La triste fin de Léopoldine, fille de Victor Hugo
Le poème Demain, dès l’Aube
Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,
Demain, dès l’Aube, Victor Hugo, Les Contemplations, 1856
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et, quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.
Dans ce poème, Victor Hugo nous livre sûrement un de ses textes les plus touchants. Alors que le début du poème semble décrire le voyage d’un homme perdu dans ses pensées et parcourant la campagne pour rejoindre un être cher, le lecteur découvre dans les deux derniers vers tout le tragique de la situation. L’être cher est mort et le narrateur se rend en réalité au cimetière pour se recueillir sur sa tombe.
Vous pensiez vous plonger innocemment dans une belle histoire d’amour ? Patatras ! Victor Hugo vous rappelle que la mort peut arriver sans crier gare, au détour d’une simple virgule…
Et le poète, hélas, sait fort bien de quoi il parle…
Léopoldine Hugo, un amour de jeune femme
Léopoldine est la fille aînée de Victor Hugo. Alors qu’elle a à peine 16 ans, elle tombe éperdument amoureuse d’un certain Charles Vacquerie, à peine plus âgé qu’elle. Forcément, Papa Victor trouve sa fille bien trop jeune pour vivre une passion amoureuse et penser au mariage… Léopoldine sait néanmoins se montrer patiente et, trois ans plus tard, elle ose s’opposer à son père et se laisse enfin passer la bague au doigt par Charles Vacquerie. Nous sommes le 15 février 1843 et nos deux tourtereaux filent le parfait amour.
Charles et « Didine », comme l’appelle son père, ont tout pour être heureux. Lui dispose de rentrées d’argent confortable (son père est un armateur du Havre). Elle possède une telle beauté que nombre d’artistes lui tournent autour et multiplient ses portaits.
Le drame
Le 4 septembre 1843, dans leur maison de vacances à Villequier, au bord de la Seine, le couple décide de prendre un canot à voiles pour rejoindre l’autre rive, accompagnés par l’oncle de Charles et son fils. Le temps est au beau fixe, il s’agit là de l’occasion rêvée pour essayer le bateau qu’ils viennent de s’offrir!
Alors que l’oncle est à la barre, un coup de vent aussi violent qu’inattendu fait chavirer le navire… De la rive opposée, des paysans sont les témoins de la scène. Ils voient Charles faire surface et plonger aussitôt sous la coque du navire. Il refait surface, et disparaît de nouveau, six fois de suite. Las, ses efforts pour arracher sa femme restée prisonnière sous la coque du bateau sont vains. Autour de lui, il voit bientôt les corps sans vie de son oncle, de son neveu et de son épouse bien-aimée.
Différentes versions de ce tragique accident existent. Léopoldine se serait-elle cramponnée avec l’énergie du désespoir sous le canot renversé, n’osant suivre son mari qui la pressait de plonger avec lui ? Ou serait-ce les plis de sa robe qui se serait accrochés quelque part ? Peu importe, après tout. Voyant qu’il ne saurait sauver la femme qu’il aime, Charles, par ailleurs excellent nageur, décide de se laisser couler à son tour. Les quatre corps seront repêchés quelques heures plus tard. Léopoldine n’avait pas encore 20 ans, son mari, 26.
Le désespoir d’un père
Victor Hugo, lui, apprendra la mort de sa fille par hasard, quatre jours plus tard, dans la presse. Accablé d’un chagrin infini, il cessera toute activité littéraire pendant plusieurs années… il ne se remettra d’ailleurs jamais vraiment de cette terrible épreuve. Il immortalisera néanmoins le drame de Villequier dans Demain, dès l’aube et reconnaîtra le courage et le sacrifice de son gendre dans son poème sobrement intitulé Charles Vacquerie:
(…)
Leurs âmes se parlaient sous les vagues rumeurs.
– Que fais-tu? disait-elle. — Et lui disait : — Tu meurs
Il faut bien aussi que je meure !
– Et, les bras enlacés, doux couple frissonnant,
Ils se sont en allés dans l’ombre ; et maintenant,
On entend le fleuve qui pleure.Puisque tu fus si grand, puisque tu fus si doux
(texte intégral)
Que de vouloir mourir, jeune homme, amant, époux,
Qu’à jamais l’aube en ta nuit brille !
Aie à jamais sur toi l’ombre de Dieu penché !
