Le Journal d’Anne Frank, une adolescente dans un monde hostile
Prologue
En 1933, lors de l’arrivée d’Hitler au pouvoir, la petite Anne, alors âgée de 4 ans, dut fuir l’Allemagne avec sa famille pour s’installer à Amsterdam. Hélas, en mai 1940, les Allemands envahirent aussi les Pays-Bas. La guerre faisant rage, il n’était cette fois plus envisageable de fuir. La peur au ventre, la famille Frank s’efforça de continuer à vivre aussi normalement que possible…
Un cadeau d’anniversaire inspiré
12 juin 1942. Ce matin-là, Anne Frank se leva de bonne heure : elle fêtait son treizième anniversaire et, comme tous les enfants de son âge, était impatiente de célébrer ce moment heureux avec ceux qu’elle aimait. Elle était à un âge qui permettait encore l’insouciance à l’heure où l’Europe – et le monde – étaient pourtant plongés dans un conflit sanglant à l’issue imprévisible.
Ses parents et sa sœur aînée Margot lui avaient offert un gros cahier à la couverture élégamment habillée d’un tissu écossais. L’envie d’y coucher ses pensées les plus intimes lui vint spontanément à l’esprit. Cette jeune fille à la fraîcheur irrésistible était-elle consciente que son témoignage poignant et son style déroutant de simplicité émouvraient quelques années plus tard des dizaines de millions de lecteurs ? Non, bien sûr. Le samedi 20 juin 1942, elle écrivit d’ailleurs :
« C’est une sensation très étrange, pour quelqu’un dans mon genre, d’écrire un journal. Non seulement je n’ai jamais écrit, mais il me semble que plus tard, ni moi ni personne ne s’intéressera aux confidences d’une écolière de treize ans.
Ce qu’Anne Frank ne pouvait évidemment pas deviner, c’est que son cahier ne serait pas considéré comme le simple journal intime d’une écolière… Il deviendrait un témoignage unique d’une jeune fille juive au cœur de la seconde Guerre Mondiale.
D’une vie « normale » à la clandestinité
En cette année 1942, les lois liberticides à l’encontre des Juifs se firent de plus en plus oppressantes : il leur était interdit de rouler à vélo, de prendre le bus ou une voiture, de sortir le soir et, bien sûr, ils devaient porter l’étoile jaune en toute circonstance. M. Otto Frank refusa d’attendre simplement que le destin frappa à la porte sous la forme d’un agent de la Gestapo. Le temps était venu pour sa famille d’entrer dans la clandestinité. Aidés par Miep Gies, une collègue de travail, le couple et leurs deux enfants fuirent leur maison, n’emportant avec eux aucun bagage pour ne pas attirer l’attention.
Où aller ? Le père d’Anne avait en réalité préparé sa cachette depuis des mois. Il s’agissait de vastes locaux situés dans l’arrière-cour du bureau de son ancien travail. Ils les partageraient avec une autre famille : M. et Mme van Daan (ami et associé d’Otto) et leur fils Peter. Ce nouveau foyer sera bientôt surnommé par la famille « l’Annexe ». Miep Gies et trois autres amis dans la confidence leur apporteraient chaque jour le ravitaillement nécessaire ainsi que les nouvelles de l’extérieur.
Ainsi s’organisa la vie à 7. Il régnait dans l’Annexe une ambiance chaleureuse, malgré les menaces qui pesaient sur ses résidents. Ces menaces passèrent bientôt de théoriques à réelles lorsque, le 9 octobre 1942, des groupes entiers de Juifs d’Amsterdam furent déportés :
« Aujourd’hui, je n’ai que des nouvelles sinistres et déprimantes à te donner. Nos nombreux amis juifs sont emmenés par groupes entiers. La Gestapo ne prend vraiment pas de gants avec ces gens, on les transporte à Westerbork, le grand camp pour juifs en Drenthe (province du nord-est des Pays-Bas, ndlr), dans des wagons à bestiaux.
La vie, pourtant, devait continuer. Le 10 novembre 1942, la famille Frank accueillit dans l’Annexe un huitième résident. Une nouvelle qu’Anne accueillit d’abord avec beaucoup d’enthousiasme ! Mais elle fut vite déçus déçue par la personnalité bougonne du nouveau pensionnaire avec qui elle devait partager sa chambre. Il s’appelait Albert Dussel, dentiste de profession et juif, bien sûr.
Ambiance électrique
La belle entente qui régnait dans l’Annexe les premiers jours de son emménagement transformait en une atmosphère lourde et pesante. Les hommes se disputaient à propos de politique, quand les femmes éclataient en sanglots à la moindre émotion. Comment garder sa bonne humeur quand son propre avenir est incertain ? Quand on assiste, témoin impuissant et caché, aux pires exactions commises par les autorités de son pays ?
