Les fabuleux voyages de Marco Polo
Préambule
J’ai essayé ! Je vous assure, j’ai essayé ! Hélas, au bout d’une bonne trentaine de chapitres, j’ai craqué…
Le récit est pourtant intéressant, le problème n’est pas là. Mais le style est, comment dire… un peu indigeste. A moins que vous n’aimiez lire ce genre de choses ?
En passant oultre, nous vinsmes en une ville appellée Balac, laquelle estoit jadis grande & fameuse ayant de sumptueux edifices de marbre, mais maintenant elle est destruicte & ruinée par les Tartares : ilz dient qu’en ceste ville Alexandre le grand espousa la fille du Roy d’Aire. Elle est limitrophe de Perse sur la coste de Septentrion, & si on part de là tirant entre Orient & Septentrion, on ne trouvera de deux journées aucune maison ne habitation.
Chapitre XXX – Edition de E. Groulleau, 1556
Un style c’est un peu trop « vieux français » à mon goût… Alors, entre deux bâillements, je me contentai de poursuivre la lecture en diagonale, en repérant les moments clefs du récit. Et un bon gros résumé du livre compléta le boulot.
Mais j’étais confronté à un cas de conscience. Le sujet me tenait particulièrement à cœur, et un site de culture générale comme #ETC qui ne parlerait pas du Devisement du Monde ce serait comme… je ne sais pas moi… une émission de télé-réalité sans fautes de français et sans tatouage. Inconcevable.
Alors, je poursuivis mes recherches, et je tombai en quelques minutes sur cette traduction en français moderne :
En partant de là nous vînmes à une certaine ville nommée Balac (Balk), qui fut autrefois grande, célèbre et ornée de plusieurs édifices de marbre ; mais à présent c’est peu de chose, ayant été détruite par les Tartares. Les habitants du lieu disent qu’Alexandre le Grand y épousa une des filles de Darius ; elle est bornée au septentrion par la province de Perse ; en sortant et en marchant entre le midi et le septentrion, on ne trouve, pendant deux journées, aucune habitation.
Chapitre XXXI – Édition de E. Müller, 1888
Là, c’est sûr, ça allait mieux ! Je pus recommencer ma lecture avec moins de peine, jurant, mais un peu tard, qu’on ne m’y prendrait plus…
Marco Polo, le plus moderne des héros d’antan
Marco Polo (1254 – 1324) est un célèbre commerçant vénitien qui fit fortune en allant à la rencontre des civilisations orientales (Perse, Mongolie, Chine…). Il est souvent considéré comme le premier européen à avoir entrepris un voyage dans des contrées aussi reculées.
Mais j’ai un scoop : c’est totalement faux.
En réalité, les routes commerciales reliant le bassin méditerranéen au sud de l’Asie étaient ouvertes depuis le Ier ou IIe siècle avant Jésus-Christ… Certaines cartes médiévales mentionnent les vastes contrées d’Asie… y ajoutant même parfois la mention « Hic sunt leones » (« là, il y a des lions »)…
(eh oui, même un cartographe peut parfois avoir un peu d’humour)
L’intelligence de Marco Polo, par contre, fut de coucher sur papier le récit de son voyage, et ainsi de livrer au monde le premier témoignage écrit sur les us et coutumes asiatiques.
Le problème, c’est qu’on est un peu obligés de lui faire confiance aveuglément car la seule source sur la vie de Marco Polo fut écrite par… Marco Polo !
(bonjour l’objectivité)
La vie de Marco Polo
Le jeune Marco est âgé de 17 ans lorsqu’il part avec son père Niccolo et son oncle Maffeo. Il ne reviendra dans sa Venise natale que 24 ans plus tard, à l’issue d’un voyage extraordinaire.
D’après ses dires, donc, il rencontra le grand Kubilai Khan, le plus puissant empereur de l’Histoire du Monde.
