[Dilemme] « Autant pour moi » ou « au temps pour moi »?
Depuis des temps immémoriaux (en fait, depuis le XIXe siècle, mais bon), deux clans s’affrontent:
les partisans du « AU TEMPS pour moi »
contre
ceux du « AUTANT pour moi »
Phonétiquement, c’est la même chose, on est bien d’accord. Mais, quand on y regarde de plus près, aucune des deux graphies ne veut dire grand chose…
Ce qui nous amène à nous poser deux questions absolument fondamentales:
– Pourquoi cette expression est-elle employée quand on veut reconnaître une des nos erreurs?
– Comment diable s’écrit-elle, cette expression?
L’histoire à la rescousse: les partisans du AU TEMPS pour moi
Allons voir ce qu’on en pense du côté de nos illustres écrivains… La plus ancienne apparition de l’expression « au temps » remonte à 1888. George Courteline (1858 – 1929) l’utilise dans son roman Le Train de 8h47 (qui sera adapté en film en 1934 avec Fernandel dans le rôle titre).
La scène se passe durant un entraînement militaire:
– Portez… arme! Un temps, trois mouvements! … Un!
(…)
Ce n’est pas ça ! Recommencez-moi ce mouvement-là en le décomposant. Au temps! Au temps! Je vous dis que ce n’est pas ça! Nom de nom, La Guillaumette, voulez-vous mettre plus d’écart entre le premier temps et le second!
Les plus curieux pourront lire le livre sur Gallica en suivant le lien: Le Train de 8h47 (l’extrait se trouve en page 323)
(Petite pensée émue au passage pour La Guillaumette, qui porte le nom le plus pourri de la terre)
Plus tard, en 1916 puis en 1921, c’est Maurice Genevoix qui utilisera l’expression complète dans deux de ses livres, Sous Verdun et La Boue.
Cessez-le-feu ! Au temps ! Au temps pour moi !
(Sous Verdun, 1916)
ou encore:
Ah! vous croyez?… En ce cas, au temps pour moi! La rafale est passée: le moral est à la hausse.
(La Boue, 1921)
C’est donc sûr et certain, l’expression « au temps pour moi » a un sens militaire et est employée par les gradés pour remettre les actions des troupes dans le bon tempo. Et c’est Maurice Genevoix qui aurait sorti l’expression de son contexte militaire pour lui donner le sens de « désolé, je me suis trompé ».
Plus tard, Sartre écrira également « au temps pour moi » dans sa nouvelle Le Mur (1939). Et un allié de plus, un !
Seule la logique compte: les partisans du AUTANT pour moi
Le plus grand défenseur de cette graphie est Claude Duneton (1935 – 2012), romancier, historien du langage et, accessoirement, chroniqueur au Figaro Littéraire. Dans ce journal, justement, il publie en 2003 un édito pour prendre la défense du « autant pour moi »…
Pour lui, « Autant pour moi est une locution de modestie, avec un brin d’autodérision. Elle est elliptique et signifie: Je ne suis pas meilleur qu’un autre, j’ai autant d’erreurs que vous à mon service: autant pour moi ».
Pas bête du tout, d’autant qu’il utilise l’anglais pour défendre son point de vue. Outre Manche, on utilise en effet l’expression « so much for » pour décrire une situation décevante, une indication que ce qui suit n’a pas fonctionné correctement. Par exemple, on dira:
Well, I guess it’ll never work. So much for that idea.
qui se traduira par:
Eh bien, je pense que ça ne marchera jamais. Tant pis pour cette idée.
Dans le même esprit, so much for me… se traduit donc littéralement par… autant pour moi!
(nous y voilà)
Et Claude Duneton de conclure en sortant sa botte secrète: l’expression « autant pour le brodeur » (dont la définition donnée est: « raillerie pour ne pas approuver ce que l’on dit ») apparaît dans les Curiositez françoises d’Antoine Oudin publié en l’an de grâce 1640! Les plus sceptiques pourront le vérifier par eux-mêmes en feuilletant le livre sur Gallica ici (l’extrait se trouve page 64)
Conclusion, on l’écrit comment cette expression à la noix ????
Le Petit Robert continue à défendre AU TEMPS pour moi… Une fois n’est pas coutume, l’Académie française entretient un flou artistique. Pour elle, « rien ne justifie l’emploi de autant pour moi », tout en se gardant bien de dire ce qui justifie l’emploi de au temps pour moi!
On peut se servir de Google pour tenter de compter les points… A l’heure où j’écris ces lignes (décembre 2015), « au temps pour moi » renvoie 50 millions de résultats, quand « autant pour moi » n’en renvoie que 31,8 millions… Victoire du « au temps pour moi » par KO!
(Bon, d’accord, si c’était toujours le plus grand nombre qui avait raison, ça se saurait)
Bref, les deux camps peuvent continuer à s’affronter gaiement autour d’un verre, faute d’un arbitre suffisamment compétent pour trancher définitivement la question…
De mon côté, n’en déplaise à certains grammairiens, j’ai choisi mon camp. J’utilise au temps pour moi, et puis c’est tout. En plus, ça permet de déclencher des petits échanges assez savoureux entre collègues… Mais si, vous savez, quand on on écrit dans un mail, professionnel ou autre, un truc du genre: « Au temps pour moi, je me suis planté » et que notre interlocuteur nous répond, sûr de lui : « Au temps pour moi??? Tu voulais dire autant pour moi, j’imagine… LOL ».
Dorénavant, vous saurez quoi rétorquer à cet inculturé!
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Je pensais aussi que au temps pour moi était la bonne façon de l’écrire…
Autant pour moi !
Ce qui est chouette, c’est qu’on est comme au pays des Bisounours…
Partisans du autant ou du au temps, tout le monde a raison !
Mince, et moi qui croyais que ça s’écrivait « ôtant pour moi »…
Mais non, OTAN pour moi bien sûr !
(ne marche pas avec l’ONU par contre !)
A l’époque de Courteline et même après, »au temps » (mais oui !) du Service Militaire, les premiers »temps » de celui-ci se passaient comme à l’école : il fallait apprendre à »marcher au pas » une galère si on partait mal, à »présenter les armes », (un fusil en ce »temps » là !), etc.
Il y avait en effet plusieurs »temps » pour exécuter un mouvement et surtout, tous en même »temps ». L’instructeur avertissait les recrues par »A mon commandement » puis donnait l’ordre : »Présentez… Arme » ou »Arme sur l’épaule… droite » ! Chaque ordre demandait un certain nombre de »temps », 3 ou 4 selon le cas ! Pour »épaule droite », malheur aux gauchers : passer l’arme à gauche équivalait à un »suicide » !
Alors, »autant » ou »au temps », s’il faut choisir, je choisirais plutôt le dernier mais ai-je raison ?
Moi qui était persuadé qu’on disait ôtant pour moi ! well so much for me.
Si vous précisez votre recherche google en mettant les deux expressions entre guillements « au temps pour moi » contre « autant pour moi », cela pour que Google ne recherche que les expressions exactes, alors le résultat s’inverse, 367 000 pour la première et 478 000 pour la deuxième
Oh oh ! Bien vu !
Mince, ça plaide pas en faveur de mon camp, ça… :p
Ecrire « au temps pour moi » me semble aussi bizarre qu’écrire « Au temps en emporte le vent ». Je resterai donc farouchement attachée à « autant pour moi », mais c’est très sympa d’avoir ouvert le débat! ☺