Anne fit aussi les frais de cette ambiance exécrable, comme elle l’écrivit le 30 janvier 1943 :
« Toute la journée, je m’entends dire que je suis une gosse insupportable et même si j’en ris et fais semblant de m’en moquer, ça me fait de la peine, et je voudrais demander à Dieu de me donner une autre nature qui ne provoquerait pas l’hostilité des gens.
Les mois passèrent… La vie était ponctuée par les banalités du quotidien et par les nouvelles données à la radio, tantôt rassurantes, tantôt angoissantes. Comme ce bombardement des quartiers nord d’Amsterdam, par la Royal Air Force britannique, le 18 juillet 1943 :
« Dimanche, le quartier nord a subi un bombardement très dur. Les destructions doivent être effroyables, des rues entières sont en ruine et il faudra encore beaucoup de temps pour dégager les gens ensevelis.
Anne, une adolescente avant tout
Privée d’amis et du monde extérieur, Anne se sentait seule. Très seule. Cela aurait été certainement le lot de toute adolescente enfermée chez elle depuis des mois, vivant dans la crainte d’être dénoncée… Elle confia ainsi à son journal :
« Et en fin de compte j’ai découvert que Papa, malgré sa gentillesse, ne peut pas remplacer à lui seul tout mon petit monde d’autrefois. Il y a longtemps que Maman et Margot ne comptent plus dans mes sentiments.
Alors elle se rapprocha de Peter, le fils des van Daan, avec qui elle entretint une relation amicale puis amoureuse. Bientôt, il échangèrent leur premier baiser… Au-delà de la peur et des horreurs de la guerre, l’amour livrait un sublime échappatoire à leurs angoisses quotidiennes.
Une idée lumineuse…
Le 29 mars 1944, le ministre de l’éducation des Pays-Bas, alors en exil, déclara qu’il ferait un travail de collecte et de publication de tous les témoignages écrits des souffrances du peuple pendant la guerre. Ces paroles sonnèrent comme une révélation pour Anne. Elle entreprit un travail de réécriture complète de son Journal… Désormais, elle n’écrivait plus pour elle-même, mais pour livrer un témoignage unique de son expérience. Elle pensa que son Journal pourrait lui servir de matériau à un livre qu’elle écrirait, une fois la guerre finie.
Mais le destin en voulut autrement.
Épilogue
Le 4 août 1944, les services de sécurité de la police allemande firent une descente dans l’Annexe, sans doute à la suite d’une dénonciation. Les huit résidents furent arrêtés et transportés au camp de transit de Westerbrok. Le 3 septembre, ils embarquèrent dans ce qui sera le tout dernier convoi de Westerbrok vers le camp d’Auschwitz.
Là, on sépara les hommes et les femmes. Anne put rester avec sa mère et sa sœur mais ne revit plus jamais son père. Toutes les trois, elles purent se soutenir mutuellement.
Le 28 octobre 1944, Anne et Margot furent déplacées au camp de Bergen-Belsen, au nord de l’Allemagne, alors que leur mère resta à Auschwitz. En février 1945, les deux sœurs moururent de l’action combinée de la faim, du froid et du typhus. Quelques semaines plus tard, le camp était libéré par les Alliés…
Des huit résidents de l’Annexe, seul Otto Frank, s’en sortit vivant. Il déploya toute son énergie pour que le journal de sa fille, récupéré après leur arrestation par Miep Gies, soit publié. Ce sera chose faite le 25 juin 1947 sous le titre « L’Annexe », tiré à 3000 exemplaires. Devant l’impact et le succès de l’ouvrage, il fut traduit et publié dans le monde entier.
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Que de souvenirs, ce journal…
On le fait lire à des adolescents, en général au collège et au lycée, ce qui es une bonne chose. Je doute néanmoins que les adolescents d’aujourd’hui aient suffisamment de sensibilité pur l’apprécier à sa juste valeur.
Il faut dire que la jeunesse d’aujourd’hui ne connaît aucune forme de privation (sauf chez les familles pauvres, bien entendu). Difficile pour eux de se projeter dans un monde où règne la peur, la misère et la mort.
On devrait relire ce livre quand on est adultes, pour l’apprécier à sa juste valeur. Merci pour ce résumé du livre qui permet de s’y replonger avec délice et nostalgie.
Pour les plus curieux et les plus avides de détails, j’ajouterai que l’Annexe des Frank et des van Daan était situé dans l’ancienne entreprise fondée par le père d’Anne (Otto Frank) en 1933.
Il avait alors 2 employés : Victor Kugler et Miep Gies et ces deux personnes l’aidèrent lui et sa famille pendant la guerre.
L’entreprise s’appelait Opekta, spécialisée dans la fabrication de gélifiant pour confiture. Il aura une autre entreprise nommée Pectacon.