(rien que ça)
(mais quand on sait qu’il régna sur un territoire comportant les actuelles Chine, Russie, Asie centrale et Iran… on se dit que ce titre n’est peut-être pas usurpé)
(être le petit-fils de Gengis Khan, ça peut aider pour réussir dans la vie)
Le grand Khan mongol se prend d’affection pour le jeune aventurier et lui confie, au fil des années, des missions de plus en plus importantes.
Les Vénitiens ne s’y laissent pas trompés… Nombre de voix se font entendre dénonçant les affabulations de Marco Polo. On l’accuse de n’être allé que jusqu’à Istanbul et d’y avoir brodé une histoire à dormir debout en s’inspirant des récits et des légendes colportés par d’autres voyageurs autrement plus téméraires que lui. Par dérision, il se voit affublé par les Vénitiens du sobriquet Il Millione (« l’homme aux millions »). Le reste de l’Europe se pose moins de questions et accueille le récit de son voyage, Le Devisement du Monde, avec un enthousiasme non dissimulé.
Qui croire ?
Plusieurs siècles plus tard, Baudelaire lui-même viendra à la rescousse de l’aventurier : » les récits de Marco Polo, dont on s’est à tort moqué, comme de quelques autres voyageurs anciens, ont été vérifiés par les savants et méritent notre créance ».
(mais, avec tout le respect qu’on doit à Baudelaire, on se demande bien pourquoi il se mêle de ce sujet !)
Parmi les historiens actuels, plus grand monde ne remet vraiment en doute la réalité des aventures de Marco Polo. Comment aurait-il pu inventer, par exemple, le prix des chevaux en Perse ?
La Perse est une province très grande et très étendue ; elle a été autrefois fort célèbre et fort renommée ; mais à présent que les Tartares l’ont en leur disposition, elle a beaucoup perdu de son lustre. (…) Il y a en ce pays-là de beaux et grands chevaux, qui se vendent jusqu’à 200 livres tournois la pièce.
Le Devisement du Monde, livre I, chapitre 19
Ou deviner l’usage des billets de banque à la cour du Grand Khan ?
La monnaie du Grand Khan n’est ni d’or, ni d’argent, ni d’autre métal. On se sert pour la faire de l’écorce intérieure de l’arbre qu’on appelle mûrier, qui est celui dont les feuilles sont mangées par les vers qui font la soie. Cette écorce, fine comme papier, étant retirée, on la taille en morceaux de diverses grandeurs, sur lesquels on met la marque du prince, et qui ont diverses valeurs.
Le Devisement du Monde, livre II, chapitre 21
Certes, il aurait pu se contenter d’écouter attentivement d’autres voyageurs qui lui auraient raconté dans le détail leurs aventures. Mais, au fond, la thèse selon laquelle Marco Polo n’a jamais mis les pieds en Asie est aussi fantaisiste que celle qui affirme que ce n’est pas Shakespeare qui a écrit ses pièces de théâtre…
Tout au plus peut-on accuser le Vénitien d’avoir brodé un peu (beaucoup ?) pour donner plus de consistance à son récit… Mais que celui qui n’a jamais embelli ses propres récits de voyage lui jette la première pierre !
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Livre aussi appelé « Le livre des merveilles »
C’est vrai… A ne pas confondre avec une certaine Alice! 🙂
A peu près à l’époque où Marco Polo arrivait à la cour de Kubilaï Khan, deux moines chrétiens nestoriens, Râbban Sauma et son compagnon Markos quittèrent la capitale chinoise pour un voyage vers l’Occident, Rome et Jérusalem : http://www.villemagne.net/site_fr/rome-rabban-sauma.php
Marco Polo N’EST PAS le premier Européen à être allé en Asie, et encore moins le premier à en avoir fait un livre…
Guillaume de Rubrouck se rend en Mongolie en 1253 et écrit au roi Saint Louis (Louis IX) une longue lettre relatant son voyage dans l’Empire mongol. « Lorsque j’entrai parmi les Tartares, il me sembla véritablement que j’entrais en un autre monde », écrit-il.
Une association porte aujourd’hui son nom pour faire découvrir la vie de cet homme hors du commun! (il était aussi frère franciscain) : http://bit.ly/2G9LeBP