Sois béni sous la pierre où te voilà couché !
Dors, mon fils, auprès de ma fille !
(…)
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En fait, l’adjectif « triste », dès le huitième vers, nous met sur la voie qu’il se passe quelque chose de pas net…
Un mec qui se presse pour rejoindre sa bien-aimée est excité, joyeux, inquiet (à la limite), impatient,… mais sûrement pas triste!
Je connaissais déjà ce pème et le drame qui a affecté notre Victor Hugo national. Mais c’était l’occasion de relire ce magnifique poème que, il fut un temps, je connaissais par coeur!!!
Bien vu!
Le deuxième poème est encore plus beau je trouve.
Ce sacrifice pour mourir avec la femme qu’on aime, qu’y a-t-il de plus beau dans la vie?
Tu meurs. Il faut bien aussi que je meure!
Je pleure…
Encore un article très intéressant et très émouvant.
Votre site est une vraie pépite dans un océan internetique de médiocrité.
Il faudrait que vous vous décidiez à faire le buzz qu’on puisse trouver enfin EtaleTaCulture là où est sa véritable place: en première page des journaux! (et puis un peu plus d’articles nouveaux pour vos lecteurs assidus ne serait pas de refus… 😛 )
Cela fait plus d’un an que je vous lis et, sans vouloir user de viles flagorneries, je peux dire sans me tromper que vous avez changé ma vie.
Oui, carrément.
Vous m’avez donné envie de m’intéresser aux choses qui m’entourent, à ma culture, à mon histoire. Je ne suis plus un simple spectateur moutonnesque du monde qui m’entoure. En aiguisant mon envie d’apprendre, j’ai l’impression de devenir acteur de ma propre société, de donner du sens à ma propre vie.
Il fallait que je vous le dise, le travail que vous fournissez n’est pas vain (mais je doute que vous en doutiez)! Car si j’ai été touché par cette grâce, je suis sûr que plein d’autres lecteurs également, il n’y a qu’à lire les commentaires.
Vive #ETC, Vive #ETC mag’, Vive la démocratisation de la culture!
Philippe
Je ne serai pas aussi sévère que vous à propos de « l’océan internetique de médiocrité ».
Et Wikipedia? et tous es sites d’histoires? Et tous les blogs de passionnés?
Internet apporte beaucoup à la culture, et ce site apporte sa pierre à l’édifice…
N’empêche que… Vous tapez « culture générale » sur Google et #ETC n’arrive qu’en cinquième position.
Les quatre premiers sont:
– la page Wikipedia sur la culture générale (logique)
– un site tout pourri pas mis à jour depuis genre 10 ans
– un site dans le même esprit que #ETC mais qui ne lui arrive pas à la cheville (avis subjectif, mais franchement c’est pas terrible, l’humour est forcé, les articles super courts et pas détaillés)
– un site pour tester sa culture générale (payant)
Et je ne parle même pas des résultats suivants qui sont très très nuls!!!
Je disais juste que c’est dommage que ce genre de site ne soit pas pus mis en avant par Google car il mérite vraiment que plein de monde le connaisse!
– Que fais-tu? disait-elle. — Et lui disait : — Tu meurs
Il faut bien aussi que je meure !
– Et, les bras enlacés, doux couple frissonnant,
Ils se sont en allés dans l’ombre ; et maintenant,
On entend le fleuve qui pleure.
Mais que c’est BEAU!
Je ne peux pas m’empêcher de pleurer…
Ces deux textes sont tout simplement magnifiques!
Moi aussi j’ai pleuré… Tellement beau, tellement fort… Merci pour ce très bel article et pour ces deux superbes poèmes.
Victor Hugo avait une deuxième fille, Adèle Hugo, dont le destin n’a rien à envier à cette pauvre Camille Claudel…
Quand le sort s’acharne, on ne peut malheureusement pas faire grand chose…
je pense qu’il le sait,et il n’a jamais dit qu’on pourrait en faire quelque chose puisque de toute façon MEME si aujourd’hui(en 2017)on pouvait ressusciter,Victor Hugo ne serait pas de ce monde pour voir sa fille bien-aimée et puis même en ayant 100 filles en perdre une laisse toujours du chagrin dans notre coeur.
ps :Qu’est-ce que Claudel a à faire dans l’horriblle fin de Léopoldine ?
je pense qu’il le sait,et il n’a jamais dit qu’on pourrait en faire quelque chose puisque de toute façon MEME si aujourd’hui(en 2017)on pouvait ressusciter juste une seule personne ,Victor Hugo ne serait pas de ce monde pour voir sa fille bien-aimée et puis même en ayant 100 filles en perdre une laisse toujours du chagrin dans notre coeur.
ps :Qu’est-ce que Claudel a à faire dans l’horriblle fin de Léopoldine ?