En 1934, Otto Frank déménage son entreprise pour des locaux plus grands qui accueillent le siège des deux entreprises.
L’Annexe se situe dans ces seconds locaux, situés au 267 Prinsengracht Amsterdam, à l’arrière du bâtiment et donc avec des fenêtres qui ne donnaient pas sur la rue. C’est ce qui leur a permis de vivre cachés si longtemps.
Article écrit avec le cœur, avec un ton beaucoup plus sobre que d’habitude qui sied au thème abordé. Lecture très émouvante. Merci pour ce partage d’émotion.
Cette jeune fille au sourire charmeur n’a pas eu de chance… à quelques semaines près, les nazis étaient battus et e camp de concentration libéré.
Cette histoire est incroyable.
Un fake ?
L’article met de dire que ce Journal d’Anne Franck a été longtemps contesté…
Quelle est la part qui a été vraiment écrite par Anne ? Son père a été accusé d’avoir écrit lui-même de nombreux passages et la sincérité de la démarche est mise en cause notamment par deux sommités : l’historien Pierre Vidal-Naquet et l’anthropologue Claude Karnoouh.
Le sujet est même venu cristalliser les tensions entre les négationnistes et ceux qui défendent le devoir de mémoire de la Shoah.
Des analyses graphologiques et sur la nature de l’encre utilisée sur le manuscrit original ont été réalisées en 1978.
L’encre utilisée était bien utilisée pendant la guerre, mais les conclusions de l’analyse disent : « les corrections subséquentes appliquées sur les pages volantes ont été écrites avec des stylos à bille noirs, verts et bleus ». En clair : le texte original aurait été écrit pendant la guerre, les corrections et les notes sur les côtés après…
Aujourd’hui, après de nouvelles analyses, la polémique est complètement éteinte et le Journal d’Anne Franck est considéré comme un vrai. Seuls certains négationnistes (Faurisson, Soral,…) défendent encore parfois cette thèse, sans argument très sérieux.
L’enquête pour déterminer qui a dénoncé les pensionnaires de l’Annexe est encore en cours aujourd’hui !
SI vous avez des éléments qui pourraient faire avancer l’enquête, vous pouvez contacter l’équipe de ce site :
https://www.coldcasediary.com/
Perso, un ami de l’oncle du beau-frère de mon grand-père m’a dit un jour qu’il avait entendu dire que c’était les patrons de l’épicerie au Bon Beurre qui les avaient dénoncés.
Au Bon Beurre… Ce film m’a traumatisé toute mon enfance !
Note : on écrit bien Anne Frank et non Anne Franck !!
Je me serais planté…
« Et en fin de compte j’ai découvert que Papa, malgré sa gentillesse, ne peut pas remplacer à lui seul tout mon petit monde d’autrefois. Il y a longtemps que Maman et Margot ne comptent plus dans mes sentiments. »
Ça sent le syndrome d’Œdipe !
Pfff… N’importe quoi…
Déjà, c’est un « complexe d’Oedipe » et non un syndrome.
Et ce complexe apparaît dans la tendre enfance, pas à l’adolescence;
« C’est en effet de 3 à 5 ans environ, lors de la phase phallique que le désir libidinal portant sur le parent de sexe opposé apparaît, et que le parent de même sexe est perçu comme un rival. Le complexe d’Œdipe connaît ensuite un déclin avec la puberté : l’adolescent affronte le complexe et son désir libidinal et se dirige alors vers d’autres objets pouvant le soulager de ce complexe. »
Une ado ne peut pas aimer son père et un peu moins sa mère sans qu’il y ait des sous-entendus libidineux derrière ?
Des années que j’entends parler de ce livre… Je n’avais jamais eu l’occasion de le lire.
Merci pour cette découverte, je ne savais pas qu’Anne Frank était adolescente et qu’elle n’a pas survécu à la guerre.
J’ai honte… Mais cette lacune de culture est corrigée 🙂
Aujourd’hui encore, rien ne prouve que la famille Frank se soit fait dénoncer aux autorités.
Il est probable qu’il s’agisse simplement d’un hasard et qu’ils aient été découverts lors d’un contrôle de routine.
En tout cas, les enquêtes pur déterminer le nom des éventuels délateurs n’a rien donné.
Pour compléter mon propos :
Il y avait un trafic de tickets de rationnement dans le quartier et des emplois illégaux. C’est l’enquête sur ces actions qui auraient amené la police à s’intéresser au quartier et plus précisément à l’Annexe.
En l’état actuel de nos connaissances (et sauf rebondissement, nous n’arriverons jamais à connaître le fin mot de l’histoire), on ne peut pas dire avec certitude qu’ils ont été dénoncés : d’autres scénarios sont possibles.
De la foutaise, oui… écrit au stylo à bille en 1947…