisée qui ne craint plus la mort ?
Très vite, les fortifications de la ville tombent et la furie se déverse sur la ville. Comme à Antioche, le sang coule à gros bouillons sur le sol sacré de Jérusalem. Des dizaines de milliers d’Infidèles, hommes, femmes, vieillards, enfants, sont passés au fil de l’épée. Des exactions aussi barbares qu’inutiles.
Les voies du Seigneur sont impénétrables.
Quoi qu’il en soit, nous sommes le 15 juillet 1099 et voilà la chrétienté installée à Jérusalem. L’euphorie passée, on se regarde. Et maintenant, que fait-on ?
Et maintenant ?
Godefroy de Bouillon se fait nommer Prince de Jérusalem. Oui, seulement prince et non Roi car, comme il le dit lui-même, « je ne porterai pas une couronne d’or là où le Christ a porté une couronne d’épines. »
Dans la foulée, les Croisés fondent le Royaume latin de Jérusalem qui survivra jusqu’en 1268. L’euphorie retombe vite dans les rangs des Croisés lorsqu’ils se rendent compte qu’ils sont au bout du Monde et entourés d’ennemis!
A partir de 1128, l’Islam retrouve ses couleurs et engage de nouveau une lutte à mort contre les Chrétiens. En 1144, la population chrétienne d’Edesse (au Nord-Est d’Antioche) se fait massacrer.
La deuxième Croisade peut maintenant commencer…
Un petit tour sur les autres croisades avant de nous quitter? C’est par ici: la deuxième, la troisième, la quatrième, la cinquième ou la sixième Croisade.
Note: article paru initialement dans l’ #ETC Mag’ n°2.
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Djinnzz
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Très bon dossier, vivant et qui donne envie de lire la suite!
Très beau résumé de la premiere croisade. J’en ai appris beaucoup! Merci!
Super site, continuez.
Ramassis de conneries gauchistes. Tu ferais bien de lire un peu, et pas forcément les mêmes auteurs marxistes.