Ah! Hugo! J’adore!
Allez, moi aussi j’étale ma culture sur une anecdote que vous connaissez peut-être:
Victor Hugo, dans Les Misérables, a écrit une phrase de 823 mots !
Mais le record est détenu par Proust, dans « A la Recherche du Temps Perdu » (tome 3), avec pas moins de 856 mots à la suite. Qui dit mieux? 🙂
Bon, je la copie pas ici pour pas polluer les commentaires, mais les curieux peuvent la lire ici.
Alors, vous le saviez, hein? vous le saviez?
« Et ma blême araignée, ogre illogique et las
Aimable, aime à régner, au gris logis qu’elle a. »
C’est de Victor Hugo, et c’est un vers holorime (vers entièrement homophones. La rime est constituée du vers entier.)
Classe, non? (mais un peu moins triste que les poèmes de l’article!)
pas mal 🙂
Et bien je devait avoir une professeur intelligente , ou pas 🙂 mais je le savais , un article tout de même intéressant , je redécouvre ce poème qui me rappelle mes années primaire
Les forts coefficients de marée de l’Atlantique en septembre provoquent une onde qui remonte les fleuves et forme une vague sur la Dordogne et la Garonne. Appelée mascaret, cette vague de 2m de haut avance à 15km/h, assez pour faire du surf.
trop triste
Pour détendre un peu l’atmosphère, on racontait ça dans ma jeunesse :
Son petit-fils demande à Victor Hugo :
– Pépé, tu veux pas me donner 500 francs ?
– Toi, tu veux encore te payer ma tête.
Bon, il faut avoir connu les billets de 500 Francs à l’effigie de Victor Hugo…
Histoire accablante et triste.Quand le sort s’acharne ……Que Dieu nous préserve.
J’avais envie depuis longtemps d’aller à Villequier, sur la tombe de Léopoldine ! ce fut hier, nous avons fait le détour, j’en suis heureuse ! a.marie
vous avez bon coeur annemarie. Que Dieu vous garde.Vous étiez sur les traces de son papa , il ya 02 siècles de ça.
Lorsqu’un enfant perd un de ses parents, la langue française possède un mot pour qualifier son état et la douleur qu’il ressent : on dit qu’il est orphelin.
Lorsqu’un homme ou une femme perd son conjoint ou sa conjointe, on dit qu’il/elle est veuf ou veuve.
Mais lorsqu’un parent perd un enfant, aucun mot de la langue française ne qualifie son état.
A ma connaissance, et après quelques recherches, ce n’est pas une spécificité française : aucune langue n’a de mot spécifique pour désigner cette situation.
Comme si la langue française était dans le déni d’une situation si malheureuse et, disons-le contre-nature. Un homme ou une femme ne devrait jamais perdre un enfant. La douleur est trop immense. Est-ce pour se prémunir psychologiquement d’un tel drame que notre vocabulaire fait l’impasse sur ce mot ?
Je n’avais jamais pensé à ça… Vous avez tout à fait raison.
Eh oui, écrire cela ou le dire n’est rien. Le vivre est insoutenable et irréversible. Je suis une maman, qui subit cette situation depuis un mois, hélas. Un drame est si vite arrivé ! Profitez de la vie et des petites choses.
« Tu ne m’as pas quitté. Je te vois. Tu n’es plus là où tu étais mais tu es partout où je suis »
C’est aussi de Victor Hugo. C’est aussi pour Léopoldine. N’êtes-vous pas à présent consolés, chacun chacune d’entre vous ?
J’ai chargé VICTOR HUGO d’écrire mon commentaire : voir ci-dessus ❤️
La mort d’un enfant, c’est le drame absolu pour le géniteur et la génitrice ! Victor Hugo n’a trouvé le répit que dans l’équivalent terrestre de ce drame : sa propre mort !